Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

I' revue ltistorique et critique des faits et des idées bimestrielle - MARS-AVRIL 1964 Vol. VIII, N° 2 B. SO'UV' .AR.IN"E•....•••..... Le spectre du trotskisme Antimarxisme systématique De la « nep » à la collectivisation B. S. . ...................... . N. VALENTINOV ........... . DOCUMENTS Art et antisémitisme soviétiques L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE E. DELl1\1ARS .............. . Nouvelle éclipse de Lyssenko Le prix de la soviétisation en Asie centrale Les forces du nationalisme en U.R.S.S. MICHAEL RYWKIN ........ . RICHARD PIPES ........... . , .. QUELQUES LIVRES LUCIENLAURAT: Actualité de Rosa Luxembourg Comptes rendus par MICHEL CoLLINET, B. SouvARINE CHARLES MELCIDOR DE MOLÈNES, M. DUMONT . C. BASTIEN, ROBERT PROIX CHRONIQUE Le racisme sans fard INSTITUT D'HISTOIRE SOCIALE, PARIS Biblioteca Gino Bianc

Au • sommaire des derniers numéros du CONTRAT SOCIAL JUILLET-AOUT 1963 B. Souvarine La décompositiondu marxisme-léninisme Yves Lévy La tache du Réformateur K. Papaioannou Classe et parti Harry G. Shaffer Révisionnisme et planification R. V. Greenslade Khrouchtchev et les économistes Leopold Labedz Le chapitre des « réhabilitations » Lucien Laurat L'avenir du socialisme B. Souvarine Les premiers pas de Lénine NOV.-DÉC. 1963 B. Souvarine Les imposteurs dans l'impasse Georges Adamovitch Maïakovski Aleksander Wat La mort d'un vieux bolchévik E. Delimars Le Kremlin et l'épouvantail allemand H. Swearer Le super-contr8/e en U.R.S.S. Marcel Brésard l.a « volonté générale» selon Simone Weil * - A. DE TOCQUEVILLE CU GOUVERNE.ME.NLTOCALE.NANGLE.TERRE SEPT.-OCT. 1'963 B. Souvarine Au-dessus de la mêlée Grégoire Aronson Les francs-maçons et la révolutionrusse Léon Emery Racisme, démocratie et communisme Aleksander Wat Le « réalisme socialiste » Wolfgang Leonhard L'U.R.S.S. après Staline Erich Balow Voyageen Allemagnede /'Est Martin Jëinicke Aspects du stalinisme allemand Chronique Faillitede l'agriculture communiste JANV.-FÉV. 1964 B. Souvari ne Du bruit et de la fureur Léon Emery La démocratisationde l'enseignement K. Pavlov Le conflit sino-soviétique Yves Lévy La Constitutionde 1962 K. Papaioannou Marx et la théorie des classes Véra Alexandrova La Chinedans la littérature soviétique Paul Hollander La vie privée en Chine Documents Boukharine en 1928 Ces numéros sont en vente à l'administration de la revue 199, boulevard Saint-Germain, ~aris 7e Le numéro : 3 F Biblioteca Gino Bianco·

le COMSROIIClil rn11e hiitoritJue et critÙJHeJn /11its et Jn iJtes MARS-AVRIL 1964 - VOL. VIII, N° 2 SOMMAIRE Page B. Souvarine . . . . . . . . . . . LE SPECTRE DU TROTSKISME . . . .. . . . . . . . . . 69 B. S. . . . . . . . . . . . . . . . . . . ANTIMARXISME SYSTÉMATIQUE . . . . . . . . . . . . . 71 N. VALENTINOV . . . . . . DE LA « NEP» A LA COLLECTIVISATION . . 72 Documents ART ET ANTISÉMITISME SOVIÉTIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 L'Expérience communiste · E. Delimars •. . . . . . . . . . . NOUVELLE ÉCLIPSE DE LYSSENKO . . . . . . . . . 87 Michael Rywkin . . . . . . . . LE PRIX DE LA SOVIÉTISATION EN ASIE CENTRALE . 95 Richard Pipes . . . . . . . . . . LES FORCESDU NATIONALISME EN U.R.S.S. . 103 Quelques livres Lucien Laurat . . . . . . . . . . ACTUALITÉDE ROSALUXEMBOURG............ ~ . . . 108 Michel Collinet . . . . . . . . . MES RENCONTRESAVECLÉNINE, de N. VALENTINOV.. 111 B. Souvari ne . . . . . . . . . . . DE LA RÉVOLUTION, de LÉON TROTSKY. . . . . . . . . . . . . . 116 Ch. Melchior de Molènes. FRÉDÉRICBASTIAT, de LOUIS BAUDIN................. 117 . . M. Dumont............. DIX-SEPTANS DANS LES CAMPSSOVIÉTIQUES, d'ANDRÉE SENTAURENS.................•................... 119 C. Bastien . . . . . . . . . . . . . LACARRIÈREDU PRÉSIDENTKENNEDY ET LA VIE POLIT/- TIQUEAMÉRICAINE, de CH. M. DE MOLÈNES . . . . . . . 120 Robert Proix .. i • • • • • • • • BOOMERANG, de JEAN-PAUL SAMSON. . . . . . . . . . . . • • 121 Chronique LE RACISMESANS FARD. . . • . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . • • . . . . . • 123 Livres reçus Biblioteca Gino Bianco

DERNIERS OUVRAGES DE NOS COLLABORATEURS Maxime Leroy : Histoire des idées sociales en France T. I. - De Montesquieu d Robespierre T. li. - De Babeuf d Tocqueville T. Ill. - D'Auguste Comte à Proudhon Paris, Librairie Gallimard. 1946-1950-1954. Léon Emery : Civilisations. Essais d'histoire générale Joseph Malègue, romancier inactuel Trois poètes cosmiques Lyon, Les Cahiers libres, 3, rue Marius-Audin. Raymond Aron : Paix et Guerre entre les nations Paris, Calmann-Lévy. 1962. Le Grand Débat Initiation à la stratégie atomiqu-e Paris, Calmann-Lévy. 1963. Théodore Ruyssen : Les Sources doctrinales de l'internationalisme T. I. - Des origines d la paix de Westphalie T. Il. - De la paix de Westphalie d la Révolutionfrançaise T. Ill. - De-la Révolutionfrançaise au milieu du X/Xe siècle Paris, Presses Universitaires de France. 1954-1958-1961. Lucien Laurat : · Problèmes·· actuels du socialisme ·Paris, Les lies d'Or. ~957. Michel Collinet : Du bolchévisme ÉVOLUTION ET VARIATIONS DU MARXISME-LÉNINISME Paris( Le Livre contemporain. 1957. Paul· Barton : L'Institution concentrationnaire en Russie (1930-1957) Biblioteca Gino Bianco Paris, Librairie Pion. 1959. Kostas Papaioannou : Hegel PRÉSENTATION,C_HOIX DE TEXTES . - Paris, Editions Seghers. 1962. .

