Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

M. RYWKIN étaient en majorité, bien que dans la région de Samarkand il n'y eût pratiquement pas de kolkhoze exploité par des paysans russes. Sur les trentecinq M.T.S., seize eurent des directeurs russes entre 1941 et 1946, dix eurent un directeur russe pendant la moitié de cette période et neuf seulement eurent sans cesse des directeurs indigènes 30 • En recrutant des musulmans, le Parti s'efforce de choisir ceux qui sont prêts à obéir aux ordres et qui ont le désir d'apprendre des Russes les méthodes « occidentales » d'organisation, ceux qui ont à la fois des qualités de chef et la volonté de réussir. La carte du Parti est depuis longtemps la clé d'une meilleure ·situation : elle est pratiquement indispensable pour être nommé à un poste de direction. Le directeur accède à son tour à l' « élite économique du Parti», ce qui lui vaut de prendre rang sur la « liste des candidats à des postes de responsabilité ( nomenklatoura) ». La population musulmane a tendance à considérer ses compatriotes appartenant à l'élite du Parti comme ses protecteurs naturels contre le chauvinisme russe, le mode de vie occidental et - la paperasserie bureaucratique. En raison de cette attitude, il est toujours difficile de découvrir les abus et l' «assistance mutuelle » largement répandus parmi les fonctionnaires musulmans, qu'ils soient directeurs ou présidents de kolkhoze. Tout en refusant de laisser impunies les infractions graves et les prévarications importantes, les autorités russes sont prêtes, en dressant leur nomenklatoura musulmane, à fermer les yeux sur les abus mineurs et les pratiques nationalistes les moins répréhensibles. En outre, les membres de l'élite communiste musulmane (présidents de kolkhoze, directeurs de l'industrie et administrateurs du réseau commercial, fonctionnaires locaux du Parti)~ jouissent d'un niveau de vie, de privilèges et d'une considération en rapport avec les postes qu'ils occupent. On s'efforce aussi de ménager constamment le prestige personnel de !'Oriental, pour qui il n'est pire malheur que de« perdre la face ». Selon un visiteur anglais, «le Parti a beaucoup de tact : les Russes occupent les postes-clés, mais les indigènes dignes de confiance sont mis en relief et on leur accorde des responsabilités » 31 • Continuité de la structure stalinienne LA POLITIQUE qui consiste à installer des Russes ou autres Européens aux postes.-clés en Asie centrale était le principal moyen employé par Staline pour maintenir la surveillance de la Russie sur les communistes musulmans. En dépit des mesures de déstalinisation prises depuis 1956, cette politique reste inchangée. En 1961, dans toutes les républiques d'Asie centrale, .. 30. Données recueillies dans la Pravda d'Orient, années 1941 à 1946. 31. Patrick Sergeant : Another Road to Samarkand, Londres 1955, p. 110. Biblioteca Gino Bianco 101 étaient russes tous les deuxièmes secrétaires des comités centraux, tous les chefs de section des organes du Parti, tous les ministres des Communications et tous les chefs du K.G.B. (Sécurité d'Etat) 32 • En 1963, tableau identique pour l'Ouzbékistan: le premier vice-président du Conseil, les ministres des Communications, de l'irrigation et des Transports automobiles, le chef du K.G.B. et les présidents de plusieurs comités gouvernementaux ayant rang de ministères - tous sont des Russes. La structure du Parti suit le même schéma, malgré la division de tous les comités régionaux, sauf trois, en unités séparées, chargées respectivement de -l'industrie et de l'agriculture. . Une récente innovation institutionnelle mérite cependant d'être signalée. A la fin de I 962, ressuscitant un précédent remontant à quatre décennies, un Bureau ·pour l'Asie centrale du C.C. du P.C. de l'Union soviétique fut chargé de la coordination politique et économique des quatre républiques d'Asie centrale, à l'exclusion du Kazakhstan. C'est un retour à l'ancienne pratique qui consiste à tenir l'Asie centrale (ou Turkestan) pour une entité politico-économique. La nouvelle autorité est établie à Tachkent et compte onze membres : un président et un vice-président (tous deux russes) 33 , les premiers secrétaires du Parti des quatre républiques (indigènes), le premier secrétaire du comité régional ·du Parti de Chimkent (au Kazakhstan, un Russe) 34 , et les chefs russes des quatre nouveaux bureaux économiques pour l'Asie centrale 35 • Le nouvel organisme, intercalé entre Moscou et les autorités des républiques fédérées, et manifestement tenu en main par les Russes, ne peut manquer de restreindre un peu plus les maigres pouvoirs abandonnés aux communistes musulmans. Le « phare de l'Orient» 36 LES FORMES ADMINISTRATIVES en vigueur en Asie centrale sont-elles compatibles avec l'idée que l'on se fait communément de la souveraineté et de l'autonomie (qu'elles soient socialistes ou non) ? Ne feraient-elles pas plutôt penser aux méthodes prêtées aux administrations coloniales ? Alors que maints spécialistes occidentaux n'hésitent pas à employer le mot << colonialisme », les 32. Who is Who in the USSR, 1961-62, New York 1962, pp. 942 sqq. et 955 sqq. 33. V. G. Lomonossov, auparavant premier secrétaire de l'arrondissement Kalinine de la ville de Moscou, et S. M. Veselov, ex-deuxième secrétaire du comité régional de Tachkent. 34. La région de Chimkent faisait partie du Turkestan avant 1924. 35. Conseil de l'économie nationale ( sovnarkhoz) ; Administration de la construction ( gosstrof) ; Direction de la culture du coton; Direction de l'irrigation et de la construction des sovkhozes. 36. Expression employée par Staline. Cf. Lénine et Staline sur l'Asie centrale et l'Ouzbékistan, Tachkent 1940, p. 89.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==