86 empreinte d'un pessimisme décadent. Chez Reisman, les héros ont également des défauts moraux, et il y a de l'immoralité, et il y a de la déliquescence. Auparavant, pareils « défauts » étaient sévèrement châtiés. Aujourd'hui la dénonciation est restée sans réponse, elle n'a tout simplement pas été lue par les autorités compétentes, qui d'ailleurs n'existent plus. C'est pourquoi ni Kalotozov, ni moi, ni Reisman n'avons été chassés du cinéma, ce qui a le don de chagriner la revue. Dans les numéros 10 et II ont paru des articles effrayants, assortis des mêmes accusations générales contre tout et tout le monde. Si, cette fois, le mot cosmopolite n'a pas été lâché, pour le reste il y a ressembl~ce étonnante avec les articles publiés il y a qwnze ans. L'auteur de l'article inséré dans le numéro 11 de la revue Octobre écrit en substance : « Au moment où les Italiens eux-mêmes reconnaissent que le néo-réalisme italien est mort, Romm continue d'en faire l'éloge. Ce faisant, il oriente notre jeunesse vers l'Occident. » Le néo-réalisme est mort en effet. L'ont aidé à mourir le Vatican, la censure catholique, le capital américain et italien. Les néo-réalistes italiens ont fait des films tels que Le Mécanicien de Pietro Germi, Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, Quatre pas dans les nuages, Rome, onze heures du matin et autres grandes œuvres. Sous un régime bourgeois, le cinéma n'a jamais rien produit de semblable, en tout cas avec une telle force et un pareil ensemble. ·contre le néoréalisme italien furent mobilisées toutes les forces : censure, corruption, menaces, sabotage de la distribution. On usa de toutes les contraintes possibles et imaginables, de tous les moyens pour abattre, briser, étrangler ce groupe d'artistes. Toute la réaction mondiale s'y est mise. A ce moment a paru chez nous un seul article, malheureusement signé par Polevoï, homme pour lequel j'ai de l'estime. Polevoï s'en prenait lui aussi au néo-réalisme italien. J'ai eu honte de li_recet article, honte pour nous. C'était il y a six ans. Je me suis permis il y a trois ans de prendre la défense du néo-réalisme italien, et depuis, ceux qui prônent le respect des traditions me rappellent ce péché: comment ai-je osé prendre le parti du néo-réalisme ? Il m'a été agréable d'entendre que le camarade Ioutkévitch, à propos de l'esprit novateur, a accordé aujourd'hui une grande place à l'Occident. Nous avons perdu l'habitude de reconnaître qu'il existe aussi quelque chose en Occident. Or la Russie a été le pays où l'on a traduit plus de littérature étrangère que nulle part au monde. L'un des côtés forts de l'intelligentsia russe était précisément qu'elle n'ignorait rien de la littérature mondiale, qu'elle était la première à connaître la culture mondiale. Cela aussi c'est une de nos traditions, une excellente tradition dont on ferait bien de se souvenir aujourd'hui. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Pendant de nombreuses années, on a considéré que le néo-réalisme italien recèle quelque chose de coupable pour la simple raison qu'il s'agit d'un courant occidental. Or les néo-réalistes en question ont fait leur apprentissage dans un studio expérimental dont le directeur, pendant la période fasciste, était un communiste clandestin. Ils voyaient des films soviétiques, ils en tiraient les enseignements, ils se formaient sous la direction d'un communiste ! D'entre eux sortirent des communistes et des metteurs en scène qui, dès la chute du régime de Mussolini, levèrent l'étendard de l'art prolétarien d'avant-garde, très proche de nous. Quant à nous, pendant ce temps-là, nous traversions l'étape la plus pénible du stalinisme, nous démasquions les « cosmo- ~ polîtes sans patrie » et nous nous efforcions d'écarter de nous le néo-réalisme italien, nous causant par là même un grave préjudice pour de nombreuses années. Nous devrions quand même nous rappeler cette vérité. Et aujourd'hui que l'équipe qui a jadis publiquement livré au supplice les «cosmopolites sans patrie » - Kotchétov, Safronov et consorts - fait ouvertement du sabotage, s'en prend à tout ce qui est d'avantgarde, tout ce qui est nouveau, tout ce qui est marquant dans le cinéma soviétique, il me semble déplacé de conserver un calme académique et d'attendre les événements. L'offensive a commencé par le cinéma, mais je ne doute pas qu'elle ne s'étende à d'autres domaines de l'art si l'on ne donne pas sur les doigts à ces gens-là. Quant à moi, je n'apprécie pas l'indifférence en la matière et j'estime que se figer dans un calme olympien est stupide et indigne de l'homme soviétique. D'aucuns raisonnent de la sorte: en fin de compte, aujourd'hui on n'arrête personne, et tant que Khrouchtchev vivra, il en sera ainsi. C'est une affaire entendue, on ne jettera personne en prison, on n'empêchera personne de travailler, on ne. bannira personne de Moscou et personne ne sera privé de son salaire. Bref, il n'y aura plus de gros ennuis comme ceux de« ce temps-là». Que Kotchétov et compagnie continuent donc à sévir comme des voyous. Les dirigeants s'y retrouveront. Pourtant cette position est également une survivance de la psychologie des temps du culte. Comment permettre qu'on allume un brasier sur la terrasse de sa maison ? Or c'est un brasier qui s'allume sur la terrasse de notre maison ! Nous · avons affaire à un groupe insignifiant, mais il s'est déboutonné, il suit une ligne manifestement antiparti, en contradiction flagrante avec l'orientation de notre Parti. Personne ne s'est mêlé de cette affaire. On nous a laissé le droit de la régler nous-mêmes. N. S. Khrouchtchev l'a répété maintes fois : débrouillez-vous vous-mêmes. Eh bien, finissonsen avec ce qui se passe en ce moment. En voilà assez de garder le silence !
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