revue l1istorique et critique Jes faits et Je1 idées Mars-Avril 1964 Vol. VIII, N° 2 LE SPECTRE DU TROTSKISME par B.: Souvarine UN SPECTRE hante Moscou et Pékin, ou plutôt hante le Kremlin et la Cité interdite, le spectre du trotskisme. Le 31 mars, le P.C. chinois publiait à Pékin un papier qui constitue, paraît-il, la huitième réponse (on s'y perd) à une lettre ouverte du P.C. soviétique en date du 14 juillet dernier, réponse de plus de 30.000 idéogrammes (d'aucuns les co~ptent) et intitulée La révolution prolétarienne et le révisionnisme de Khrouchtchev. Ce factum réitère pour la n-ième fois les accusations précédemment formulées contre les dirigeants soviétiques et leurs sous-ordres d'autres pays, tout en visant plus spécialement Khrouchtchev «qui a revêtu le manteau du trotskisme ». Le 3 avril, le P.C. soviétique publiait à Moscou, après mûre réflexion, un rapport de Souslov présenté à son Comité central le 14 février et qui constitue, paraît-il, la «riposte décisive » aux diatribes chinoises, riposte de 30.000 mots (d'aucuns les comptent) annoncée depuis longtemps et qui, pour avoir tant tardé à paraître, est tout ce qu'on voudra excepté «décisive». Ledit rapport ressasse tous les poncifs ennuyeux déjà lus maintes et maintes fois au cours de cette polémique, mais dénonce avec une particulière insistance la déviation« petite-bourgeoise», l'aventurisme «petit-bourgeois », le bagage «idéologique » du ·trotskisme. - Ainsi les antagonistes évoquent concurremment avec une égale mauvaise foi le trotskisme inexpiable, après avoir échangé de dures vérités premières sur leur nationalisme et leur racisme respectifs, leur chauvinisme de grande puissance, leurs connivences avec l'impérialisme. Mao promet aux opportunistes et aux révisionnistes le sort de leurs congénères du temps jadis «jetés aux· ordures de l'histoire », en quoi il emprunte à Trotski et à Boukharine une métaphore présompBiblioteca Gino Bianco tueuse qui n'a avancé ni l'un ni l'autre .. Il traite Khrouchtchev de «plus grand capitulard de l'histoire » et presse tous les partis communistes de répudier le « bourbier révisionniste » du P.C. soviétique. Souslov, que le New York Times, !'Observer et le Monde définissaient pendant des années comme un stalinien par excellence, un dogmatiste à tous crins et un leader intransigeant d'une fraction pro-chinoise au Kremlin, renchérit en condamnant le culte de Staline et s'en prend vertement à ceux qui «implantent le culte de la personnalité de Mao». Tous deux, Mao et Souslov, à bout d'arguments et d'injures, corsent leurs affirmations avec de nombreuses références au trotskisme. Tout étant relatif, la riposte non décisive de Moscou à Pékin contraste par le ton et la forme avec la virulence des attaques chinoises. Il est visible que Khrouchtchev et C10 ne savent comment sortir de cette impasse et ne cherchent qu'à gagner du temps, dans l'espoir d'être servis par les circonstances. Ils ont indéfiniment tergiversé pour sauver la face du communisme au moyen de marchandages, ils n'ont cessé de déclarer que les choses allaient s'arranger au grand dépit des impérialistes (lesquels ?), ils ont multiplié les tentatives de conciliation et les serments de solidarité marxiste-léniniste, pour en venir à reconnaître enfin la perspective d'une «lutte sérieuse et, selon toute apparence, prolongée, pour le renforcement de l'unité de toutes les forces du socialisme... ». Comment renforcer ce qui n'existe pas, c'est-à-dire l'unité ? Le pauvre Souslov, même assisté d'une «brigade» d'idéologues (sic) de son espèce, ne sait plus ce que parler ne veut pas dire. · Dans un factum antérie~ du 4 février, Mao rappelait ingénument l'inititative de Lénine quant à la fondation de la 3° Internationale en

70 1919: on voit que le précédent l'obsède. Mais le malheureux voudrait à la fois singer Lénine qui a fondé l'Internationale communiste et plagier Staline qui l'a dissoute. Pour un expert en « contradictions », il n'a pas fini de s'embrouiller dans celle-ci, qui est de taille. D'autre part, Souslov annonce la réunion d'une conférence internationale, sans en prévoir la date, « afin de surmonter les difficultés du mouvement communiste », et les augures attitrés de la presse irresponsable se hâtent d'en inférer que les Chinois vont se faire exclure. Mais exclure de quoi ? On ne saurait les exclure d'une organisation internationale nominalement inexistante, encore moins les exclure du « mouvement » ( comme dit Souslov) auquel ils participent sans l'autorisation de personne : autant parler de les exclure de la planète. La future conférence, à supposer qu'elle puisse jamais se réunir, pourra leur jeter l'anathème, mais Mao ·et Cie s'en moquent, car les moyens ne leur manquent pas d'inonder le monde de leur propagande dont le tapage couvre et compense celle de leurs adversaires. Quant aux « difficultés » que Souslovmentionne sans cesse dans son penswn, elles sont véritablement une trouvaille. On savait par le New York Times, par }'Observer et par le Monde que Souslov est un théoricien, un idéologue de grande envergure (dont tout le monde ignore la moindre théorie personnelle et la moindre idée originale), mais on ne le croyait pas hwnoriste de ce calibre. Parmi ses 30.000 mots, cc difficultés » est en vérité le mot pour rire. Mao voue Khrouchtchev (et Souslov) aux « ordures de l'histoire» (ce qui se laisse traduire aussi par fumier ou poubelle), tandis que Khrouchtchev offre à Mao de lui envoyer le cadavre de Staline : ce ne sont que de petites difficultés. Trahison, aventurisme, nationalisme, racisme, chauvinisme, scissionisme,trotskisme : menues difficultés. Somme toute, des bagatelles. La seule difficulté que Souslov et sa brigade de rédacteurs aient passée sous silence en remplissant sept pages entières de la Pravda, c'est la « difficulté d'être », surtout d'être conséquent avec le marxisme-léninisme. Selon Mao, les conceptions de Khrouchtchev seraient « une simple reconstitution du révisionnisme de la 2e Internationale, une renaissance des vues de Bernstein et de Kautsky », révisionnisme et trotskisme étant « virtuellement une seule et même chose ». D'ailleurs Staline l'a dit, « le trotskisme n'est qu'une variété de menchévisme, de kautskisme, de social-démocratie, c'est-à-dire un détachement de la bourgeoisie contre-révolutionnaire ». Et ainsi de suite, jusqu'à la conclusion : Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL « L'étiquette de trotskiste convient donc beaucoup mieux à Khrouchtchev lui-même.» La force irrésistible de cette argwnentation réside dans une ineffable bêtise à laquelle il n'est pas de réplique possible. Il se trouve pourtant de doctes commentateurs pour consacrer leurs études ayant quelque apparence sérieuse à la « pensée » de cet olibrius en délire. Selon Souslov, les ex-camarades chinois menés par Mao font preuve « d'esprit révolutionnaire petit-bourgeois», de mentalité « du petit propriétaire qui devient facilement