56 plus curieuse qu'à son origine c'était là un des buts de l'Association. Mais le vote sur l'action politique était en fait une arme contre les amis de Bakounine, accusés assez légèrement d'être des « abstentionnistes » en politique. Si l'Internationale se transformait en parti politique, elle perdrait peut-être la majorité de ses sections (les Belges et les partisans -de Bakounine). C'était là sans doute le but de cette résolution : écraser avant tout la tendance de Bakounine et pour cela accroître les prérogatives du Conseil général, augmenter ses possibilités d'intervenir dans la vie des sections, contrer au besoin les idées de celles-ci si elles se révélaient contraires aux «décisions» prises à Londres. Cela ressort de la manière dont les problèmes en apparence administratifs furent résolus. La largeur d'esprit qui avait présidé à l'établissement des statuts primitifs de l'Association impliquait certain pragmati~me dans l'action, certain libéralisme dans les idées. Dans sa correspondance, Marx luimême en est d'accord: ne s'agissait-il pas du mouvement réel de la classe ouvrière, et non de telle ou telle doctrine ? C'est tout cela que tend à changer la conférence de Londres : au lieu de fédérer les sectes et les cercles doctrinaires, d'en extraire, grâce à la pression du mouvement réel, ce qu'elles contenaient de vérités ou d'expériences - ce qui était l'idée primitive de l'Association, - Marx et le Conseil général (dont, suivant un aveu de Lafargue, il tirait les ficelles) veulent imposer une ligne politique et châtier les récalcitrants. A Londres, Marx triomphe sans peine, comme il triomphera, un an plus tard, au congrès de La Haye, mais ces victoires seront la ruine de l'Internationale, la faillite de son projet de 1864. Comme le remarque M. Molnar, « l'opposition de diverses tendances prit la forme de " tranquilles discussions " théoriques pendant près de dix ans, sans faire éctater l'Association» (p. 193), mais, ajoutet-il, « aussitôt que ces mêmes divergences théoriques en vinrent à s'appliquer aux questions d'organisation, l'unité fut définitivement brisée». La raison évidente en est qu'à partir du moment où- un dogme prend un caractère organique, il devient exclusif de tous les autres. L'Internationale ne pouvait subsister qu'en dehors des sectes idéologiques ; elle disparaît si elle s'identifie à l'une de celles-ci. -A sa naissance, l'Internationale bénéficia de circonstances aussi favorables que celles du traité franco-britannique de 1860, circonstances bouleversées après la victoire militaire de l'Allemagne. Il lui eût fallu s'adapter au repliement national constaté ici ou là et, internationalement, se contenter de résolutions modestes, applicables en divers pays, laissant à chacun ses règles d' organisation locale et ses aspirations populaires, fussentelles utopi9ues. Au µ~u de quo~-e~e prétendi~, dans l'espnt de ses dirigeants londomens, devenir Biblioteca Gino B:ianco· -· . LE CONTRAT SOCIAL un superparti dont ils auraient en définitive fixé l'orientation théorique. Que la disp~tion de la section française, après la chute de la Commune, ait, comme l'écrit M. Molnar, contribué à supprimer un élément de cohésion entre les « marxistes » de Londres et les bakouninistes du . Jura et de l'Italie, cela est évident, mais ne suffit pas à expliquer la fin de l'Internationale. Les « projets d'organisation peu réalistes», -comme dit· l'auteur page 197, ont joué un rôle beaucoup plus grand à nos yeux. En un mot, Marx et son Conseil général, reniant leur attitude première, ont, par leur volonté de domination intellectuelle et organique, détruit -ce qu'ils avaient contribué à créer huit ans plus tôt. Que les trade-unionistes, devenus indifférents au mouvement international, l'aient fait sans remords, cela ne surprend pas. En ce qui concerne Marx, obnubilé par la haine pour ses adversaires de tendance, au mépris de l'immense prestige dont il jouissait parmi eux dans les années 60, l'explication ne relève pas du matérialisme historique, mais plutôt d'une analyse psychologique de sa personne, de son génie et de ses insuffisances. MICHEL COLLINET. Bibliographie / La Librairie Armand Colin a édité, de 1958 à 1963, un répertoire documentaire en 3 volumes in-8 sur La Première Internationale. Cet instrument de travail sera évidemment très utile à tous ceux qui étudient de près l'histoire de l'A.I.T ., malgré- les lacunes et les imperfections qui en diminuent la valeur. Le premier volume· (1958), de 83 pp., recense les périodiques de 1864 à 1877. Les deux autres volumes (1961 et 1963), respectivement de 87 et 224 pp., recensent les - imprimés de 1864 à 1876. L'ouvrage, auquel ont collaboré un grand nombre. de bibliothèques et de bibliothécaires, est publié sous les auspices du Comité international des Sciences historiques, de la Commission internationale d'Histoire des mouvements sociaux, du Conseil international de la Philosophie et des Sciences humaines, et enfµi de l'Unesco. On demeure effaré devant cette prolifération de bureaucratie internationale qui, avec tant d'autres comités, commissions, conseils et institutions, constitue véritablement une nouvelle classe dont il faudra,' tôt ou tard, mettre en question les pompes -et les œuvres. . Quant à ce répertoire des sources pour l'étude _de la première Internationale, un compte rendu détaillé n'intéresserait qu'un nombre infime de .spécialistes. Comme pour tant d'autres ouvrages de références, tant vaut l'utilisateur, tant vaut l'instrument de travail. ..
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