LE PRIX DE LA SOVIÉTISATION EN ASIE CENTRALE par Michael Rywkin AVANT LA RÉVOLUTION de 1917, l'Asie centrale russe n'était rien d'autre que la colonie d'une grande puissance européenne. D'une superficie égale à la moitié des Etats-Unis, le nord du pays (la steppe kazakhe) avait été progressivement absorbée par la Russie entre 1731 et le milieu du xixe siècle, tandis que la partie méridionale (Turkestan, ou pays des Turcs), comprenant les trois vieux Etats musulmans indépendants de Kokand, Boukhara et Khiva étaient conquis entre 1865 et 1885 et finalement cc pacifiés » en 1895. En 1917, la région comptait quelque 12 millions d'indigènes, en majorité des musulmans sunnites de race turque, ainsi que 2 millions de colons slaves établis pour la plupart depuis longtemps le long de la frontière sibérienne. Au Turkestan proprement dit, les colons russes de fraîche date étaient proportionnellement moins nombreux que les Français en Afrique du Nord. Or, à l'exception de deux protectorats russes (khanat de Khiva et émirat de Boukhara), l'ensemble du pays dépendait directement de l'administration russe. En matière d'économie, Saint-Pétersbourg s'employait avant tout à développer les filatures de coton, à vendre aux indigènes des biens de consommation russes, à mettre en valeur les terres où les conditions climatiques étaient favorables à la colonisation européenne. Hormis cela, les autorités tsaristes se mêlaient peu du mode de vie traditionnel, se contentant d'assurer cc la· paix et l'ordre», de mater les révoltes nationalistes, bref de maintenir l'allégeance. des indigènes à l'égard· du cc tsar blanc». La chute du régime tsariste stimula l'activité des groupes nationalistes musulmans. Un congrès pankazakh fut organisé dans le nord du pays, tandis qu'au Turkestan était formé un conseil central musulman, bientôt transformé en gouvernement provisoire. Celui-ci exigea la convocation d'une assemblée législative indépendante, l' égalité électorale, le départ des troupes russes, la restitution des terres confisquées aux musulmans Biblioteca Gino Bianco et attribuées aux colons russes, l'abolition des tribunaux réservés aux Européens et le transfert de l'autorité judiciaire aux mains des musulmans. Cependant, la population indigène était trop faible pour faire valoir ces revendications. Dans le pays, les seules forces organisées étaient russes : soldats de la région militaire du Turkestan cantonnés principalement dans la garnison de Tachkent, cheminots et ouvriers des ateliers de réparation des chemins de fer, colons russes armés. Lorsque le soviet russe de Tachkent, peu après la victoire de la révolution bolchévique, envoya à Kokand un détachement armé pour liquider le gouvernement musulman, celui-ci succomba rapidement devant les forces combinées de soldats et d'ouvriers russes, épaulés par la populace russe et arménienne. Action militaire qui s'accompagna de pillage, de viols et de réquisitions dans les villages musulmans. Bien revenues de leurs illusions à l'égard de la révolution, les masses indigènes restèrent indifférentes aux rivalités entre les factions politiques de Tachkent, indifférentes à la guerre civile qui faisait rage en Russie. En conséquence, ce qui caractérise les deux premières années du régime soviétique au Turkestan, c'est la domination totale des Russes dans les affaires publiques. Au milieu de l'année 1919, la 4 e armée de Frounzé pénétra dans le pays après avoir écrasé .les forces russes anticommunistes qui séparaient le Turkestan de la Russie proprement dite. Alors seulement les communistes russes du cru renoncèrent à leur monopole politique : ils consentirent à la création d'une section indigène à l'intérieur de l'organisation du Parti au Turkestan. Vers la fin de 1919, les musulmans furent également ·autorisés à participer aux soviets locaux. Cependant, aussi bien dans le Parti que dans les institutions gouvernementales, ils ne tardèrent pas à entrer en conflit avec les cc colonialistes » russes. Les soviets locaux et les forces de sécurité nourrissaient encore bien des préjugés envers les musulmans, et souvent les troupes métropolitaines
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