ultra-révolutionnaire » et versent dans une « déviation petitebourgeoise identifiable au trotskisme ». Lénine, écrit-il, a mené une lutte intransigeante contre « les communistes de gauche, l'opposition ouvrière, le trotskisme, les ultra-gauches ». Or les opinions théoriques et politiques des Chinois sont « sur bien des points la répétition du trotskisme». La guerre révolutionnaire, l'aiguillonnement de la révolution mondiale par les armes, « c'était précisément le vrai sens de la théorie trotskiste de la révolution permanente ».Pour Souslov, « la parenté avec le trotskisme ressort aussi en relief dans les thèses chinoises sur le danger de dégénérescence bourgeoise des pays socialistes », répétition de la cc calomnie trotskiste au sujet de la dégénérescence de !'U.R.S.S. en Etat thermidorien». Enfin, « à l'instar des trotskistes, les dirigeants chinois exigent la liberté des fractions et des groupements dans le mouvement communiste, ils y font leur travail de sape au moyen des mêmes méthodes ». Tout cela culmine en assimilant « l'aventurisme petit-bourgeois» au trotskisme. Un minimwn de raison permettrait de voir dans le petit bourgeois l'aspiration à une vie paisible, sans heurts et sans risques, la tendance au juste milieu, l'incarnation de la prudence économe. Souslov, à grand renfort de citations de Lénine, dissipe de telles illusions : le petit bourgeois est en réalité un aventurier, un guerrier, un ultra-révolutionnaire en permanence, bref un trotskiste. Il est piquant de rappeler que Trotski lui-même s'abaissait à polémiser de la sorte, traitant invariablement de petit bourgeois tout contradicteur. On épiloguera à loisir sur la parenté frappante de tous ces controversistes qui se réclament des mêmes principes et se disputent des étiquettes identiques. Mais décidément, un spectre hante Moscou et Pékin, ou plutôt hante le Kremlin et la Cité interdite, le spectre du trotskisme. B. Souv ARINE.

ANTIMARXISME LES COMMUNISTES ne cessent de démontrer en. actes et paroles l'aberration de ceux qw_ les pre~ent pour des marxistes, mais les sophismes ont la vie dure et Khrou~htchev ni, M~o, secondés par des brigades d~ scnbes, ne .reuss1ssent pas sur ce point à se faire ~nt~ndre. ~es coups échangés entre Russes et C~o1s. de meme credo politique au cours du dernier trimestre en sont des illustrations frappantes. Le 3 février, la presse de Pékin accusait les ~geants soviétiques de prétendre à la dominatton du monde en association avec l'Occident impérialiste. Elle les traite « d'autocrates féod~ux » qui se servent des autres partis commumst~s « .comme de pions sur leur échiquier diplomatique » et pour qui « l'impérialisme américain le plus féroce ennemi du monde, est l'allié 1~ plu~, _sûr». Elle les cons!dèi:e,. ces dirigeants soviet1q_ue~,comme «anttsov1ét1ques». Autrement dit, il ne reste plus trace de leur marxisme. Ce .même ·mois, une mission parlementaire française composée de bourgeois impérialistes (selon la terminologie communiste) était reçue à br~s ~uverts par Mao et son entourage. Elle a su ams1 que « Khrouchtchev est un tigre de papier » et entendu, de la bouche de Mao, des pr~pos s~tologiqu~s non transmissibles par écrit, mais qw, colportes de vive voix, autorisent le Monde du 21 février à admirer « la force et le pouvoir de séduction de cette figure historique ». Elle atteste, de Mao, «un humour qui semble complètement oublier l'habituelle lourdeur de la,~i;:aséologie marxiste », et «le prix attaché par Pe aux nouvelles relations avec Paris ». A peine faut-il mentionner les hommages de « l' orthodoxie » chinoise au général de Gaulle. Les experts trouv~ront là-dedans bien des choses, sauf du marxisme. Le 15 mars, Tchou En-lai de retour à Pékin ap_rè~sa tournée dans qu~torze pays africains et asiatiques est « reçu en heros » à l'aérodrome et à l'en _croire, « les perspectives révolutionnaire~ en Afrique sont excellentes ». Son héroïsme ne lui a certainement pas fait tenir de tels propos à l'empereur d'Ethiopie ni au roi du Maroc ni même. aux a~tres ,pouv?irs établis en Afriqu; et en Asie. Son« orthodoxie» ne l'avait pas empêché de louer, à Lahore, le Pakistan allié des· EtatsUnis et membre de deux alliances anticommunistes (24 février). On peut gager qu'il n'a jamais prêc~é ou~ertement la révolution au Cambodge, en Birmanie,. au ~épal, dont les. régimes politiques respectifs n ont que ~e lomtains rapports avec le marxisme. Biblioteca Gino Bianco SYSTÉMATIQUE A la conférence de pseudo-solidarité afroasiatique d'Alger, le 24 mars, une ménade chinoise qualifie de «réactionnaires » les propositions soviétiques, les regarde comme «un opium à cent pour cent, visant à endormir les peuples », et elle apostrophe les gens de Moscou en ces termes : « Votre expansionnisme et votre égoïsme nationaux sont tels que depuis longtemps il est difficile de distinguer votre visage de celui de l'impérialisme, du colonialisme et du néo-colonialisme. Qui se ressemble, s'assemble.» Le délégué soviétique estime que « les Chinois développent des thèses racistes», aveuglés qu'ils sont par « l'orgueil et le chauvinisme». Un des Chinois, le surlendemain, crie aux Soviétiques : « Vous êtes moralement responsables de l'assass~at .de ~a?'Ïce Lumumba ! » et leur reproche d avoir exige de l'or en remboursement de l'aide fournie pour la guerre de Corée. Le porte-parole soviétique, B. Gafourov, dira le Ier avril : « La politique actuelle de la Chine, raciste et chauvine, ne diffère pas du nazisme... » Aucune personne sensée ne découvrira, dans ces accusations réciproques de nationalisme, d'impérialisme, de colonialisme, de racisme et de chauvinisme, le moindre marxisme. B. Gafourov dit encore : « Les Français comprennent-ils que les Chinois veulent unir les . races jaune et noire contre les Européens, contre les Blancs, quels qu'ils soient ?... La propagation du nationalisme et du chauvinisme par les Chinois n'est pas dangereuse seulement pour !'U.R.S.S., mais pour tous les pays d'Europe et d'ailleurs. » Il déclare que les communistes chi- . nois se sont conduits comme de vrais hooligans, désapprouvés par la conférence d'Alger, sauf par quelques individus « qui vivent de l'argent des Chinois». Le moins qu'on puisse dire de tels commentaires, c'est que le marxisme se trouve hors de cause. Le 31 mars, Khrouchtchev arrive à Budapest pour apprendre que Mao le voue aux gémonies comme « le plus grand capitulard de l'histoire ». Le même jour, même lieu, les juristes communistes déguisés en «démocrates» s'entraccusent d'impérialisme. Le 3 avril, Souslov taxe les Chinois _d'aventurisme petit-bourgeois, et de tous les, ismes opposés au m~sme, réquisitoire prolonge par Khrouchtchev dans les deux semaines qui suivent. Ainsi les uns et les autres, qui s'y entendent, ont-ils amplement dénoncé l'antimarxisme systématique des uns et des autres. S,euls. des « impérialistes » aveugles et sourds s obsttnent à ne pas comprendre et à exorciser un marxisme fantomatique. B. S.

