Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

98 Khodjaïev, longtemps chef du gouvernement ouzbek, avoua au cours de son procès, pendant la grande épuration, qu'il voulait produire moins de coton et davantage de céréales afin d' « être indépendant du grain russe » - péché mortel dans la Russie de Staline 11 • En Ouzbékistan, la surface plantée en coton passa de 425.000 hectares en 1913 à 1.446.000 en 1961, alors que les cultures de céréales pendant la même période tombaient de 1.540.000 à 1.019.000 hectares 12 • En 1961, la production de grain de l'Asie centrale (Kazakhstan excepté) n'atteignait qu'environ le neuvième de la production turque, tandis que le coton prenait la troisième place dans le monde, après les Etats-Unis et la Chine. Tableau très différent en matière de développement industriel. Région uniquement vouée à l'agriculture et à l'élevage avant la révolution '' (mises à part quelques rares filatures de coton et de soie), l'Asie centrale soviétique produit maintenant (Kazakhstan excepté) à peu près autant d'acier et de ciment que la Turquie, autant d'énergie électrique que l'Argentine ou le Mexique 13 • Dans le domaine de la santé publique et de l'enseignement, l'Asie centrale a également fait des progrès remarquables. Le nombre des médecins dans le seul Ouzbékistan (12.500, pour la plupart européens) est plus élevé qu'en Turquie (11.500) et qu'en Egypte (un peu moins de 9.000), pour une population trois fois moindre que dans ces deux pays 14 • De même, le nombre des élèves et étudiants de l'Ouzbékistan, à peine inférieur à 1,5 million, comparé aux 2, 7 millions de la Turquie et aux 3 millions de l'Egypte, est tout à l'avantage de l'Ouzbékistan 15 • Dans l'enseignement supérieur, le tableau est moins brillant : si le nombre des étudiants d'université atteint le chiffre de 250.000 pour l'Asie centrale et le Kazakhstan, la moitié seulement étudient à plein temps et le tiers seulement appartiennent à des nationalités indigènes, le reste étant des Russes et autres Européens (1961) 16 • Si l'on compare ces chiffres avec les inscriptions aux collèges noirs des Etats-Unis (233.000 en 1961), on s'aperçoit que la proportion des Américains noirs à fréquenter l'université est presque double de celle des musulmans de l'Asie centrale. (La population noire des EtatsUnis compte 20 millions d'individus, la populaII. Commissariat du peuple à la Justice : Le Procès du bloc des droitiers et des trotskistes antisoviétiques, Moscou 1938. 12. L'Econom e nationale de /'U.R.S.S. en 1961, Moscou 1962, pp. 324 :t 332. 13. L'U.R. .' S. en chiffres pour 1961. Economie nationale de la Répub1 ue du Kazakhstan. Recueil statistique, AlmaAta 1957; l Juzbékistan au cours de 40 ans de pouvoir soviétique. Rec, ,/ statistique, Tachkent 1957. 14. L'.' onomie nationale de /'U.R.S.S. en 1961, p. 743. 15. r d., p. 685. 1r: ,bid., pp. 691, 693 et 700. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE tion musulmane de l'Asie centrale et du Kazakhstan 13 millions 17 .) Le développement industriel et les progrès en matière d'enseignement en Asie centrale doivent beaucoup à l'afflux des Russes et autres colons européens. Ces derniers constituent, au Kazakhstan, 65 % de la population, et environ 2 5 % en Asie centrale proprement dite (contre 20,9 % de Blancs en Unjon sud-africaine)_.~n Asie centrale, les Europeens sont en ma1or1té parmi les savants et techniciens (deux sur trois) 18 , les chefs d'industrie, les ouvriers à col blanc et les ouvriers qualifiés. Non pas qu'il y ait une quelconque discrimination raciale, mais la rapide industrialisation de la région eût été impossible sans l'apport de colons russes plus instruits et techniquement plus qualifiés. Les indigènes sont-ils heureux d'avoir payé un tel prix ? En tout cas beaucoup d'entre eux ont conscience que soviétisation, industrialisation et russification vont de pair. Autonomie de l'Ouzbékistan EN 1924, toutes les anciennes unités administratives d'Asie centrale, y compris la République populaire de Boukhara et la République soviétique de Khiva, furent fondues en deux républiques fédérées (Ouzbékistan et Turkménistan) et trois républiques autonomes (Tadjikistan, Kazakhstan et Kirghizie) qui accédèrent par la suite au statut de républiques fédérées. Leur degré d'indépendance fut défini dans la Constitution de !'U.R.S.S. nouvellement proclamée. Douze ans plus tard, en 1936, la « Constitution stalinienne» rogna fortement leurs prérogatives. Ces remaniements allaient à l'encontre du point de vue de Lénine, favorable à une large autonomie des peuples allogènes : ils marquaient la victoire de la centralisation à outrance prônée par Staline, Ordjonikidzé et Dzerjinski. Peu ayant sa mort, Lénine s'en prit non seulement à l' « autoritarisme »de Staline, mais exprima la crainte que « la liberté de se retirer de l'Union », le droit de faire sécession, accordé aux républiques fédérées, ne devienne un « chiffon de papier». Tout en voulant conserver à Moscou la haute main sur les forces armées et les affaires étrangères, Lénine était prêt à accorder aux républiques fédérées une « pleine indépendance dans tous les autres domaines » 19 • Or, aux termes de la Constitution de 1936, les commissariats du peuple des républiques fédérées ne demeuraient « indépendants » que dans trois domaines : enseignement, sécurité sociale et économie locale. · 17. Toutes les données statistiques occidentales sont tirées du Statistical Abstract of the United States, 1962, ainsi que des sources des Nations Unies. 18. L'Economie nationale de /'U.R.S.S. en 1961, pp. 704-05. 19. V. i. Lénine : « Sur la question nationale ou "autonomisation " », in Kommounist juin 1956 (n° 9).

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