Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

4 lycées d'Etat, est fonction de la montée des classes moyennes, peut ou doit s'interpréter comme un anoblissement de la bourgeoisie. Le bourgeois recevait ainsi, ou bien le vernis mondain propre à le faire entrer dans une large élite cultivée, ou bien les connaissances qui lui réservaient les charges et les carrières libérales. Cela posé, il est aisé de comprendre pourquoi l' enseignem~nt dit du second degré est en pleine crise, contraint de s'adapter à des conditions contradictoires et de vivre dans la confusion. Il voudrait bien conserver quelque chose de son ancienne dévotion à la culture désintéressée; mais comment faire, alors que les classes moyennes se développent au point de devenir majoritaires, que dans tous les pays prospères les ouvriers s'embourgeoisent à vue d'œil et que le point de vue utilitaire s'impose à tous ? Bénéficiaires d'un ancien prestige qui n'a pas tout à fait disparu, appelés à recevoir une clientèle pléthorique où les parvenus prennent une. place crohsante et d'ailleurs légitime, les lycées doivent faire face à la concurrence redoutable d'un enseignement professionnel et technique de plus fraîche date, à celle aussi de créations mixtes qu'on ne sait plus trop comment définir. C'est une loi qu'ils doivent de plus en plus pencher vers leurs adversaires et rivaliser avec eux quant à l'efficacité pratique ; ce qui les sauve, c'est qu'ils ont su demeurer jusqu'à présent la meilleure voie d'accès vers les carrières libérales, les Facultés et les grandes Ecoles. Mais rien ne prouve que leur primauté sera maintenue si nous passons définitivement à l'ère des ingénieurs et des conducteurs de machines. · Reste que, dans l'histoire des systèmes d'éducation, le tournant décisif s'accomplit pendant le dernier tiers du x1xe siècle ; alors seulement se répand dans le monde civilisé l'idée que l'Etat doit assumer, à la place de l'Eglise, le rôle d'instituteur du genre humain, et de créer une école populaire, obligatoire et gratuite. Aujourd'hui, il n'est personne qui, en Afrique comme en Asie, n'entame autant qu'il peut la lutte contre l'analphabétisme et ne s'applique à former des maîtres autant que des ouvriers qualifiés. Que ce soit lié à l'universelle ascension de ce qu'on prétend être la démocratie, qu'il s'y mêle un sentiment national auquel on entend donner une base linguistique, c'est l'évidence, mais il est non moins clair qu'un événement aussi colossal, et somme toute aussi récent, est appelé à retentir sur la vie sociale et même sur la· vie intellectuelle d'une manière que nous imaginons encore bien mal ou bien faiblement. En ~ogique abstraite, l'enseignement populaire ou primaire, dernier venu en date, aurait dû recevoir des leçons de ses aînés et se définir par une réduction _q_eformat, un choix opéré dans des programmes trop étendus pour lui. C'est bien ainsi qµ'il a débuté; mais il agit aujourd'hui par sa masse, par.le-fait qµ'il annexe· un public énorme d'enfiµ1ts .et d'adolescents, s'adjoint un com.pléiuent seconq.aire qu'il marque BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de son sceau, revendique sans cesse de nouvelles dignités, se targue d'apporter une pédagogie moderne fondée sur l'emploi des techniques qui, telles la radio et 1~ télévision, sont en train de • pénétrer partout. Est-ce l'école primaire qui va · tout reconstruire à son image en s'élevant cette fois de bas en haut, de la terre à la cime ? on· voit déjà que le problème de la_ « démocratisation » de l'enseignement en soulève cent autres, aux~ quels on ne pense pas assez et qui remettent en question les bases mêmes de notre civilisation. Si l'on ne peut arrêter .le flot, du moins serait-il bon qu'on essayât de le canaliser et de le conduire avec prudence. * )f )f LES FORCES qui opèrent dans la société moderne font vaciller les institutions scolaires tout en leur assurant une extension soudaine et presque monstrueuse; il n'est pas facile de mettre de l'ordre en ce chaos·mouvant, en cette improvisation continue. Les Français passant pour être un peuple féru de logique, il est naturel de leur demander le programme le plus clair et peut-être le plus élaboré qui soit au monde d'une codification systématique. Revenons pour ce faire au plan Langevin-Wallon, vieux maintenant d'une trentaine d'années, inscrit en partie dans la réalité, qui est toujours la charte ou le cheval de bataille des réformateurs, et notamment des syndicats universitaires. Force est bien de s'arrêter ici sur un détail qui n'en est pas un: nul n'ignore que les auteurs de ce plan furent d'éminents communistes et que le premier occupa des postes considérables dans les filiales du Parti. A qui fera-t-on croire que leur plan reflétait des idées personnelles, détachées de toute contingence ? Qu'il fût destiné à servir, même en toute bonne foi, la cause du marxisme et du communisme, voilà qui n'est pas douteux. On s'insérait dans un processus général, mais pour l'orienter et l'accélérer. Il n'était plus nécessaire de proclamer le droit à l'inst.ruction de tous les enfants et même de tous les adolescents : ce principe n'est plus contesté nulle part. Réserve faite des conséquences lointaines de son application, il en résultait immédiatement deux faits d'une très grande portée. Le premier était le renforcement nécessaire d'une classe enseignante nombreuse et influente dont, pour des raisons que nous avons analysées dans un précédent article, il n'était pas difficile de prévoir qu'elle évoluerait sinon vers le communisme, ao moins vers le « progressisme ». Le rôle · présent des instituteurs, professeurs et étudiants dans les mouvemènts révolutionnaires et la propagande idéologique montre suffisamment la valeur des prévisions qu'on pouvait faire. Il est vrai que dans certains pays, et particulièrement · en France, un facteur .nouveau vient quelque peu amortir la tendance, p~rce que l'enseignement primaire est en train de devenir un métièr féminin. Si les choses n'en sont point radicalem~nt •

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