DE LA « NEP » A LA COLLECTIVISATION par N. Valentinov DANS QUELLES CONDITIONS le P.C. soviétique a-t-il pu glisser de la nep, décrétée par Lénine « pour de bon et pollr longtemps », à l'abandon complet de cette politique, à l'anéantissement des moindres signes de capital privé, à l'intégration forcée des petits industriels et des artisans dans les coopératives d'Etat ? Quel ensemble d'idées a abouti à ce résultat ? Infirmons tout d'abord une opinion erronée fort répandue. On croit généralement que la nep, appliquée par Lénine en 1921, a duré huit ans et qu'elle a été brusquement supprimée en 1929 avec la mise en train du premier plan quinquennal. La nep n'a pas succombé subitement en 1929: elle a été battue en brèche, idéologiquement et pratiquement, aussitôt après la mort de son -promoteur. Déjà du vivant de Lénine, Trotski, .dans la préface de la deuxième édition de I905, parue en 1922, prit très nettement position contre l'idée fondamentale de la nep, à savoir _qu'il était possible d'instaurer le socialisme avec le concours volontaire de la classe ouvrière et du paysannat, sans grever celui-ci d'un impôt exorbitant, en lui fournissant en échange de ses produits des articles manufacturés, sans le contraindre à la collectivisation par la violence. Trotski estimait que le prolétariat doit entrer fatalement . -en conflit avec les grandes masses du paysannat dont l'appui l'a porté au pouvoir. Dans les conditions de l'Etat ouvrier, dans un pays arriéré où la population paysanne est en écrasante majorité, les antagonismes ne peuvent trouver leur solution qu'à l'échelle internationale et dans le champ clos de la révolution mondiale. Trotski n'était pas seul à penser ainsi. Cette doctrine marxiste était communément admise. Pour de nombreux membres du Parti, elle n'était pas conciliable avec la nep. L'accroissement des couches sociales aisées des campagnes, leur alliance avec le commerce et l'industrie privée en plein développement, inquiétaient les miliBiblioteca Gino Bianco tants. A très peu d'exceptions près, ils partageaient l'opinion de Trotski, pour qui le développement réel de l'économie socialiste de la Russie ne sera possible qu'après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d'Europe. 1 Le fait que la révolution mondiale tardait à venir désespérait beaucoup de communistes. Ceux-ci, niant la possibilité d'instaurer le socialisme dans un seul pays, prétendaient, comme Zinoviev en 1925, que cette idée « dégage un relent de nationalisme étroit». Nourrie de ces idées, une opposition contre la nep se forma dans le Parti. En dehors de Trotski, des communistes éminents comme Piatakov, Radek, Racovski, Smilga, Lachévitch, Mouralov, I. N. Smirnov et d'autres encore faisaient partie, dès 1923-24, de cette opposition. Son importance s'accrut sensiblement quand, .en 1925, de hauts dignitaires tels que Zinoviev et Kaménev rejoignirent ses rangs. Que voulait l'OJ?posi~on? Selon eµe, le Parti ne pourrait se mamterur au pouvoir qu'en dével9ppant la combativité du prolétariat, considéré comme classe dirigeante; pour cela, il fallait constamment augmenter ses salaires et améliorer ses conditi?~s d'existence. Lorsqu'on répondait à l' oppos1t1on que, dans l'industrie socialisée, la progression des salaires ne pouvait aller que de pair avec l'accroissement de la productivité du t~avail, elle rétorquait que c'était là cc une conception typiquement capitaliste de la rémunération du travail » 1 • Pour éviter que le peu nombreux prolétariat russe soit noyé dans « l'océan du paysannat hostile », l'opposition estimait nécessaire d'accroître considérablement les effectifs ouvriers en accélérant l'industrialisation. Revendiquant une augmentation des salaires et un accroissement concomitant des biens de consomI._ Cf. Tirzbanourt : L'Opposition unifiée et les problèmes du travail, p. 36. .

