QUELQUES LIVRES Ainsi l'Internationale éclate sous le seul effet de ses conflits internes, sans que la réaction bourgeoise y soit pour rien. Les marxistes diront plus tard que ce dénouement lamentable était une nécessité historique, avouant ainsi que l'Internationale n'avait pas été réellement ce que Marx affirmait à son origine, « l'organisation réelle de la classe ouvrière », mais, dans leur esprit, un moyen pratique de créer le parti politique international destiné à conquérir le pouvoir. Cette prétention n'avait qu'un tort, celui de sous-estimer la diversité des situations nationales, de méconnaître les aspirations véritables des ouvriers européens de cette époque, et ainsi de faire naviguer le navire sur les eaux de l'utopie. La lecture attentive des comptes rendus et des procès-verbaux fait ressortir un contraste paradoxal entre les prétentions idéologiques des uns et des autres et les réalités ouvrières de chaque pays ou de chaque corps de métier. Lorsque celles-ci sont objectivement décrites, il en ressort l'extrême difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité, de donner partout à l'Association une structure uniforme. La simple fédération corporative dans un seul pays pose des problèmes presque insolubles, tant est grand le particularisme des travailleurs, étroite leur solidarité, limité leur horizon. Là-dessus se greffent des idéologies qui ne trouvent pas leurs racines dans la société de l'époque : Marx et ses partisans visent à la conquête du pouvoir politique, Bakounine et les siens rêvent d'une Commune universelle et de l'abolition de l'Etat. Tous pensent que les temps sont proches et qu'il convient de s'y préparer, que l'exploitation capitaliste vit sa dernière période, que le nationalisme conquérant en est aux soubresauts de l'agonie. C'est ainsi que les uns et les autres se sont déchirés sur cette terre où ils avaient échafaudé leur Association, pour savoir comment ils prendraient d'assaut le ciel où ils projetaient leurs idéologies. MICHEL COLLINET. La fin de l'Internationale MIKLOS MoLNAR : Le Déclin de la première Internationale. La Conférence de Londres de z87z, 260 pp., Genève 1963, Librairie E. Droz, publications · de l'Institut universitaire de Hautes Etudes internationales, n° 42. L'AUTEUR, qui ·a collaboré au recueil de documents dont il vient d'être question, a utilisé les procès-verbaux de la conférence de Londres, tels que M. Jacques Freymond et luimême les avaient tirés des archives de l'Institut Marx-Engels de Moscou. Il les a complétés par de nouveaux documents dont beaucoup proviennent de l'Institut international d'Histoire sociale d'Amsterdam et des Archives BakouBiblioteca Gino Bianco 55 nine. Cependant, de l'avis de l'auteur, les lacunes sont nombreuses : procès-verbaux du Conseil général (après 1866), archives des fédérations ou sections nationales, etc. M. Miklos Molnar a noté l'importance du renouveau nationaliste au lendemain de la guerre franco-allemande, qui amena les mouvements ou~riers, y compris ceux qui étaient en pleine croissance, à se replier sur eux-mêmes et à se désintéresser de l'Internationale. Cela nous semble vrai pour l'Angleterre trade-unioniste et pour l'Allemagne « marxiste », mais non pour les autres nations, où dominaient les influences collectivistes ou bakouninistes. A nos yeux, le déclin de l'Internationale est surtout celui de son Conseil géné!~ lon~onien et de ses prétentions à régenter admirustrattvement et surtout politiquement un mouvement ouvrier aux multiples aspirations et aux traditions les plus diverses. En particulier, signalons avec l'auteur le désir des Belges, souvent proches de Marx, de secouer sa tutelle politique et de constituer hors de tout credo philosophique le réseau des syndicats, mutuelles et coopératives qui devaient, dans la suite, donner au mouvement belge sa puissante structure. En Italie et en Espagne, c'est surtout après la Commune que l'Internationale connut, grâce aux amis de Bakounine, une influence grandissante. C'est même cette influence de l'Alliance fondée par Bakounine qui, inquiétant Marx, l'incita à convoquer une conférence extraordinaire pour septembre 1871. La décision de Marx de tenir une conférence privée au lieu d'un congrès public était antérieure à la Commune. La chute de celle-ci et la répression qui suivit en fournirent le prétexte. Aux problèmes d'organisation - provisoire - à discuter s'ajoutèrent, avec une remarquable discrétion, des questions politiques touchant à l'activité de Bakounine ou de Netchaïev et à l'existence de l'Alliance ; questions non prévues initialement au programme purement administratif qui était la raison d'être officiellede la conférence. Sur les vingt-deux votants, neuf seulement avaient été délégués régulièrement et représentaient des sections de l'Association ; les autres étaient, à des titres divers, des représentants du Conseil général ou du secrétariat. Par sa composition et la manière dont elle avait été annoncée, cett~ « confére~ce secrète » (Bakounine dixit) a servi de truchement au Conseil général pour s'arroger des pouvoirs discrétionnaires. Eccarius, le fidèle disciple de Marx - qu'il devait quitter peu après - dit lui-même qu'« il aurait mieux valu émettre des décrets et. exiger des sections qu'elles les enregistrent» (p. 56). La résolution sur l'action politique, pour laquelle les délégués des sections n'étaient pas mandatés, aboutit grâ.ce aux voix majoritaires du Conseil général. Dans l'opinion de Marx, il s'agissait de faire de l'Internationale un parti ayant des élus dans les divers parlements nationaux. En revanche, la conférence se montra hostile à une fédération internationale des syndicats~ attitude d'autant
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