Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

E. DEL_IMARS et consorts, provoqua un tollé général dans les milieux savants de l'Occident. L'éminent généticien américain, Hermann J. Muller, prix Nobel et membre d'honneur de l'Académie des sciences de !'U.R.S.S. depuis 1933, avertit celle-ci le 24 septembre 1948 qu'il renonçait à ce titre; selon lui, dans la science soviétique régnait désormais la même mentalité politique que dans les pays fascistes. « Comment ne pas s'alarmer (...) en voyant ainsi se constituer, à notre époque, une orthodoxie scientifique officielle, en voyant s'installer une science d'Etat, promulguant une vérité d'Etat. Quelque effort qu'on puisse faire pour tâcher de comprendre cette nouvelle façon de traiter la science, comment penserait-on que ce climat de dogmatisme et de foi - avec tout ce qu'il comporte d'injure, d'anathème, de fulmination, d'excommunication, d'abjuration - puisse être favorable à la recherche honnête de la vérité », écrivait Jean Rostand en 1951 3 , oubliant que les mêmes termes n'ont pas la même acception à Moscou et à Paris. cc La recherche honnête de la vérité » signifie pour les communistes la recherche de confirmations nouvelles de la vérité proclamée par le Parti, dont la direction est infaillible et qui détient la sagesse suprême. Puisque les thèses de Lyssenko étaient approuvées par le Comité central, donc par Staline, les savants soviétiques « honnêtes » ne pouvaient que s'y rallier, les autres n'étant que des « ennemis du peuple ». Dans ce climat, la dictature de Lyssenko pouvait s'affirmer, il pouvait se reposer sur ses lauriers, ses adversaires étant réduits au silence. * ,,. ,,. C'EST SEULEMENaTprès la mort de · Staline, lorsque la lutte pour le pouvoir entre les épigones eut brisé le monolithisme de la « vérité officielle », que les adversaires de Lyssenko crurent pouvoir relever la tête. Molotov et Malenkov cherchaient parmi eux des arguments contre la politique agraire de Khrouchtchev et en 1954-56 on ne savait pas à Moscou qui l'emporterait. Cette instabilité déclencha une levée de boucliers contre Lyssenko, dont le comportement dictatorial avait accumulé une solide haine chez les savants. C'est pendant cette pérjode qu'un de ses rivaux, l'académicien mondialement corlnu N. V. Tsitsine, Spécialiste de l'hybridation lointaine (croisement des herbacées avec les plantes arborescentes), fit publier à Moscou la traduction russe des Œuvres choisies de Luther Burbank 4, sélectionneur américain 3. Les Grands Courants de la biologie, Paris 1951. 4. Luther Burbank : Œuvres choisies, Moscou 1955. Il s'agit du résumé en un seul volume des douze tomes de Luther Burbank, his Methods and Discoveries, and their Practical Application, New York et Londres, 1914-15. Biblioteca Gino Bianco 89 contemporain de Mitchourine qui avait réussi à créer de nombreuses variétés de plantes. Or, sous la dictature de Lyssenko, le nom de Burbank, dont les succès pratiques égalaient et dépassaient ceux de Mitchourine, était proscrit en U.R.S.S. Un voile de silence était jeté sur ses travaux, car les déductions théoriques de Burbank contredisaient les « lois biologiques » prétendument découvertes par Lyssenko, les méthodes pratiques de ce dernier n'étant souvent qu'une imitation des procédés depuis longtemps utilisés par l'horticulteur américain. Il suffit de citer cette formule de Burbank: cc La nature n'a pas créé des lois, elle ne se limite pas par des bornes, elle progresse sans aucun horaire 6 », pour comprendre l'irritation que l'audace de Tsitsine pouvait provoquer chez l'inventeur d'une série de « lois biologiques ». Au cours de la lutte pour le pouvoir, surtout après le discours « secret » de Khrouchtchev au XXe Congrès, la dictature de Lyssenko fut durement ébranlée. Un débat s'ouvrit à l' Académie des sciences, au cours duquel les thèses de Lyssenko furent discutées et les méfaits de son règne dénoncés. D. N. Nassonov, membre de l'Académie de médecine et professeur d'histologie à l'université de Léningrad, déclara franchement: Durant plus de dix années, la cytologie soviétique a été condamnée au marasme, car y régnaient en autocrates l'académicien T. D. Lyssenko et O. B. Lépéchinskaïa, membre de l'Académie de médecine. Pendant très longtemps, seules leurs déclarations étaient admises. Les travaux et les opinions des autres savants étaient, dans le cas le plus favorable, passés sous silence, ou bien valaient à leurs auteurs l'application des méthodes d' Araktchéïev 6 • Devant ces attaques, Lyssenko, qui ne pouvait plus compter sur le soutien des potentats du régime, trop absorbés par leur propre querelle, dut démissionner de la présidence de la VASKhNIL 7 et se consacrer à son troupeau expérimental de vaches laitières à Gorki Léninskié, tandis que la critique de ses méthodes et « découvertes » prenait de l'ampleur. Les uns constataient que sa dictature ... ...avait fait naître chez beaucoup de savants l'habitude de canoniser, sans critique au_cune, les déclarations de certains biologistes (...) et de présenter les thèses de ces derniers comme essentiellement conformes au matérialisme dialectique, indépendamment de leur vérité ou de leur fausseté (...). Cela concerne notamment certaines thèses de T. n·. Lyssenko 8 • Les autres avouaient que, dans cette ambiance... 5. Op. cit., p. 112. 6. Messager de l'Académie des sciences de /'U.R.S.S., n° 6, juin 1956. 7. Sigle qui, rappelons-le, désigne l'Académie fédérale Lénine des sciences agronomiques. 8. Article de G. V. Nikolski in Questions de philosophie, n° 7, juillet 1958.

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