N. V:ALENTINOV mation, elle réclamait en même temps une accumulation maximale du capital pour développer l'industrie. Dans le Bolchévik (n° 18, 1926), D. Maretski, un des plus proches collaborateurs de Boukharine, écrivait : L'opposition réclame une surindustrialisation accélérée et attaque le Comité central parce que les investissements sont « honteusement dérisoires ». D'autre part, elle ne cesse de hurler que le niveau de vie du prolétariat progresse trop lentement, car la production des biens de consommation est trop faible. D'un côté, elle crie que l'accumulation avance « à pas de tortue », que l'industrialisation est en retard et qu'elle crée une menace pour la dictature du prolétariat; de l'autre, que « la toile de coton et le pétrole manquent et qu'il y a disette de marchandises». L'opposition avait les yeux fixés sur les campagnes. La moindre amélioration des conditions de la vie rurale était pour elle la preuve que les paysans aisés se transformaient en koulaks, suivant ~Ile, les pires ennemis dul régime soviétique. Le fait caractéristique, selon la juste remarque de Rykov, était que l'opposition ignorait systématiquement la différence entre le paysan aisé et le koulak. Dès 1922, c'est-à-dire du vivant de Lénine, dans la deuxième année de la nep, E. Préobrajenski, futur opposant notoire, parlait du danger que . des rangs de la masse des paysans moyens une couche de paysans économiquement forts ne cherchent de plu~ en plus [quelle abomination ! N. V.] à améliorer la ~turc agricole et à accroître le rendement par un effort intensif de l'entreprise individuelle. Voyant dans le village la couveuse d'où sortaient les futurs koulaks, l'opposition s'acharn~t à aggraver la lutte de classe à la campagne et à « dépouiller le koulak». Staline qui, à l'époque, défendait la nep et reprenait docilement les arguments de Rykovet de Boukharine, laissa échapper, au XIV° Congrès, des propos qui ne manquent pas de franchise : · Si l'on demande aux communistes à quoi le Parti est le plus enclin, à dépouiller le koulak ou, pour éviter cela, à s'allier avec le paysan moyen, je crois que sur 100 communistes, 99 diraient que le Parti est plus que tout préparé au mot d'ordre : « Sus au koulak 1» Qu'on lance ce mot d'ordre et en un clin d'œil le koulak n'aura plus rien sur le dos. Quant à ne plus « dékoulakiser » et à mener une politique plus subtile, la chose n'est pas facile à digérer. Avec ses idées, ajoutait Staline, l'opposition mène à l'exaspération de la lutte de classe au village, au· retour à la politique de dékoulakisation des comités de paysans pauvres, par conséquent à la guerre civile. Trois ans et demi plus tard, Staline, reprenant les thèses de l'opposition, allait proclamer la liquidation des koulaks en tant que classe. Quand on demandait à l'opposition où prendre les moyens de financer la surindustrialisation, elle répondait : il faut, pour l'accumulation[ du capital, relever les prix de vente de l'industrie 1;3ibliotecaGino Bianco 73 socialiste, toutefois de telle façon que ce ne soit pas le prolétariat qui ait à en pâtir, mais les autres secteurs de la population, et surtout le paysannat ; il faut se procurer les ressources nécessaires en imposant au maximum le commerce privé [quitte à le rendre impossible...] ; collectiviser les petites entreprises paysannes et en faire le support matériel de l'Etat prolétarien. Dans cette revendication perçait déjà l'intention de faire du paysannat une masse réduite à l'esclavage pour alimenter l'industrie socialiste. E. Préobrajenski soutenait, avec un cynisme incroyable, la nécessité d'exploiter les masses paysannes. Staline, quelque temps plus tard, reprit cette théorie pour lancer ses plans quinquennaux. Dès 1923, Préobrajenski avait commencé à motiver sa. position dans un article du Messager de l'Académie communiste (huitième livraison) : «De la loi de l'accumulation primitive». En 1925, il écrivit une suite : «De la loi de la valeur dans l'économie soviétique », article qui, joint au précédent, forma la matière de La Nouvelle Economie. Prenant le contre-pied de la nep, Préobrajenski n'admettait pas l'existence, parallèlement à l'entreprise socialisée, d'entreprises paysannes, industrielles ou commerciales : «Un système doit dévorer l'autre. » L'entreprise socialiste devait «dévorer» l'entreprise privée et disposer de ses ressources. Il était impossible, avec les moyens de la seule entreprise nationalisée, d'organiser le socialisme. Celui-ci devait tirer ses ressources des «formes non socialistes de l'économie », ou, comme l'écrivait Préobrajenski en 1923, exploiter les formes présocialistes de l'économie (•..). L'idée que l'entreprise socialiste peut se développer d'elle-même sans toucher aux ressources de l'entreprise petite-bourgeoise, y compris l'entreprise paysanne, est une utopie réactionnaire (sic) petite-bourgeoise. Exploiter les ressources de l'entreprise paysanne et petite-bourgeoise, les adjoindre au capital socialiste, Préobrajenski appelait cela la loi de l'accumulation socialiste primitive (...). La loi fondamentale de l'économie soviétique est précisément la loi de l'accumulation socialiste primitive. Développant son idée, il écrivait : ·Plus un pays qui passe à l'organisation socialiste est économiquement arriéré, petit-bourgeois, plus réduit sera l'héritage que recevra, dans le fonds' de son accumulation socialiste, le prolétariat de ce pays au moment de la révolution sociale, et aussi plus l'accumulation socialiste devra être fondée sur l'aliénation du produit [ « sur l'exploitation », écrivait Préobrajenski en 1923] des formes présocialistes de l'économie. Le livre de Préobrajenski (fusillé en 1936 sur l'ordre de Staline), est certes éloquent. Toute l'odieuse philosophie qui devait ensuite imprégner les quinquennats staliniens y est condensée en termes volontairement cyniques. Le livre de

74 Préobrajenski et l'impression qu'il produisit dans certains milieux du Parti attestent que les ~d~s q~, e~ U.R.S.S., devinrent, en 1929, des 1dees directnces, ne sont pas tombées du ciel, ne datent pas du tournant de 1928-29, mais circulaient depuis des années. Il fallait seulement que se présentât l'homme capable de mettre en pratique les conceptions monstrueuses de Préobrajenski. Staline fut cet homme. Il va sans dire que ces conceptions révoltèrent les adeptes de la nep et la fraction ·1a meilleure, la moins barbare du Parti, les« droitiers». N. Boukharine écrivit contre Préobrajenski et le trotskisme l'excellente brochure: Nouvelle découverte sur l'économie soviétique ou la manière de détruire le bloc ouvrier-paysan (1925). Sur le même sujet, Goldenberg fit une critique incisive dans « Les pro~lè_mes du cours économique» (Bolchévik, 15 Jwn 1926). Ajoutons-y les articles publiés dans le recueil : De la plate-forme de l'opposition, paru cette même année 1926. Un grand nombre d'articles contre l'opposition furent également publiés à l'époque dans la Pravda dont Boukharine était alors le rédacteur en chef, et dans d'autres publications soviétiques. L'analyse et la critique des conceptions de Trotski, de Préobrajen~ki et consorts étaient si pertinentes qu'on pouvait penser que cette tendance ne s'en relèverait pas. Le contraire s'est produit. En se fixant dans l'esprit de Staline, les conceptions de Trotski et de Préobrajenski prirent la forme la plus inhumaine et devinrent des idées directrices vingt années durant (1929-49). Pour montrer comment s'est opéré le glissement aux idées de l'opposition, nous utiliserons les matériaux puisés dans une publication du Parti intitulée : Le Parti communiste de l'Union soviétique à travers les motions et les décisions de ses conférences et congrès. Le XIIIe Congrès (23-31 mai 1924) fut le premier qui suivit