Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

82 Les objectifs sont gigantesques. Rien que pour les besoins de l'industrie et de l'électrification, les investissements sont évalués à 19 milliards de roubles. Où trouver cette somme fabuleuse, alors que pour réaliser le plan infiniment plus modeste de 1928, il a fallu pressurer les classes moyennes des villes et des campagnes ? Comme s'il eût voulu répondre d'avance, Staline avait évoqué, au Comité central de juillet 1928, « le tribut à lever sur le paysannat » ( ce qui, un peu plus tard, se traduisit par la collectivisation). Mais si, dans le quinquennat de 1928, il est bien question de la collectivisation, celle-ci, 1. n'est pas obligatoire; 2. elle est présentée en termes modérés et prudents. Pas la moindre allusion à « l'anéantissement des koulaks en tant que classe » : Le plan s'assigne comme objectif de faire de l'agriculture socialiste un bloc productif qui sera le contrepoids des entreprises paysannes aisées dont les koulaks constituent l'élément dirigeant. Créer une organisation socialiste qui aura pour le moins la même importance en ce qui concerne le blé marchand que celle représentée aujourd'hui par les couches supérieures du paysannat, tel est un des fondements essentiels du plan. Cela ne veut pas dire que la production en provenance des couches supérieures du paysannat cessera, à la fin du plan quinquennal, de représenter une part du blé marchand, mais l'apparition de l'agriculture socialisée réduira cette part et elle n'aura plus sur notre économie la même influence qu'aujourd'hui. Les auteurs du quinquennat se montraient si prudents quant aux perspectives de l'agriculture socialisée qu'ils estimaient que, au mieux, les kolkhozes, formés volontairement, grouperaient, à l'expiration du plan, 14 °/4 de la population rurale; que la production des kolkhozes et des sovkhozes atteindrait 23 % de la production marchande. Les techniciens qui collaboraient au plan quinquennal, mais dont la plupart n'étaient pas des communistes, se trouvaient devant une tâche des plus difficile. Ils devaient assigner aux différents processus économiques des rythmes capables de créer des ressources nouvelles pour réaliser le plan qui, cependant, en raison de l'ampleur de ses objectifs, n'était pas réalisable. C'était vouloir résoudre la quadrature du cercle. En apparence, sur le plan théorique le problème fut résolu brillamment. Le quinquennat établi en 1928 était, dans son genre, une chose unique ; à l'époque, il n'y avait rien qui lui ressemblât dans la littérature économique du monde entier. L'interdépendance de tous les facteurs techniques et économiques y était calculée jusque dans les moindres détails. De 1928 à 1933, les salaires devaient en principe augmenter de 47 %, et, en réalité, par suite de l'abaissement des prix, de 69 %- Pour que la baisse escomptée des prix industriels et la hausse des salaires ne réduisent pas l'accumulation, le plan mettait l'accent sur la diminution du prix de revient, compte tenu de tous les facteurs nécessaires : augmentation Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de la productivité, accroissement de la force motrice, rationalisation, réduction des dépenses de matières premières et de combustible par unité de produit, etc. En combinant tous ces facteurs, les promoteurs du quinquennat calculaient que la baisse des prix pour les cinq années couvertes par le plan devrait être successivement de 1,4 %, 4,4 %, 4,5 %, 7,8 % et 8,4 %; que la diminution du prix de revient serait au début de 7 % et atteindrait 9,7 % ; que la part du profit dans le prix de la production marchande s'élèverait à 15,8 % la première année et à 17,6 % la dernière année. En conséquence de tous ces facteurs, l'industrie arriverait à accumuler 3.400 millions de roubles d'amortissements et 12 milliards de roubles de profits nets. Le schéma prévoyait jusqu'aux dixièmes, jusqu'aux centièmes des pourcentages : la productivité augmentait, la production s'envolait littéralement, la disette des marchandises disparais-. sait, tous les prix baissaient, les prix de revient diminuaient et le développement de l'industrie assurait une accumulation qui couvrait les gigantesques investissements. A ce tableau idyllique, il ne manquait que la vie. Le tout dépendait d'une foule de facteurs, alors que la défection d'un seul entraînait la rupture de toute la chaîne. Le plan reposait sur le jeu successif de tous les facteurs requis non seulement pour l'industrie, mais encore pour l'agriculture, le bâtiment, les transports et le commerce. Or, une coordination idéale de toutes les conditions favorables ne se réalise jamais, surtout dans l'agriculture où la sécheresse et les grands froids peuvent réduire à néant les calculs industriels fondés sur une abondante récolte. Le gouvernement assigna aux techniciens des objectifs impossibles : élever le taux de production de la grande industrie de 231 % et celui de la petite -industrie de 144 %- Jonglant avec les millions, les techniciens répondirent : voici dans quelles conditions le plan pourra être réalisé. Mais eux-mêmes ne croyaient pas que le plan fût réalisable ; tout au plus le regardaient-ils comme un ensemble de directives techniques et d'objectifs économiques qu'on ne pouvait atteindre en cinq années. Néanmoins le plan fut ratifié, car, selon Staline, parvenu au faîte du pouvoir: « Il n'y a pas de forteresse imprenable pour les bolchéviks. » L'adoption du plan fut portée à la connaissance du monde entier à grand renfort de publicité, et il faut 'bien dire qu'en cette matière, nul ne peut rivaliser avec les bolchéviks. Mais au lieu et place du plan adopté, les bolchéviks se mirent ·à réaliser non pas ce qui s'y trouvait spécifié, mais tout autre chose. Alors que l'objectif du plan quinquennal était d'instaurer le socialisme, l'ombre du despotisme de Staline s'étendit sur le monde. N. VALENTINOV. ( Traduit du russe)

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