Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

2 d'un émissaire du Fonds monétaire international ». Mao ne dirait pas mieux, à qui Khrouchtchev adresse le 26 décembre un message de félicitations pour son 70 e anniversaire. Ce jourlà, Chine nouvelle reproduit un article virulent du journal albanais qui accuse Khrouchtchev de travailler « la main dans la main » avec l'impérialisme. Mais pour le Nouvel An, Mao envoie à ce suppôt de l'impérialisme un message: « L'amitié entre les peuples de nos deux pays est éternelle et indestructible. » C'est le cas de dire comme dans la comédie de Beaumarchais : « Qui diable trompe-t-on ici? » encore que la pièce soviéto-chinoise soit beaucoup moins drôle. Il arrive néanmoins que des scènes atteignent un haut comique, comme celle où le chargé d'affaires de Pékin à Londres proteste solennellement au Foreign Office contre un canular du journ~l Tribune qui avait imaginé un article cocasse intitulé « Mort aux fauteurs de paix » et signé Chou En-lai. « C'est un crime contre la République populaire de Chine», répondaient les braves imbéciles de la brigade diplomatique chinoise au directeur de Tribune qui prenait la peine de leur expliquer que c'était une blague (3 janvier). Dans un autre genre, il y a de quoi sourire quand les ambassades soviétiques en Afrique font circuler des rapports exposant que le commerce de la Chine avec l'Afrique du Sud a plus que triplé l'année dernière, nonobstant les assertions de Pékin relatives au boycottage du pays de l'apartheid (12 janvier). Le bouquet sera la « reconnaissance » de la France gaulliste par la Chine communiste, qui va donner à Mao l'occasion de prononcer, le 30 janvier, ces paroles mémorables : « ••• Les différends qui surgissent entre amis ne peuvent que renforcer leur amitié. » Il reste à savoir si entre Moscou et Pékin le différend est entre amis ou ennemis ; il n'est évidemment pas entre orthodoxes et révisionnistes puisque Mao se sent plus près de de Gaulle que de Khrouchtchev. Les relations diplomatiques franco-chinoises sont sans rapport avec les déchirements du monde communiste et l'on s'abstiendrai~ d'en traiter ici, n'était le déluge de commentaires publics qui embrouille les questions et empiète sur le domaine des affaires intérieures du communisme. Deux sottises majeures sont proclamées en France à tous les échos· par les augures de la presse et du parlement : la première, que la Chine « existe », la seconde, qu'on ne doit pas l' «ignorer». La multitude des perroquets les répète à l'envi. Or personne n'a jamais dit que la Chine n'existe pas et qu'il faut l'ignorer. Staline et Hitler aussi ont existé : c'est même Bib.ioteca Gino Bianco· LE CONTRAT SOCIAL pour cela que des millions de vies humaines n'existent plus. Le cancer, la tuberculose, la syphilis existent : ce ·n'est pas les ignorer que de créer des laboratoires, des instituts, des cliniques pour les combattre. C'est même tout le contraire. Qu'il s'agisse de la Chine communiste ou de l'Union soviétique, un État peut les reconnaître ou non sans ignorer leur existence. L'essentiel serait d'avoir une politique sérieuse à leur égard, mais voilà précisément ce qui n'existe pas, et c'est méconnaître que de reconnaître sans connaître. Cependant la morne dispute entre grosboutistes marxistes-léninistes et petits-boutistes léninistes-marxistes se poursuit par saccades sans que la quantité logomachique gagne en qualité intellectuelle. Le 31 décembre, Pékin diffuse une diatribe de vingt-cinq mille mots pour répéter des poncifs sur l'unité, la scission, le révisionnisme, le vilain Khrouchtchev, l'excellent Mao. Le 24 janvier, Moscou distribue un livre de « Conversations sur des thèmes politiques »produit par une dizaine de fonctionnaires en idéologie pour identifi~r les contradicteurs chinois aux « éléments impérialistes extrêmement réactionnaires » et prêcher la coexistence pacifique. Le 3 février, la presse pékinoise assène à Khrouchtchev un énorme pavé de trente mille idéogrammes et réitère en les précisant toutes les accusations antérieures trop connues; elle raconte gravement que les dirigeants soviétiques, avec Khrouchtchev en tête, sont antisoviétiques et, comme nous l'avons remarqué ici même, constate avec ironie que la « riposte la plus décisive » promise par Moscou le 21 septembre ne_vient pas vite. Le seul intérêt de ce texte interminable est de confirmer notre hypothèse (La discorde chez l'ennemi, n° de janvier 1963) quant aux intentions de Mao visant à singer Lénine jusqu'au bout, à créer une Internationale conforme à ses desseins dès que la préparation en sera suffisamment avancée, si son chantage en cours s'avère inefficace. Le bruit soviétique et la fureur chinoise ne changent rien aux réalités d'une guerre froide qui, sous le couvert de la coexistence pacifique, traduit l'impuissance des puissances à faire une vraie guerre comme à conclure une vraie paix. Les vaticinations de la bio-géopolitique allemande sur l'invasion fatale de l'Asie russe par les hordes jaunes ne s'appuient sur aucune donnée solide. L'Ecclésiaste a dit qu'il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix, il n'a pas dit un temps pour la paix et un temps pour le suicide. B. Souv ARINE.

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