la mort de Lénine... Payant tribut aux aberrations trotskistes, la résolution déclare que le Comité central se rend parfaitement compte de la croissance, inévitable dans la période actuelle, d'une nouvelle bourgeoisie (...). La liquidation en cours des enclaves, le passage massif des paysans aux terres d'un seul tenant et détachées de la communauté villageoise, l'ardent désir des cultivateurs d'améliorer leur exploitation font que les paysans moyens et aisés commencent à relever la tête. Plus loin, la résolution souligne que l'alliance de l'industrie d'Etat avec le paysannat es directement menacée du fait que le marché, qui demande à être encore développé, est déjà en majeure partie accaparé par le commerce privé. Après ce coup de barre à gauche, pour éviter les dangers découlant de la nep, le Congrès donne aussitôt un coup de barre à droite en déclarant qu'il serait inadmissible d'adopter, · Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL dans le domaine du commerce privé, des mesures qui pourraient avoir pour effet de réduire ou d'entraver les courants d'échanges. D'après la résolution, ce serait une erreur de ne voir dans la suppression des enclaves ou des lopins de terre situés loin des fermes qu'un facteur renforçant les couches sociales aisées des campagnes. Sans ces mesures, « le développement de l'agriculture serait impossible ». Et le XIIIe Congrès élit au Comité central un grand nombre de représentants qui, trois ans plus tard, au xve Congrès (1927), seront chassés du Parti comme opposants dangereux. Au Comité central tenu du 17 au 20 mars 1925, la question de l'opposition revient sur le tapis. La majorité se rend compte que la critique de · l'opposition ébranle de plus en plus la nep. Pour mettre fin à cette critique, les majoritaires décident de prendre à partie Trotski, qui est le chef de l'opposition. Staline s'en charge. Devant le C.C., il accuse Trotski de se faire le champion d' « un bolchévisme modernisé sans léninisme » et d' «un communisme frelaté de plus en plus proche des échantillons européens de pseudomarxisme ». Trotski était alors président du Conseil révolutionnaire de la Guerre. Estimant qu'à ce poste Trotski est en mesure d'agir sur les milieux militaires, le Politburo met le Parti en garde contre lui et l'écarte du Conseil révolutionnaire, le prévenant que s'il persiste, il sera évincé du Politburo et chassé du Comité central. (?r?indépendamment de,1~propagande de l' oppos1t1on à Moscou et à Lerungrad, le Parti, surtout les cellules de la base, sont, d'instinct, contre la nep ; les autorités locales créent toutes sortes d'ob~t~cles au co~erce privé. Cependant, le Comite central, reuru du 23 au 30 avril 1925, donne l'ordre de « supprimer les entraves administratives mises au petit commerce paysan sur les marchés ». A la 14e Conférence du Parti (27-29 avril 1925), le problème de la nep revient en discussion. Avant· la Conférence, Boukharine et Rykov posent catégoriquement la question : il faut soit s'incliner devant l'opposition et admettre que la nep est une erreur ou qu'elle a fait son temps, soit appliquer les mesures que réclame l'essence même de la nep. Ils soulignent que l'on doit, notamment, tolérer dans les campagnes l'emploi. du t~avail.salarié, _rendu nécessaire par les besoms sa1sonnters (moisson, etc.), autoriser l'affermage à court terme partout où cela peut entraîner u1:1eaugmentati~n de la production, renoncer à 1nclure les artisans dans la catégorie des éléments bourgeois non travailleurs améliorer la situation de l'industrie artisW:ale au village en réduisant les impôts. . Cons~dérant que l'écart entre les hauts prix mdustnels et les bas prix agricoles fait peser une menace sur l'alliance de la ville et de la campagne, les majoritaires, menés par Rykov et Boukharine, réclament une diminution des

, N. VALENT/NOV prix industriels, prenant ainsi le contre-pied de l'opposition (Piatakov et consorts sont au Conseil supérieur de l'Economie) qui veut, au contraire, relever ces prix. Toutes les propositions mentionnées (et qui devaient peu après être considérées comme l'expression du déviationnisme de droite et de l'esprit koulak) furent adoptées par la 14e Conférence. Mais le Parti qui, déchiré par les contradictions, n'a, dans sa grande majorité, accepté la nep que du bout des lèvres, ne pouvait s'en tenir là. Après avoir voté les propositions des droitiers, il pencha aussitôt à gauche et, allant au-devant des desiderata de l'opposition, déclara qu' «il faut accorder plus d'attention que jusqu'à présent à la collectivisation de l'agri-. culture». En outre, comme si elle approuvait implicitement la position de Trotski, la Conférence décida que le devoir de !'U.R.S.S. est d'aider les ouvriers [étrangers] à préparer leur révolution prolétarienne, car la révolution en U.R.S.S. ne peut avoir de bonnes assises si elle n'est pas soutenue par la révolution sinon dans tous les pays, du moins dans quelques-uns des principaux pays capitalistes. Cinq mois après la 14e Conférence, le Comité central, réuni du 3 au 10 octobre 1925, reprend la question de la collectivisation. Mais cette fois (et c'est encore une importante concession faite à l'opposition), le C.C. insiste sur la collectivisation; il s'agit, en l'occurrence, d'un véritable ordre impératif : [il faut] « soutenir par tous les moyens l'organisation des kolkhozes». Deux mois et demi plus tard, un heurt d'une extrême violence se produit au xve Congrès entre les dirigeants majoritaires et l'opposition. Des discussions orageuses se prolongent pendant quatorze jours (18-31 décembre 1925). Aux côtés ·de l'opposition entrent en lice dès ce moment des hommes, tel Zinoviev, investis de grands pouvoirs. L'opposition, qui dispose de nombreux orateurs, attaque résolument le Comité central. Elle souligne que : 1. les salaires ouvriers ne s'accroissent pas suffisamment vite ; 2. les cadres prolétariens sont infimes et noyés dans l'énorme masse paysanne ; seule la révolution mondiale, l'industrialisation accélérée et la collectivisation peuvent nous tirer d'une situation sans issue ; 3. les koulaks se développent dans des proportions menaçantes ; 4. l'industrie d'Etat perd son caractère socialiste et se transforme en capitalisme d'Etat. 1 . Au nom du Comité central, Staline présente au Congrès le rapport politique dont la partie essentielle critique la surindustrialisation, thèse majeure de l'opposition. Au fond, Staline n'ajoute rien à ce qu'ont déjà dit Boukharine,· Rykov et tous les économistes du Parti. Mais après son discours, comme toujours équivoque sur bien des choses et conçu selon les principes de la science économique bourgeoise, Staline reprendra peu après à son compte toutes les déclarations de l'opposition vaincue et verra dans les idées Biblioteca Gino B.ianco 75 qu'il s'est appropriées le produit de son « esprit génial » : On pourrait assigner deux fois plus de crédits au développement de l'industrie, mais nous aurions là un rythme de développement industriel si rapide que nous ne pourrions pas le soutenir, vu la grande pénurie de capitaux disponibles ; il est donc certain que nous irions à l'échec. On pourrait pousser le développement de nos importations, doubler ce que nous importons aujourd'hui, pour développer notre industrie à des rythmes forcenés [ce qu'il fit en 1930-33. N. V.], mais il en résulterait que les importations dépasseraient les exportations, que nous aurions une balance commerciale déficitaire, que notre monnaie serait compromise (sic). On pourrait, quelles qu'en soient les conséquences, pousser nos exportations à des rythmes forcenés, sans tenir compte de la situation sur le marché intérieur [ce qu'il fit là encore en 1930-33. N. V.], ce qui entraînerait nécessairement de grandes