Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

46 BOUKHARIN- E C'est justement de cela que je voulais vous parler. Nous estimons que la ligne de conduite de Staline met en péril toute la révolution. Nous pouvons périr avec elle. Les divergences de vues existant entre nous et lui sont infiniment plus sérieuses que toutes celles que nous avons eues dans le passé avec vous. Rykov, Tomski et moi-même, d'une seule voix, nous formulons la situation comme suit : « Il vaudrait beaucoup mieux avoir maintenant au Bureau politique Zinoviev et Kamenev que Staline.» J'en ai parlé tout à fait franchement avec Rykov et Tomski. Depuis quelques semaines, je ne parle plus à Staline. C'est un intrigant sans principes qui subordonne tout au fait de se maintenir au pouvoir. Il change de théorie d'après la personne qui doit être éliminée au moment donné. Dans le « septemvirat » [alors, le Bureau politique], nous nous sommes injuriés jusqu'à nous dire : cc menteur », « bluffeur », etc. Il a cédé maintenant, pour mieux nous étrangler. Nous le comprenons ; il manœuvre de façon à nous présenter comme étant des scissionnistes. La résolution fut adoptée [au plénum de juillet 1928] à l'unanimité parce qu'il désavoua Molotov, en déclarant qu'il acceptait les neuf dixièmes de la déclaration que je lus sans la lâcher des mains dans le « septemvirat ». (On ne peut lui laisser en main le moindre papier.) Sa tâche actuelle est ·de nous enlever Moscou et Léningrad, la Pravda, et de remplacer Ouglanov, qui est entièrement avec nous, par Kaganovitch. Quant à sa ligne politique, elle est la suivante (d'après ce qui fut dit au Plénum) : 1. Le capitalisme a grandi, soit au détriment des colonies, soit par des emprunts, soit par l'exploitation des ouvriers. Nous n'avons pas de colonies, on ne nous donne pas d'emprunts, notre base est donc: un tribut sur la paysannerie (c'est la même chose, tu le comprends, que la théorie de Préobrajenski); 2. Plus le socialisme grandira, plus la résistance s'accroîtra. (Voir cette phrase dans la résolution.) C'est de l'analphabétisme idiot; 3. S'il faut prélever un tribut et si la résistance croît, il faut une direction ferme. L'autocritique ne doit pas toucher à la direction mais aux agents d'exécution. En fait, l'autocritique est dirigée contre Tomski et Ouglanov. Comme résultat, on aboutit à un régime policier. Maintenant, il ne s'agit plus de trouver un bouc émissaire, c'est vraiment le sort de la révolution qui se décide. Tout peut périr avec une pareille théorie. En même temps, à l'extérieur, Staline fait ~e politique de droite : c'est lui qui a réalisé l'expulsion de l'Internationale communiste du Kremlin. Il proposait qu'il n'y ·ait personne de fusillé dans le procès de Chakhty (nous avons voté contre) ; il fait des concessions dans tous les pourparlers. Tomski a eu la formule suivante: moi (Tomski), je suis plus à droite que toi (BouJmarine) d~ 30 ttµomètres.~s le~ affaires internationales, mais moi (Tomski), Je sws plus à gauche que Staline de 100 kilomètres. La ligne suivie est périlleuse, mais, il ne donne même pas la possibilité de discuter. Il nous attaque, il nous Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL attribue des déviations. La phrase de son discours disant que seuls des «hobereaux» peuvent raisonner ainsi se réfère à une citation puisée mot pour mot dans un des discours d'Ouglanov. Il nous étranglera. 5. Moi - Quelles sont alors vos forces ? BOUKHARIN- EMoi, plus Rykov, plus Tomski, plus Ouglanov (absolument). Les gen~ de Léningrad sont en général avec nous, mais ils ont eu peur quand on a parlé de la possibilité de destituer Staline, aussi Komarov -désavoua-t-il le discours de Stetski ; mais, le soir, Ougarov est accouru chez moi pour excuser Komarov. Andréïev est avec nous : on l'enlève de l'Oural. Staline a acheté maintenant les Ukrainiens en retirant Kaganovitch de l'Ukraine. Nos forces en puissance sont énormes, mais : I. Le membre moyen du Comité central n'a pas encore compris toute la profondeur des divergences de vues ; 2. On a extrêmement peur de la scission. C'est pour cela qu'en cédant devant Staline sur la question des mesures extraordinaires, je lui ai rendu plus difficile l'attaque contre nous. Nous ne voulons pas intervenir en tant que scissionnistes, car alors on nous étranglerait. Mais Tomski, dans son dernier discours prononcé au Plénum, a montré d'une façon patente que c'était Staline qui était scissionniste. Y agoda et Trilisser sont avec nous... Vorochilov et Kalinine nous ont trahis au dernier moment. Je pense que Staline les retient par je ne sais quelles chaînes spéciales. Notre tâche est d'expliquer graduellement le rôle dangereux de Staline et d'amener le membre moyen du Comité central à le destituer de son poste. Le Bureau d' organisation est à nous. 6. Moi - Mais, en attendant, c'est lui qui vous destitue. Lui - Que faire ? Sa destitution ne serait pas admise maintenant par le Comité central. La nuit, je pense parfois : « Mais avons-nous le droit de nous taire ? N'est-ce pas là un manque de courage ? » . Mais, à la réflexion : il faut agir avec prudence. Vendredi, rapport de Rykov. Nous y mettrons les points sur les i. Je ferai paraître une série d'articles dans la Pravda. Peut-être faut-il encore un coup pour que le Parti comprenne où il le mène. [Kamenev poursuit] 7. Des suppléments à tout cela, et entre ces suppléments, un tas de « divulgations » sur le « septemvirat », etc. Le ton est celui d'une haine absolue envers Staline et d'une rupture absolue. En même temps, des hésitations : faut-il ou ne faut-il pas intervenir ouvertement ? Si l'on intervient, ils nous étrangleront sur le point de la scission. Si l'on n'intervient pas, ils nous étrangleront par un jeu d'échecs mesquin, . et il se déchargera sur nous, nous rendant responsables si l'on manque de blé en octobre. Moi - Et sur quoi comptent-ils pour obtenir du blé?

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==