M.RYWKIN Par rapport à la Constitution de 1924, lesdites républiques perdaient leur «indépendance » dans les domaines de la justice, de la santé publique et de la planification d'Etat, leurs commissariats devenant ·subordonnés en ces matières aux organes correspondants à Moscou (commissariats fédéraux). Outre les forces armées et les affaires étrangères, le commerce extérieur, les transports, les communications, le ravitaillement, les transports par voie d'eau, l'industrie lourde, l'industrie de la construction mécanique et les industries de · la défense devaient être dirigés directement par les commissariats fédéraux de Moscou. La comparaison entre cet état de choses et le degré d'autonomie accordé en 1920 aux républiques autonomes, en théorie moins indé:.. pendantes, est en faveur de ces dernières et témoigne du déclin de l'autonomie véritable des peuples allogènes en 1936. La liberté d'action des républiques fédérées au cours des années 40 et 50 ne fut pas seulement limitée par des restrictions constitutionnelles, mais aussi par la présence de fonctionnaires russes à presque tous les postes importants du Parti et du gouvernement , de ces républiques. C'est ainsi que dans toutes les républiques d'Asie centrale et au Kazakhstan, après leur accession au niveau fédéral, les ministres de la Sécurité d'Etat 20 , domaine d'une importance vitale, ont toujours été des Russes 21 , ainsi que les ministres des Communications. Alors que la proportion des ministres musulmans du gouvernement ouzbek était environ des quatre cinquièmes en 1945 et des trois quarts en 1957, chaque ministre indigène, y compris le président du Conseil, est invariablement «assisté» d'un vice-ministre russe 22 • Les ministres indigènes aux postes importants sont généralement flanqués de nombreux adjoints russes : ainsi, le ministre ouzbek de l'Agriculture était assisté en 1946 par cinq adjQints russes, et en 1957 par quatre adjoints russes et un adjoint ouzbek. Les ministères vitaux pour l'économie de telle région, par exemple le ministère de !'Irrigation en Ouzbékistan, ne sont, d'ordinaire, confiés qu'à des Russes 23 • Cependant, comme partout ailleurs en Union soviétique, le pouvoir réel n'est pas aux _mainsde l'appareil gouvernemental, mais dans celles du Parti. Là, Moscou ne prend pas de risques: pendant les années 40, au secrétariat du Comité central ouzbek, les secrétaires et les chefs de section étaient aux trois quarts des Russes ou 20. Dans les années 50, le titre fut changé en celui de président du comité de la Sécurité d'Etat (K.G.B.). 21. M. Rywkin : op. cit., ch. 8, pp. n8-52 ; Alexandre Bennigsen : « The Moslem Intelligentsia in the USSR », in Soviet Survey, avril-juin 1959, n° 28, pp. 7-8 ; H. Carrère d'Encausse et A. Bennigsen : « Pouvoir apparent et pouvoir réel dans les républiques musulmapes de !'U.R.S.S.», in Problèmessoviétiques, 1958, n° 1, p. 62. 22. Eric Downton : « Soviet Central Asia », in Journal of the Royal Central Asian Society, vol. XLII (1955), p. 131. 23. Rywkin : ap. cit., table 7, p. 134. Biblioteca Gino Bianco· 99 autres Européens 24 , et la proportion n'avait manifestement pas varié dans les années 50. . Chaque ministère étant supervisé par une section correspondante du Secrétariat 25 , les ministres indigènes ne peuvent guère échapper à la surveillance russe. Dans le cas de l'industrie lourde, le rôle des quatre chefs de section russes (dans les années 40) apparaît encore plus important en raison de l'absence de postes ministériels correspondants dans le gouvernement ouzbek 26 • En outre, les organisations du Parti de très grosses entreprises d'industrie lourde sont placées sous la direction d'organisateurs spéciaux directement responsables devant le Comité central du P.C. de !'U.R.S.S., et, en conséquence, ne sont même pas tenus à rendre des comptes au P.C. ouzbek. En plus des sections économiques, le Comité central ouzbek comprenait, dans les années 40, quatre sections politiques : 1. propagande et agitation, 2. administration des cadres, 3. organisation-formation (maintenant : organes du Parti), 4. section spéciale 27 • La section organisationformation (chargée de faire appliquer la ligne politique prescrite par Moscou) ainsi que la section spéciale (sécurité) ont toujours été fermement entre les mains de Russes, les deux autres sections étant abandonnées aux indigènes. Parmi les grands dirigeants du Parti ouzbek, dans les années 40 et 50, le premier secrétaire a toujours été un Ouzbek, le deuxième secrétaire toujours un Russe - modèle qui a été suivi dans toutes les républiques d'Asie centrale. Mais alors que, normalement, c'est le premier secrétaire qui a la haute main sur l'appareil du Parti soviétique, en Asie centrale, le deuxième secrétaire détient toujours au moins autant d'autorité que le premier. Les spécialistes occidentaux s'accordent aujourd'hui pour la plupart à reconnaître la position privilégiée du deuxième secrétaire du Parti dans toutes les républiques musulmanes de !'U.R.S.S. 28 • Qui plus est, après la mort de Staline, les pouvoirs déjà considérables dudit deuxième secrétaire, toujours russe, ont été accrus du fait qu'on lui a délégué les fonctions du secrétaire aux cadres. Les indigènes ont ainsi été privés de la seule section politique d'importance dont ils détenaient auparavant le monopole. 24. Ibid. 25. Par ex. : le chef du service du Secrétariat chargé de l'industrie locale surveille les ministères de !'Industrie locale et (vraisemblablement) de l'Economie communale. 26. Services de l'industrie, de l'industrie chimique, des centrales électriques, de la force motrice et des combustibles. 27. Bien que la section soit la subdivision d'un service, l'importante « section spéciale» doit être considérée à part. 28. Cf. Derek R. Scott : Russian Political Institutions, New York 1957, p. 165; H. Carrère d'Encausse : « La politique musulmane des Soviets dans une république plurinationale : le Daghestan», in l'Afrique et l'Asie, n° 34 (1956), p. 37; H. Seton-Watson : « Soviet Nationality Policy >i, in The Russian Review, vol. XV, n° 1 (janv. 1956), p. 8.
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