complications dans les villes : hausse forcenée des prix des produits agricoles, et par conséquent baisse du salaire réel. On pourrait augmenter tant et plus les salaires, les porter au niveau d'avant guerre, voire plus haut, mais cela ralentirait le rythme de développement de notre industrie, car l'essor de l'industrie dans les conditions actuelles, étant donné l'absence d'emprunts extérieurs et le manque de crédits, n'est possible que s'il repose sur l'accumulation d'un certain profit nécessaire pour financer et alimenter l'industrie, toute accumulation digne de ce nom devenant impossible si la cadence de la hausse des salaires prenait un caractère trop rapide. Comme Boukharine, écrivain, publiciste, bon orateur et excellent économiste, était pratiquement l'idéologue des dirigeants majoritaires, l'opposition dirigeait de préférence ses attaques contre lui. Les initiés savaient que Staline jalousait Boukharine et n'attendait que le moment de se débarrasser de lui. Mais il en avait encore grand besoin : il le prit donc ostensiblement sous sa protection : Au fond, qu'est-ce que l'opposition veut de Boukharine ? Elle veut sa tête ! C'est là précisément ce que réclame Zinoviev en envenimant la question dans sa péroraison contre Boukharine. La tête de Boukharine ? Nous ne la donnerons pas, sachez-le (...). Sans Rykov, Kalinine, Tomski, sans Boukharine, on ne peut pas diriger le Parti. Rappelant que Zinoviev, avant qu'il ait rejoint l'opposition, réclamait, èn 1924, l'exclusion de Trotski, Staline s'écria : La politique d'amputation est lourde de périls; les méthodes qui consistent à verser le sang sont contagieuses; aujourd'hui, c'est celui-ci qu'on ampute; demain, c'en est un autre ; après-demain, un troisième ; que nous resterait-il alors dans le Parti ? Mensonge et hypocrisie. L'homme qui, plus tard, fit assassiner par groupes entiers ses camarades, voulait se faire passer pour l'impartial et loyal secrétaire général qui, défendant l'unité du Parti, est tellement sensible à la critique qu'il est« prêt à abandonner sa place [de secrétaire général] sans bruit, sans discussion, publique ou privée ».

76 TRÈS INTÉRESSANTES sont les décisions essentielles du XVe Congrès. On y retrouve le même amalgame de principes et de déclarations inconciliables, pris tantôt chez les défenseurs convaincus de la tiep, tantôt chez ses adversaires non moins convaincus. D'une part, le Congrès, penchant pour Boukharine et Rykov, auxquels Vorochilov, Kalinine, Roudzoutak emboîtaient le pas, ratifia toutes les décisions de la 14e Conférence: extension du droit d'affermer la terre, emploi de la main-d'œuvre salariée dans les campagnes, aide à l'industrie artisanale, etc. D'autre part, penchant pour Trotski et Zinoviev, pour qui sans révolution mondiale il n'y a pas de socialisme possible en U.R.S.S., le Congrès proclama qu'il fallait« s'orienter sur le développement et la victoire de la révolution mondiale » et «prendre les mesures nécessaires pour accroître la puissance de l'Armée et de la Marine rouges». En même temps, s'écartant de Trotski et de Zinoviev, le Congrès déclara que le socialisme peut être édifié dans un seul pays, puisque «le nôtre possède tout ce dont il a besoin pour instaurer le socialisme intégral ». Au cours de l'année 1925, la lutte entre partisans et adversaires de la nep - aggravée par la tension des rapports à l'intérieur du Parti, par la décision de l'opposition d'organiser des réunions dans les usines, réunions qualifiées d' «illégales» par le C.C. - s'envenime au point que le Politburo exclut Zinoviev de ses rangs et destitue Lachévitch, trotskiste notoire, de ·ses fonctions de vice-président du Conseil militaire révolutionnaire. La 15eConférence, tenue du 26 octobre au 3 novembre 1926, consacre la victoire des conceptions de Boukharine-Rykov. Elle repousse la «démagogie irresponsable » de l'opposition sur le relèvement des salaires, relèvement qui, en raison de la hausse de l'indice des articles manufacturés, entraînerait fatalement la hausse, plus forte encore, des prix, la dépréciation du rouble et, par là même, la baisse du salaire réel. La Conférence refuse, comme le voudrait l'opposition, d'augmenter les prix industriels et d'imposer au maximum le paysannat : Toute tentative [ceci dit à l'adresse de Préobrajenski] de considérer le paysannat uniquement comme , une masse imposable, afin d'accroître, par une fiscalité excessive et une hausse des prix industriels, les ressources prélevées sur le paysannat, paralyserait inévitablement le développement des forces productives à la campagne. Au Comité central réuni conjointement avec la Commission centrale de contrôle le 3 novembre 1926, la bataille se livre de nouveau autour de l'abolition du commerce privé proposée par l'opposition : ._ Ce serait surestimer nos forces et aller_trop vite en besogne, déclare le c.c~, que de nous assigner d~s maintenant la tâche d'éliminer du marèhé le capit!:ll Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL privé et de concentrer dans les mains des ·coopératives et des magasins d'Etat cent pour cent du commerce. . Passons sur les résolutions adoptées par le C.C. au cours de ses réunions ultérieures pour· arriver à la réunion du Comité central tenue du 21 au 23 octobre 1927, où les chefs de l'opposition, Trotski et Zinoviev, furent exclus du C.C. S'adressant au Parti, le .Comité central fera la déclaration suivante qui concorde entiè1ement avec la politique préconisée par Boukharine et Rykov: On ne peut vouloir simultanément une accumulation maximale ayant pour but d'accélérer l'industrialisation et une consommation maximale [de produits manufacturés] qui se traduirait par une demande d'augmentation maximale des salaires. Six semaines après s'ouvrit le xve Congrès (2-19 décembre 1927), dont les délégués furent si bien triés par Staline qu'ils exclurent du Parti soixante-quinze des leaders les plus en vue de l'opposition trotskiste (parmi lesquels Kamenev, Radek, Piatakov, Racovski et autres) et vingttrois membres de la tendance dite de SapronovV. M. Smirnov. Logiquement, l'expulsion de l'opposition signifiait le rejet intégral des conceptions de celle-ci, le Congrès· ayant déclaré que « l'appartenance à l'opposition trotskiste et la propagande de ses idées sont incompatibles avec la qualité de membre du Parti ». Ce fut le contraire qui se produisit. Une fois l'opposition écrasée, le Congrès en reprend manifestement les conceptions. Il donne pour directive d'accélérer les rythmes d'industrialisation, notamment pour la grande industrie. Le cinquième quinquennat, en voie d'élaboration, devra accorder le maximum d'attention au rapide développement des branches industrielles chargées de doter la défense du pays des moyens nécessaires. Le Congrès déclare : 1. «la transition de la petite ·entreprise paysanne à la grosse exploitation agricole, la transition à la culture collective, doit être considérée comme la tâche la plus urgente»; 2. «une politique encore plus radicale d'élimination économique doit être appliquée» aux éléments qui constituent le secteur économique capitaliste; 3. «une accélération des rythmes d'intégration des artisans dans les coopératives » est indispensable... La lutte contre l'opposition, puis sa .défaite (suivie notamment de la déportation de Trotski en Asie centrale), sont illustrées par l'adoption de certaines de ses idées, ce qui apparaîtra encore plus nettement à partir du XVe Congrès. Et comme l'orthodoxie marxiste pouvait difficilement cohabiter avec la subtile politique imposée par la «philosophie » de la nep, le Parti était plus enclin à « dépouiller le koulak» qu'à concilier l'une ~t l'autre. En 1927, à Moscou, en même temps qu'un sentiment de crainte, une impression indéfinissable.

