DOCUMJjNTS demande, Léonov - se mettra sur-le-champ à écrire et il en sortira une bonne pièce. N'y a-t-il donc pas d'autres moyens ? Vous ne croyez pas, camarade Dobrykine, que cette façon de raisonner est fille des anciennes pratiques, qu'elle ressemble un tantinet au brasier sur la terrasse ? Je me rappelle les années où fut inventé l'expression «cosmopolite sans patrie», qui remplaça le mot «youpin» [gid]. A cette époque, sur la couverture du Crocodile fut représenté sous des traits manifestement juifs un «cosmopolite sans patrie » qui tenait un livre portant en gros caractères : Gid. Non pas André Gide, mais simplement gid. Ni l'artiste qui avait dessiné cette caricature ni aucun de ceux qui s'étaient· permis cette sortie de voyous n'a jamais été inquiété. Nous préférons passer l'éponge, comme si l'on pouvait oublier que des dizaines de nos plus grands hommes de théâtre et cinéastes ont été traités de cosmopolites sans patrie, en particulier ceux qui sont aujourd'hui dans cette salle, Ioutkévitch, L. Trauberg, Soutyrenk, Komarski, Bleiman et d'autres, et, pour le théâtre, Boïadjiïev, Iouzovski. Ils ont été réintégrés, qui dans le Parti, qui dans leur Association, ils ont retrouvé leur travail, ils ont été rétablis dans leurs droits. Mais peut-on vraiment guérir, peut-on vraiment oublier que, pendant des années, on a été traîné dans la boue et foulé aux pieds ? Mais ceux qui, avec délices et enthousiasme, ont mené cette campagne infâme, se sont creusé la cervelle pour inventer quelque chose de nou- . veau, pour pouvoir passer la corde au cou à quelqu'un d'autre - ont-ils eu à pâtir en quoi que ce fût ? On n'a même pas osé les réprimander : c'eût été indélicat. La revue Octobre, dirigée par Kotchétov, s'est intéressée, ces temps derniers, au cinéma. Dans quatre numéros, de janvier [1962] à novembre, ont paru des articles qui vilipendaient toutes les créations d'avant-garde du cinéma soviétique, qui jetaient la suspicion politique sur de grands artistes de l'ancienne aussi bien que de la nouvelle génération. Ces articles sont inspirés par ceux-là mêmes qui dirigeaient la campagne ·destinée à démasquer les «cosmopolites sans patrie ». Il me semble cependant que nous ne devrions pas oublier tout ce qui s'est passé. A présent, beaucoup de gens se mettent à écrire des pièces, à monter des spectacles et à composer des scénarios de films dénonçant l'époque stalinienne et le culte de la personnalité parce que cela est nécessaire et est devenu possible, alors qu'il y a encore trois ou quatre ans les discours de Nikita Serguéïévitch au :XX. 8 Congrès étaient considérés comme suffisants. Un fonctionnaire plus ou moins important m'a déclaré sans ambages : « Ecoutez, le Parti a fait preuve d'une audace infinie. Etudiez donc le discours du camarade Khrouchtchev, et Biblioteca Gino Bianco 85 c'est assez ! Pourquoi fourrer votre nez làdedans ? » A présent, il est devenu parfaitement clair que cela n'est pas suffisant : il faut soimême y réfléchir, il faut parler, il faut écrire. Il est fort important de démasquer Staline et le stalinisme, mais il ne l'est pas moins d'observer ce que nous avons hérité du stalinisme. En cela, le camarade Dobrykine a parfaitement raison. Chacun d'entre nous doit faire un examen de conscience et regarder autour de lui, porter un jugement sur les événements qui se produisent dans la vie sociale de l'art. Nos réunions se déroulent sur un ton calme et académique, mais pendant ce temps un groupe fort actif d'assez piètres littérateurs s'emploie dans la revue Octobre à «déblayer » le cinéma sans que personne lui ait encore répondu. Il « déblaie » également la jeune littérature et sur ce chapitre personne non plus ne lui répond pour de bon. Or il a suffit qu'Evtouchenko publie le poème Babi Jar pour que ladite équipe réponde incontinent par l'intermédiaire du journal la Littérature et la Vie. Je suis allé récemment en Italie et en Amérique et je dois dire que ce n'est pas le poème lui-même, mais les commentaires à son sujet qui donnèrent matière à scandale en Occident. Les journalistes de là-bas me demandaient : « Que pensez-vous de la nouvelle vague d'antisémitisme en U.R.S.S. ? » Je demandai avec embarras de quelle vague il était question. Il s'agissait de l'article de Starikov et des méchants vers de Markov. Ce numéro de la Littérature et la Vie est pour nous une honte. De même que les derniers numéros d'Octobre. Etant donné que les articles d' Octobre sont dirigés également contre moi, il m'est difficile et désagréable de répondre; mais il faut pourtant le faire. L'offensive contre le cinéma menée par Octobre a commencé, dans le numéro de janvier, par un article sur le film Paix à celui qui entre, article écrit sur le mode impardonnable d'une délation politique. La seule erreur de calcul de la rédaction fut que maintenant il n'y a personne à qui dénoncer. Il y a seulement dix ans, après un tel article, il ne restait plus qu'à enterrer l'homme, qu'à le priver de ses droits au travail dans le cinéma, qu'à le chasser de la mise en scène, qu'à l'exiler dans quelque région lointaine. Mais voilà, les temps ont changé et la dénonciation, sans doute, n'a pas été lue. Mais elle est écrite noir sur blanc. Ensuite, cet été, est apparue une dénonciation de La Lettre oubliée, de Quand passent les cigognes, de Si c'est ça l'amour..., de Neuf jours d'une année. Les chefs d'accusation ne sont pas nouveaux: dans Neuf jours, le héros n'est pas sans défaut; dans Quand passent les cigognes, l'héroïne n'est pas « positive » ; La Lettre oubliée est
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