Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

LA DÉMOCRATISA TI ON DE L'ENSEIGNEMENT par Léon IL Y FAUT REVENIR : dans tous les pays du monde, y compris les tard-venus, les sousdéveloppés, la diffusion de l'enseignement est considérée comme une nécessité, conjointe à l'expansion économique. L'accord sur ce point est tellement général qu'on perdrait son temps à vouloir naviguer contre le courant, même si l'on appelait à son secours Tolstoï et Rousseau, même si l'on estimait avoir de très fortes raisons d'adopter une position hérétique ; mais cela signifie qu'il faut du moins tenter de comprendre quelles poussées sociales s'expriment en un mouvement aussi vaste, et quels périls éventuels se cachent dans l'ombre ou dans l'éclat de ses victoires. Nous n'entrerons pas dans l'examen détaillé des réformes scolaires, qui varient d'un peuple à l'autre, qui sont souvent confuses, incohérentes ou grossièrement empiriques ; il nous semble plus utile d'en dégager les tendances communes et do~c de voir vers quoi elles mènent. * )f )f L'HISTOIRE confirme ce que le bon sens suggère : .dans l'ordre de la culture et du savoir, tout procède de haut en bas, à partir d'élites très restreintes. La science a sa racine dans le ciel et la construction de l'édifice commence par le clocher ; les exemples illustres, qui dispensent d'insister, sont fournis par les écoles de la Grèce et les universités du Moyen Age, qui couronnaient toutes leurs disciplines par la théologie. Elles furent atteintes ou menacées par le discrédit lorsque l'Europe civilisée cessa d'être avant tout une chrétienté, mais elles ont été ranimées au xixe siècle et bien plus encore au xxe par l'instauration officielle du culte de la science et de la technique. De nos jours, ce que nous appelons l'enseignement supérieur s'éloigne de son passé, tout en en conservant quelques vestiges, pour devenir essentiellement l'organe de la recherche scientifique. Ainsi est réalisée la prophétie Biblioteca Gino BiancG Emery d'Auguste Comte, ainsi se constitue une très nombreuse caste de savants à laquelle nous attribuons une part croissante de responsabilité dans le gouvernement des choses et même dans celui des hommes. Il en résulte évidemment des difficultés particulières pour lesquelles on cherche par tâtonnement les solutions les meilleures. Comme l'avait là encore très bien prévu Comte, nul doute qu'en l'armée de plus en plus nombreuse des gens d~ laboratoire il n'y ait que très peu de découvreurs et d'inventeurs, les autres ne pouvant jamais être que les marmitons de la science ; d'où en apparence un énorme gaspillage dont on s'accommode parce qu'une seule découverte compense, et au-delà, tout ce qui alimente une routine onéreuse et vaine. Mais, d'autre part, on sait bien aussi que le génie du savant n'est pas forcément fonction de ses grades ou d'une préparation formaliste. Il faut donc accroître largement le nombre des étudiants des Facultés, les recruter grâce à des• concours sévères qui écartent les médiocres ou les amateurs paresseux, maintenir cependant assez de souplesse dans les règles, assez de moyens d'appel pour que les esprits originaux ne soient pas étouffés dans l'appareil, soumis à un conformisme décourageant: quadrature du cercle qui ne sera jamais réussie par les bureaux des ministères et dont on a chance de s'approcher un peu si l'on sait ménager la collaboration entre les écoles d'Etat et les instituts privés. Les universités furent, en notre Occident, la haute floraison du Moyen Age intellectuel, puis gagnèrent l'Amérique latine et l'Amérique anglo-saxonne. A ·partir du xvue siècle, elles furent supplantées par les collèges dont les jésuites donnaient les modèles les plus fameux. Ici encore, c'est la signification sociale de cette innovation qui importe avant tout. Bornons-nous à dire que la croissance historique des collèges, puis des

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