N. VALENTINOV qu'un changement lourd de conséquences était sur le point de s'accomplir gagnait la masse du Parti. L'ascension de Staline est de plus en plus évidente, son pouvoir s'accroît d'une année à l'autre. A peine Staline a-t-il vaincu l'opposition qu'il prend position contre Rykov, Boukharine, Tomski et autres partisans de la nep, lesquels n'ont pas tardé à comprendre qu'ils ont tiré pour lui les marrons du feu. Dès le premier semestre de 1928, aux réunions du Politburo et du Comité central, Staline (que Kalinine, Vorochilov, et, bien entendu, Molotov ont rejoint) multiplie les heurts avec les partisans de la nep. Ceux-ci ont remporté leurs dernières victoires, plus apparentes que réelles, en avril et en juillet 1928, c'est-à-dire après les événements qui, cette année-là, ont ébranlé les campagnes : les paysans, réduits au désespoir par les livraisons obligatoires pour l~squelles on leur a payé des prix dérisoires et remis bien souvent de simples obligatj.ons d'Etat, ont commencé, depuis janvier 1928, à freiner les livraisons. Les autorités locales, stimulées par le Kremlin (à l'insu du Politburo, une circulaire « ultra-confidentielle » a été envoyée par Staline à tous les secrétaires provinciaux du Parti) ouvrent les hostilités dans les campagnes. Perquisitions et arrestations en masse, confiscation du blé et interdiction de vendre et d'acheter des céréales, fermeture des marchés et création des brigades volantes, « charrettes rouges » chargées de blé confisqué et dirigées de force, drapeau rouge au vent, sur les gares de chemin de fer... L'action terroriste déclenchée contre les campagnes et dont on murmurait dans les villes qu'elle sonnait le glas de la nep, rappelait les plus mauvais jours du communisme de guerre. Les trotskistes se mirent alors à envisager l'envoi d'une « adresse spéciale au vie Congrès de l'Internationale» pour déclarer que depuis qu'en janvier le Parti a commencé à prendre des mesures extraordinaires dans les campagnes, déclenchant ainsi l'offensive contre le koulak, les rapports de l'opposition avec le Parti doivent être revisés. Celle-ci se bornait à manifester la crainte que tôt ou tard, les droitiers n'en viennent à exiger que ces mesures soient rapportées (Rykov : La Période actuelle et les tâches du Parti, 1928, p. 34). A la réunion du Comité central tenue du 6 au 11 mars 1928, Rykov, Boukharine et Tomski condamnè~nt la, politique de violence appliquée aux campagnes et obtinrent du C.C. qu'il reconnaisse ouvertement que des «excès» avaient été commis par les dirigeants locaux du Parti et des soviets. Le Comité central ajoutait que « l'agitation néfaste des koulaks, des nepmans et de leurs auxiliaires à propos de l'abolition de la nep doit se heurter à la riposte du Parti ». Comme les «excès» en province n'en continuaient pas moins, les défenseurs de la nep soulevèrent de nouveau la question au Comité central qui se réunit du 4 au 12 juillet 1928. Là encore, Rykov et BouBiblioteca Gino Bianco 77 kharine eurent, en apparence, gain de cause, le C.C. reconnaissant en effet que « la petite et moyenne entreprise paysanne restera longtemps encore la base de la production des céréales dans le pays». Néanmoins, pour faire contrepoids, le C.C. mit l'accent sur la résolution du xve Congrès enjoignant «la transformation des petites entreprises paysannes en grandes exploitations collectives ». Ce que ces mots recouvraient, Staline l'avoue dans son discours : · Nous n'avons pas de colonies, on nous refuse des emprunts, par conséquent voici notre arme : le tribut levé sur le paysannat. C'était admettre sans réserve la « loi de l'accumulation socialiste» proposée par Préobrajenski. Et le mot «tribut » annonçait déjà les horreurs de la collectivisation prochaine. Après la réunion du Comité central, les principaux représentants des tendances antagoniques, c'est-à-dire Staline, qui s'était emparé des idées de l'opposition, et Rykov, qui défendait les principes léninistes de la nep, prirent la parole, Staline à Pétrograd, Rykov devant les militants de Moscou. Les lzvestia du I 5 juillet publièrent sur la même page le compte rendu de ces discours, en soulignant que le discours de Staline avait été ponctué par de « vifs applaudissements prolongés », celui de Rykov, par des «applaudissements». Le fait de signaler la «vigueur des applaudissements » était quelque chose d'inusité jusqu'alors à l'égard des membres du Politburo; jusqu'ici, tous avaient été traités sur le même pied. Maintenant, on faisait comprendre à la population que «l'éclat du soleil est une chose, l'éclat de la lune en est une autre ». En se lançant dans une publicité tapageuse, Staline accomplissait en catimini sa marche au pouvoir absolu. Que dirent Rykov et Staline dans leurs discours ? L'industrialisation du pays, déclarait Rykov, dépend évidemment, dans sa phase actuelle, des ressources qu'il faudra pomper dans le secteur non socialisé pour les déverser dans le secteur socialisé. L'industrialisation ne peut se passer de cette substance complémentaire prélevée sur les autres branches économiques, attendu que nous ne bénéficions d'aucun apport tant soit peu important de capitaux étrangers (emprunts ou crédits). Mais nous ne nous donnons pas pour but essentiel de pomper des ressources de plus en plus grandes [à la manière de Préobrajenski. N. V.], ce qui, sur le plan économique, entraînerait la ruine de l'entreprise paysanne et, sur le plan p·olitique, la rupture du bloc ouvrier et paysan (...). Un des camarades investis des plus grandes responsabilités [Staline] disait récemment que les forces productives se développent chez nous sous les formes de la collectivisation et qu'elles ne sauraient se développer autrement. Admettons un instant que 100 millions de paysans aient cru ce camar~de. Comment après cela iraient-ils défendre le pouvoir soviétique ? Les camarades qui ont fait une croix sur le développement des entreprises agricoles individuelles s'en tiennent à des conceptions erronées et néfastes. Le rendement moyen à la déciatine est

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