Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

QUELQUES LIVRES Il faut les comparer, ces concepts, aux réalisations politiques et sociales de l'Etat soviétique pour en mesurer l'utopisme et la faillite, après bientôt un demi-siècle. En leur temps, ils ont séduit bon nombre d'anarchistes qui se rallièrent à cet Etat promis au dépérissement, mais loin de dépérir, l'Etat en question les a fait périr et n'a cessé de se renforcer pour se perpétuer. Et loin de se niveler, la société soviétique s'est différenciée, hiérarchisée, inégalisée au point de réaliser un système d'exploitation de l'homme par l'homme bien pire que sous aucun régime franchement capitaliste. Marx et Engels, qui avaient pertinemment critiqué l'impatience insurrectionnelle des «Parisiens » peu avant la Commune de 1871, n'ont pas craint de se contredire en exaltant l' «expé..: rience » des Communards, après leur défaite. La comparaison de leurs commentaires antérieurs et postérieurs à la Commune n'est pas, intellectuellement parlant, à l'avantage des derniers, encore qu'ils soient excusables dans l'ordre sentimental. Avec presque un demi-siècle de recul, Lénine a théorisé à l'extrême, et abusivement, les erreurs de Marx et d'Engels sur les leçons de la Commune parisienne, il en a tiré des conclusions excessives et anachroniques pour les appliquer à une situation historique impropre, sous tous les rapports, à subir une telle expérience sans terreur prolongée, sans sacrifices humains épouvantables. En tout cas, si la Commune offre un tableau de la dictature du prolétariat, comme l'a cru Engels, il importe de souligner que le totalitarisme soviétique est véritablement l'antithèse de la Commune. Pour les esprits suffisamment préparés, capables de comprendre ce qu'ils lisent et de comparer la théorie à la pratique; L'Etat et la Révolution est le meilleur antidote à la propagande commu- · niste, aux prétentions des expérimentateurs sociaux autoritaires, à l'idéologie dite du marxisme-léninisme. On y trouve les meilleurs arguments contre le régime soviétique et contre les partis qui le proposent en modèle. Quant aux «Notes» explicatives, elles sont de la période stalinienne et par conséquent sans valeur, ou tendancieuses, ou trompeuses. Mais c'est le texte de Lénine qui compte, et qui réfute sans rémission tout ce que le pouvoir instauré à Moscou depuis la révolution d'Octobre exalte comme l'instauration du socialisme et le programme du communisme. ANDRÉ HAVAS. << Échanges culturels >> G. DÉBORINE: La Deuxième Guerre mondiale. Moscou, s.d., Editions en langues étrangères (et, Paris, Librairie du Globe), 524 pp. CE LIVREnous propose un .résumé a~cm:~pli des thèses élaborées sous Staline pour Justifier BibliotecaGino Bianco 63 la coopération hitléro-communiste dans les origines immédiates de ladite guerre, pour camoufler la connivence entre Hitler et Staline dans l'invasion et le_partage de la Pologne, pour justifier l'annexion des pays Baltes par !'U.R.S.S., pour escamoter l'aide matérielle fournie par Moscou à la race supérieure des nazis, pour déguiser en victoire les désastres subis par l'armée soviétique, pour dénigrer systématiquement tout ce qui est français, anglais ou américain, pour attribuer tous les mérites au parti communiste de !'U.R.S.S. dans la victoire sur les puissances de l'Axe (RomeBerlin-Tokyo), pour calomnier grossièrement les démocraties occidentales qui ont sauvé la Russie en sauvant l'Europe et le monde. Mais comme les successeurs de Staline ont décidé, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'objectivité historique, de renoncer au moins en partie aux mensonges par trop flagrants qui portaient Staline aux nues, l'histoire telle qu'elle était écrite avant 1956 a été révisée conformément à une nouvelle version établie au titre de la déstalinisation et consignée dans les récentes Encyclopédies soviétiques ainsi que dans l'histoire du Parti, nouvelle mouture. Cela ne rend pas le livre de M. Déborine plus véridique. Ainsi le chapitre I s'intitule : << Les agresseurs et leurs complices. » On sait de toute certitude que les principaux agresseurs se nommaient Hitler et Staline, avec de moindres personnages comme complices. Mais il n'en est nullement question dans ce chapitre, ni dans le suivant qui traite de «L'accord de Munich et ses conséquences ». On y lit des choses dans le genre de : « Les gouvernements des Etats-Unis, d' Angleterre et de France misaient ouvertement sur l'Allemagne hitlérienne, dans leurs intérêts de classe. » Il s'agit de Roosevelt, de Chamberlain et de Daladier. Le pacte Staline-Hitler déterminait, paraît-il, «dans une grande mesure l'issue heureuse de la seconde guerre mondiale». On voit que la déstalinisation historique est à peine ébauchée : à cette allure, il faudra des siècles avant de rétablir la vérité toute simple. Le titre du chapitre III se suffit à lui-même : « Débâcle militaire de la Pologne. L'Union soviétique barre la route à l'Allemagne. » On y lit, par exemple : « Après avoir occupé la Pologne, les hitlériens l'ont détruite en tant qu'Etat. Ils ont annexé ses parties occidentales et septentrionales et formé avec le reste· un gouvernement général allemand avec Cracovie pour centre. » Et les parties orientales et méridionales, qui donc les a annexées ? Personne. Autre échantillon : « Les milieux dirigeants américàins avaient accueilli le commencement de la guerre en Europe avec une joie mal dissimulée. » En France, le gouvernement Daladier se distingue « par toute une série de lois réactionnaires et profascistes ». Etc. Alors l'armée soviétique « entreprit une marche libératrice en Ukraine occidentale et en Biélorussie occidentale » (c'est-à-dire en Pologne, mais motus là-dessus). Puis, sans qu'on sache comment

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