LÉON EMBRY modifiées, la politisation des enseignants se fait moins vite et moins nettement. Mais une autre ·fondation est posée, qui dicte une sorte de loi tectonique; l'extension indéfinie et tentaculaire de l'école implique évidemment que seul l'Etat peut faire les frais de l'ent~ep~se, ce qui le qualifie pour en prendre la direction d'une manière à peu près univoque. Le monopole de l'enseignement est donc en vue et n~us ~o?s dirigeons vers lui comme par nature ou necess1te; on le conteste, et les réformateurs mettent grand soin à distinguer nationalisation et monopole, mais n'est-ce pas jouer sur les mots ? Sans. doute le monopole universitaire n'existe en toute ngueur que dans les pays communistes, constatation très éloquente au reste ; mais dans la ~esure où. l'Etat fournit les crédits et les subvennons, forme le personnel définit les titres de capacité, son ' d ,, dr contrôle et son emprise ne cessent e s ete~ ~' même· si l'on maintient dans le réseau des 1nst1tutions scolaires certaines formes de libéralisme, même si l'on prétend respecter les initiati~es des Eglises, des municip_alités, ~es,..pouvoirs locaux. L'alignement se fait de lw-meme et la pesée officielle, coD;sidér~b~e1;11a~cnctrue par celle des syndicats, devient rrres1st1ble.Sous quelque patronage que ce so~t?l'ensei~e~ent libre m~- tient certaines pos1t1ons, mais il est co1:1tr~t pour vivre, et même pour conserver sa clientele en la faisant passer par le canal des. examens et concours officiels, d'aliéner progressivement son indépendance ; la nationalisation se fait ou se prépare avant d'être décrétée, de même qu'en nombre de secteurs de la vie économique elle supprime l'initiative privée avant m~me que se définisse légalement un nouveau statut. De la prépotence de l'Etat en, m~t~è~ed'enseignem7nt, les suites sont à peu pres inev1tables et se de~eloppent d'un mouvement fatal. Au . J?remier degré et comme pour marq~er la__tr~sition, o~ imprègne l'école d'un esprit utilitaire,. on !u1 assigne la recherche du rendement, on y ~ntrom~e plus ou moins explic~tement. un~ philosop~e dominée par la sociologie, le scientisme, le m~terialisme historique qu' ?n pr?fesse ~a°:s me~e s'en apercevoir; le climat etant amsi forme, l'heure de la pleine récolte viendra tôt ou, tard, l'Université n'étant plus qu'un appareil d'Etat conçu pour enseigner 7~ imposer massiv~~ent une doctrine et une polinque. Ce que fut ~ ecole dans l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie, ce qu'elle est en Russie soviétique, en Chine, à Cuba et chez tous les satellites, nous n'avons guère besoin de l'exposer; mais le ~rob!ème est de savoir si nous marchons dans la direcnon dont nous voyons trop clairement le terme. Revenant au plan Lan~evin-~ allon? on yoit bien maintenant comment il a mis en c1rculat1on, précisé vulgarisé des notions-clefs telles que la sélectidn et l'orientation. Il s'agissait d'abord de faire entrer dans les lycées non plus les fils des riches et des bourgeois, mais l~s, élèves !es ph.;s méritants ; les étapes ayant ete franch1es Biblioteca·Gino Bianco5 plus vite qu'on ne pensait, la question se pose maintenant sous un autre aspect. En fait, le passage par l' e?seign~me~t seco~d~e est ,en train de devemr obligatoire, pu1squ on releve sans cesse l'âge-limite de la scolarité; mais comme il serait évidemment trop absurde d'entasser tous les enfants dans les mêmes classes, il n'est pas d'autre solution que la création de séries parallèles dont on déclare qu'elles sont équivalentes en dignité. Le plus ~élicat est. ~ès lors de mettre au point les techniques administratives et pédagogiques grâce auxquelles chacun saura dans quelle route il doit s'engager. Passons sur le détail ; le système paraît cohérent et même indiscutable. Deux observations cependant ne peuvent pas être éludées. D'abord - et l'éducateur fût-il l'homme le plus prudent du monde, fût-il bien résolu à ne pas se laisser dicter ses conclusions par des tests d'une navrante sottise - rien ne peut faire que la pratique généralisée ~e l'orientation sélective ne suppose une typologie, une caractérologie, la création d'un corps de psychologues scolaires et d'orienteurs patentés. Que valent, que vaudront ce mécanis?1e,.ce dirigisme: établis sur des bases pseudo-scientifiques tout a fait douteuses ? Le moins qu'on puisse dire, c'est que s'affirmera d~ la sorte, et de plus et?p, lus, la prévalence du social sur la personnalite, le social lui-même étant fonction des intérêts matériels du groupe. La dérive vers la psychotechnique, vers l'emploi des critères qui définissent le bon rendement humain, vers la gymnastique forcenée du cerveau, s'imposera d'autant plus qu'on opérera sur de plu~ .~randes. masses et qu'on voudra en une compet1t1onumverselle obtenir plus vite des résultats mesurab~es: La soumission à la loi des nombres et aux stat1st1ques n'est-elle pas un des traits majeurs de notre temps, une des formes de l'idolâtrie de la science ? Langevin, scientiste et marxiste, Wallon, de même obédience et par surcroît professeur en Sorbonne de psychologie expérimentale, continuent donc à mener avec un indéniable succès leur combat posthume. Admettons maintenant que, selon leur plan, sont établies avec autant de précision que possible ces séries parallèles entre lesquelles les adolescents doivent être soigneusement répartis. On soutient qu'il en doit résulter des équivalences intellectuelles et sociales, attestées ·par les diplômes de fin d'études, mais ce n'est que théorie. Puisqu'il est désormais entendu que l'école des masses est avant tout un moyen de faire carrière, carrière utile et profitable, il est clair que les rémunérations escomptées détermineront dans l'Université, en dépit des constructions premières les plus harmonieuses, le véritable classement des cycles. Tant que les carrières libérales sont encore flatteuses et payantes, le caractère bourgeois et traditionnel de l'enseignement secondaire subsiste dans une certaine mesure, mais d'ores et déjà il est notoire que la physique et les mathématiques sont, pour employer un mot à la mode, plus rentables que la philo-
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