Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

R. PIPES tombèrent sous la souveraineté russe entre le xv1 8 et le XIX8 siècle. Certains de ces groupes nationaux passèrent plus ou moins volontairement sous la domination des Russes, mais ils le firent en vue de s'assurer leur protection contre des voisins hostiles et sans aucune intention d'abandonner leur droit de se gouverner eux-mêmes. Chacun d'eux a aujourd'hui son intelligentsia et sa bureaucratie propres ; une grande partie de l'instruction est donnée à leurs citoyens dans leur langue natale. Ils résident sur leur territoire historique, dans des lieux et parmi des monuments associés à leur histoire. Du point de vue des groupes minoritaires nationaux, la situation des Etats-Unis et de l'Union soviétique est essentiellement différente : dans un cas, il s'agit d'une nation nouvelle créée par un effort volontaire multinational; dans l'autre, d'un empire ordinaire formé de nombreuses nations et dominé par l'une d'elles. On peut parler d'une ~ation américaine, les habitants des Etats-Unis se donnant à eux-mêmes le nom d'Américains. A-t-on jamais entendu un habitant de l'Union soviétique se dire de nationalité «soviétique» ? L'une des raisons qui rend complexe le problème des nationalités en Union soviétique est l'incertitude qui règne quant à leur. non_i~re. Les chiffres de 175, 188 ou 200 «nationalites » et plus qui sont parfois cités sont fort trompeurs : ils confondent le sens que l'ethnographe et l'anthropologue donnent au terme «nationalité» avec celui que lui prêtent l'historien et le sp~cialiste des sciences politiques. Pour les prermers, tout groupe for11?-dé:.éléments ayant en commun certaines caracter1st1ques ethniques peut fort bien constituer une nationalité - les six cents Tofalars aussi bien que les 6 millions d'Ouzbeks. Pour l'historien et le spécialiste des sciences politiques, au contraire, une «nationalité » d<;>nt tous les membres résident dans un aoul caucasien ou un petit village de ~ibérie ne p_résente.~~cun intérêt. En fait, il n'existe en Uruon sov~etique qu'une douzaine de gr?ul?es ~ationaux de _quelque iniportance pour qw etu~e ~a, que~tion des nationalités. Le sort des mmor1tes nationales et du «problème national» dépend d'eux dans une large mesure, ou, plus exactement, de leur aptitude à résister à la russification, à élaborer une culture nationale viable. Processus d'assimilation LARUSSIFICATIaOéNté mise en œuvre au moyen d'un grand nombre d~ méthodes, certaines grossières, d'autres, subtiles_. Le~ plus ~fficace~ se rattachaient au plan serm-offic1elcons1st~t a faire des Grands-Russes le groupe ethruque prépondérant de l'Union s~v!éri9ue.. _Formulé par Staline ce plan n'a pas ete repudie par ses successeurs: Dans un pays où lès relations personnelles jouent un rôle si important et servent en quelque sorte de substitut à ~n système juridique rudimentaire, une telle attitude de la part Biblioteca Gino Bianco 105 des dirigeants a une influence directe sur la vie• de l'ensemble des citoyens. Elle implique, pardessus tout, que la voie qui mène au prestige; au pouvoir et au profit matériel ~pose l'adapta.-· tian à la culture russe, que ce soit dans le Parti, dans l'armée ou dans l'enseignement supérieur. Le message de la primauté russe est transmis aux minorités par un grand nombre de c~n~ux, parmi lesquels le langage (alphabet cy~i111q_ue imposé aux minorités musulmanes), l'h1sto~10graphie (affirma~o~ ,du caractère . progressiste de la conquête realisee par la Russie des tsars) et la religion (persécution plus intense d~s c_ult~s autres que l'Eglise orthodoxe russe). -L obJectif final est la russification de l'ensemble des groupes ethniques, ainsi qu'en témoigne le nouveau programme du Parti: «L'édification du communisme intégral constitue une nouvelle étape dans le développement des relations nationales, grâce auxquelles les nations se rapprocheront encore davantage les unes des autres _jusqu'à réaliser l'unité complète. » Il est perrms de supposer que la langue et la culture de la nation en ~éfinitive «complètement unifiée » ne seront nt le komi-zyrian, ni le tchouktche, ni même l.'ouzbek. La réaction des minorités nationales peut être étudiée au moyen de nombreuses méthodes, parmi lesquelles certaines sont quantitatives. D'utiles indices peuvent être tirés des recensements de population qui fournissent des données relatives à des matières essentielles telles ·que les mouvements de population, la fécondité, les mariages mixtes, le langage habituel. D~s r_ensei~ gnements d'une autre sorte, plus difficiles ·a évaluer mais également importants, peuvent être tirés de sources littéraires, de données ethnographiques et de comptes rendus politiques. Ce n'est qu'en juxtaposant les renseignements de nature quantitative et les autres, et en les replaçant sur le fond des antécédents historiques des groupes étudiés, qu'on peut tirer des conclusions, plus ou moins scientifiques, sur la situation des minorités soviétiques 2 • . La publication par la Direction centrale de la statistique du résumé du recensement de 1959 permet, quelque imparfait que soit ce volume, d'étudier pour la première fois en un quart de siècle les statistiques démographiques se rapportant aux minorités nationales soviétiques. Comparées à celles du recensement de 1926, les données fournies donnent une bonne image des tendances réelles du développement des diverses nationalités 3 • Et aucune de ces .données n'est plus 2. L'auteur a tenté d'appliquer ces .méthodes à l'Asie centrale et à la Transcaucasie dans les articles -suivants : « Muslims of Soviet Central Asia : Trends agd Prospects», in Middle East 'fournal, n°8 2 et 3, 1955 ; et « Demographic and Ethnographie Changes in Transcaucasia, 1897-1956 », ibid., 1959. . 3. Direction centrale de la statistique près le Conseil des ministres de !'U.R.S.S. : Résultats du recensement général de la population de 19.59: U.R.S.S. (Volume général), Moscou 1962, pp. 184-243. Les données relatives au recensement

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