62 V. LÉNINE : Œuvres, tome 32. Paris, 1962, Editions sociales, et Moscou, Editions en langues étrangères, 593 pages. SAUFerreur ou omission de notre part, ce tome 32 des Œuvres de Lénine en traduction française n'est que le dix-septième de la série qui doit en comprendre au moins quarante si elle reste conforme à la quatrième édition en russe, et davantage si elle tient compte de la cinquième édition en cours, qui atteindra cinquante-cinq volumes sans épuiser la matière (car nombre de textes restent enfermés à double tour, jugés indésirables ou gênants à reproduire). La publication en français, commencée depuis 1958, avance donc avec une extrême lenteur, inexplicable quand on sait de quel personnel et de quelles ressources dispose l'Institut du marxisme-léninisme, très explicable si l'on songe à la façon dont, après les plans quinquennaux, le plan septennal se réalise. Les tomes se succèdent, quant à la parution, en grand désordre chronologique. Les raisons qui déterminent leur sortie préférentielle ne sont pas toujours évidentes. Cette fois pourtant, il semble que l'impression du tome 32 avant beaucoup d'autres soit expliquée dès la préface qui tient à souligner la présence d'articles et discours de Lénine contre Trotski dans ce tome où « Lénine porte le coup principal aux trotskistes, force essentielle des groupes antiparti ». En effet la table des matières, qui embrasse la période du 30 décembre 1920 au 14août 1921, comporte une âpre discussion sur· les synçlicats soviétiques au cours de laquelle Trotski se trouva en désaccord avec Lénine jusqu'au xe Congrès du Parti. Mais elle comporte aussi la participation de Lénine au IIIe Congrès de l' Internationale communiste en plein accord avec Trotski pour enrayer le « gauchisme » : de cette étroite collaboration, on ne trouve pas trace dans ledit tome, où en revanche les notes venimeuses au sujet de Trotski, de Boukharine, de tous les opposants, attestent la perdurée du stalinisme. Ce volume contient des textes essentiels sur « l'impôt en nature », c'est-à-dire sur la nep, et des réflexions sur le Plan économique indiquant les préoccupations de Lénine, toujours actuelles : « Notre erreur principale à tous a été jusqu'à présent de compter sur le meilleur : à cause de cela, nous versions dans les utopies bureaucratiques. Une partie infime de nos plans se réalisait. La vie se moquait de nos plans et tout le monde avec. » Les léninistes actuels, malgré certains progrès réalisés dans la planification depuis quarante ans, pourraient en prendre de la graine. Ils devraient aussi lire Lénine sans parti pris et mesurer ainsi la déchéance qui les a plongés dans le marxisme-léninisme caricatural de nos JOUIS. B. S. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL LÉNINE : L'Etat et la Révolution. Paris, s.d., Editions Gonthier, 160 pp. LES LIVRESont leur destin : celui-ci, écrit à la hâte par Lénine en août et septembre 1917, en plein chaos politique et social, confié par l'auteur à L. Kamenev pour le cas où il lui arriverait malheur (à Lénine), n'a pu paraître qu'après la révolution d'Octobre, en 1918. Ses rééditions en russe sont innombrables. · La première édition française, due à B. Souvarine en 1921, fut improvisée dans des conditions peu ordinaires. Une deuxième édition, « refondue » par les soins d'Amédée Dunois qui écrivit également un «avertissement de l'éditeur», parut en 1925. Ensuite, il y en eut plusieurs autres, notamment dans les cc Œuvres choisies » publiées en français à Moscou. La voici ~ maintenant en « livre de poche », et précisément dans la version moscovite, avec les annotations de l'époque stalinienne. Il va de soi que cette édition tend à alimenter le « culte de la personnalité » de Lénine, réprouvé d'avance par celui-ci qui, dès les premières lignes de L'Etat et la Révolution, comme mû par un pressentiment, écrivait à propos des penseurs révolutionnaires : « Après leur mort, on essaie d'en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d'entourer leur nom d'une certaine auréole afin de " consoler " les classes opprimées et de les mystifier... » En fait de mystification, le culte de Lénine dépasse tout ce ·que ce dernier, « matérialiste militant», aurait pu imaginer. En effet, si un écrit est dommageable à la réputation de Lénine comme théoricien, comme marxiste et comme «réaliste», c'est bien L'Etat et la Révolution, où figurent sous une forme achevée les vues utopiques professées par les hommes de la révolution d'Octobre et auxquelles le régime soviétique devait infliger le plus cruel démenti. Il y a des gens qui pensent que Lénine trompait sciemment son parti et ses suiveurs en annonçant l'âge d'or de la société sans classes, l'égalitarisme économique, la suppression des moyens de contrainte et le dépérissement de l'Etat. En réalité, rien ne justifie une pareille supposition : Lénine était alors certainement sincère, et c'est ce qui donne tant d'importance à L'Etat et la Révolution. Il ne s'agit pas là d'un ouvrage improvisé, quoique rédigé à la hâte. Lénine y avait pensé depuis 1916, en Suisse, et potassé les œuvres de Marx, dlEngels, de Kautsky, de Bernstein, pour en extraire les citations dont il avait besoin et qui emplissent un cahier intitulé Le Marxisme et l'Etat. La rédaction fut rapide parce que les matériaux étaient à pied d'œuvre et que l'auteur avait de longue date ruminé son projet. On ne doit donc pas considérer ce petit livre comme un écrit de circonstance inspiré par la passion révolutionnaire du moment, mais bien comme un exposé des concepts essentiels de Lénine.
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