Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

B. DEL/MARS Nous verrons que, malgré leur hypocrisie manifeste, cette violente diatribe contre un lyssenkoviste notoire et cet appel à la sincérité, quelque peu insolite en U.R.S.S., n'ont pas manqué de produire leur effet. La répudiation de la doctrine de Williams impose une révision complète de la science agronomique et de son enseignement. Khrouchtchev adressa de nombreux reproches à l'Académie fédérale Lénine des Sciences agronomiques (la VASK.hNIL): Une situation intolérable s'est créée chez nous. Plusieurs savants., dont certains sont membres de· la VASKhNIL, d'année en année ne font rien pour la production (...). Qu'ont-ils fait pour la science, des savants tels que I. D. Laptev et S. F. Démidov, qui d'ailleurs n'ont jamais été élus, mais simplement nommés membres de cette académie, ce qui constitue une violation flagrante des statuts 16 • Il se peut que l'assemblée générale de cette académie ait son mot à dire à leur sujet et à décider s'ils peuvent conserver leur titre d'académicien, puisqu'ils ne contribuent nullement à développer la théorie et la pratique (cf. n. 14). Dans son discours de clôture, Khrouchtchev revient à la charge : La VASKhNIL et ses instituts de recherche n'accomplissent malheureusement pas le travail indispensable pour résoudre les problèmes agronomiques urgents. Certains savants y ont abandonné la recherche : ils ne s'occupent que du travail administratif ou font seulement des conférences (...). L'Académie doit mettre de l'ordre dans le travail des savants. Chaque travailleur scientifique doit être fécond. Les savants eux-mêmes doivent poser quelques questions sévères aux hommes qui ne remplissent point leur devoir, même si ces hommes portent le titre d'académicien (Pravda, 11-362). Or, la VASKhNIL fut présidée par Lyssenko de 1938 à 1956. Il en était réélu président le 8 août 1961. C'est donc à lui qu'incombe la responsabilité principale des fautes de cette institution. Orgueilleux comme savent l'être les Ukrainiens, persuadé d'être le coryphée non seulement de l'agronomie, mais de la biologie tout entière, dont il affirme avoir découvert les lois fondamentales, habitué à vivre au milieu d'un concert de louanges, choyé d'abord par Staline, puis par Khrouchtchev, couvert de récompenses, Lys16. Khrouchtchev oublie que son ami Lyssenko devint membre de la VASKhNIL exactement de la même façon. Nous ignorons quels méfaits ont motivé la disgrâce de Démidov. Quant· à I. D. Laptev, secrétaire scientifique de la section d'organisation de la production agricole, il lui était certainement reproché d'avoir contredit la politique agricole de Khrouchtchev. En automne 1957, alors qu'il dirigeait l'Institut de recherches scientifiques en matière d'économie, il avait patronné un rapport, présenté par sa collaboratrice E. S. Karnaoukhova, qui concluait à l'impossibilité d'obtenir le volume de production agricole prescrit par le X.Xe Congrès : pour l'atteindre, il aurait fallu soit augmenter de 70 % le rendement des sovkhozes et de plus de 50 % celui des kolkhozes, soit affecter à l'agriculture un énorme contingent nouveau de travailleurs, introuvables du fait de la pénurie générale de main-d'œuvre. Biblioteca Gino Bianco 93 senko ne pouvait que démissionner devant les graves reproches adressés à l'académie dont il dirigeait l'activité. Notons que nulle part son nom ne figure dans les critiques de la V ASKhNIL faites au Comité central. Après avoir érigé Lyssenko en continuateur de Mitchourine, Khrouchtchev ne pouvait s'infliger à lui-même un démenti formel. Il s'est contenté de houspiller Vlassiouk, alter ego de Lyssenko en Ukraine. Quant à ce dernier, il ne s'est agi que de ses défaillances en qualité d'administrateur, ses mérites de savant restant intacts. Khrouchtchev a tout fait pour ménage1 l'amour-propre de son ami :· Je me rappelle qu'avant la guerre, alors qu'il avait été décidé de nommer Trofime Dénissovitch Lyssenko à la présidence de la VASKhNIL, il vint d'Odessa à Kiev me demander de faire mon possible pour lui épargner cette nomination : selon lui, à l'académie il ne pourrait pas travailler, il avait besoin de la terre, de la possibilité de poursuivre ses expériences, sans elles il ne pouvait vivre. J'ai fait tout ce que j'ai pu, mais mon influence n'était pas suffisante : il fut quand même recommandé pour ce poste et nommé président. Mais il avait insisté pour disposer d'un terrain : on lui avait donné la ferme de Gorki Léninskié où il continue toujours son travail scientifique d'expérimentation (Pravda, 11-3-62). Fort astucieusement, Khrouchtchev ne mentionne point que cette répugnance de Lyssenko s'est manifestée en 1938, c'est-à-dire au plus fort des épurations sanglantes de Staline, alors qu'un homme raisonnable, détenteur d'un bon poste dans une province éloignée où il était à la fois à l'abri des soupçons et son propre maître, ne pouvait qu'être horrifié à l'idée d'être muté à Moscou. Vingt-trois ans plus tard, Khrouchtchev étant tout-puissant, Lyssenko ne fit plus d'objections pour accepter le 8 avril 1961 sa réélection à la présidence de la même académie. Ses tâches administratives furent d'ailleurs bien plus réduites qu'auparavant: Par décision du Conseil des ministres de l'U.R.S.S. en date du 31 août 1961, ont été subordonnés au ministère de l'Agriculture tous les établissements de recherche et les exploitations expérimentales, ainsi que les entreprises industrielles qui dépendaient auparavant de la VASKhNIL, dont les tâches ont également été précisées. Cette académie doit devenir l'institution suprême -de l'économie agraire de !'U.R.S.S. et assumer, en fonction des tâches posées à cette économie par l'édification du communisme, la direction méthodique de tous les établissements scie~tifiques du pays. Elle doit étudier, du point de vue théorique, les questions importantes concernant la science et la pratique agronomiques, et fonder son activité théorique aussi bien que pratique sur les établissements de recherche, les exploitations modèles, les kolkhozes et les sovkhozes. En novembre 1961, cette académie a été transférée de Moscou au sovkhoze Mikhaïlovski, district de Podolsk, région de Moscou 17 • 17. Annuaire de la Grande Encyclopédie Soviétique (titre abrégé : G.E.S.) pour 1962, p. 55.

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