Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

\ 42 Il n'est pas surprenant que la tendance à consacrer trop de temps et d'attention à la vie de famille est parfois dépeinte comme une « déviation))plus grave, comme dans le cas de cet homme dont la propre épouse, parangon de morale communiste, finit par le dénoncer comme un « contre-révolutionnaire masqué» : Pendant ses heures de loisir, il lisait des histoires ou jouait avec l'enfant, sans se soucier de la lutte idéologique (...). Le remords me prit d'avoir eu de l'affection pour un contre-révolutionnaire (...). Je me mis soigneurement à examiner mon passé et à dévoiler tous les senseignements en ma possession 19 ••• Nous l'avons dit, le Parti tient la compatibilité politique pour la pierre angulaire de rapports matrimoniaux corrects. Il cherche également à encourager les mariages tardifs, en partie afin d'allonger la période au cours de laquelle on se consacre au travail et à la formation politiques, en partie pour éviter un laisser-aller sexuel préjudiciable à la santé : Si les gens se marient plus vieux (...) leur esprit aura pris plus d'empire sur leurs corps, ce qui leur permettra de résoudre plus intelligemment leurs problèmes et de refréner leurs appétits sexuels afin de ne pas compromettre leur santé par des excès (...). En se mariant tard, les jeunes gens peuvent également consacrer plus d'énergie aux affaires de l'Etat et à la vie du groupe, à l'étude de la théorie politique et aux luttes politiques (...). Ainsi, le mariage tardif représente une condition objectivement favorable pour le progrès politique 20 • . Bien entendu, le Parti fait montre d'une aversion encore plus grande pour les «excès» et les préoccupations sexuelles avant le mariage 21 • La combinaison de pragmatisme et de puritanisme qui caractérise la doctrine à l'égard des rapports sexuels apparaît encore mieux dans la réponse réservée aux doléances concernant la limitation des naissances. Certaines lettres de lecteurs publiées dans les revues révèlent que nombreux sont ceux qui considèrent les procédés anticonceptionnels mis à la disposition du p~b~c comme «incommodes », leur reprochant de diminuer le plaisir du mari. Ceux qui se plaignaient furent vertement tancés par les organes du Parti pour leur attitude à courte vue et leur recherche du plaisir ; on les pria de, penser. davantage aux intérêts du pays et de l'econonue 22 • 19. Jeunesse de Chine, 1955, n° 24. 20. Yang Hsiou: « Pour le mariage tardif», ibid., 1er juin 1962 (S.C.M.M., n° 322, pp. 23-24). . 21. Cf., par ex., Ke Tchang-youeh: « Ne pas commencer à faire l'amour trop tôt », in l'Elève du secondaire, 1956, no 4 (S.C.M.M., n. 0 41). L'auteur va jusqu'à insinuer que la masturbation et les pollutions nocturnes sont des maladies. 22.Cf., par ex., « Comment aborder le pro~lème de la limitation des naissances », in Femmes de Chine, 1955, no 4-5, (S.C.M.M., n° 2), ainsi q11e « ~es métho?es anticonceptionnelles sont-elles _encorenécessaires ? », article de tête en réponse à la questfon d'un lecteur, in Femmes de Chine, 1959, n° 14 (S.C.M.M., n° 184). · Biblioteca ·Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE En fait, la plupart des dis.eussions sur la conduite à tenir dans la vie familiale sont d'une innocente franchise et ne cachent pas que le Parti entend que le bonheur conjugal soit subor- . donné aux exigences de l'économie et aux intérêts · · du « collectif » : L'amour pour le groupe et une participation adéquate à la production collective impliquent un autre facteur important, qui est (...) de rationaliser la vie de famille·. Une fois prises de bonnes dispositions (...) on se sent heureux, libéré des soucis et énergique dans la production. Si la vie familiale est mal agencée, la production en souffrira 23 • Totalitarisme à l'état pur S1 L'ON ADMET que l'essence du totalitarisme consiste à porter au maximum les contrôles politiques et à effacer toute ligne de partage entre la vie privée du citoyen et les devoirs dus à l'Etat, l'attitude du régime de Pékin à l'égard de la moralité et de la conduite « appropriée » du citoyen pour ce qui touche ses relations sexuelles, matrimoniales et familiales, permet de conclure que la Chine communiste est aujourd'hui le meilleur exemple d'une société intrinsèquement totalitaire. Tout en se disant disciples de Staline, les dirigeants de Pékin vont beaucoup plus loin que le régime soviétique du temps de Staline en essayant de prescrire des normes de conduite régissant les aspects les plus intimes de la vie privée, en imposant des attitudes collectivistes et en fixant des règles de moralité personnelle dictées par des critères politiques. Il semble bien que, dans l'existence du citoyen chinois, il n'existe aucun domaine, si restreint soit-il, dans lequel le régime croie pouvoir permettre audit citoyen de faire son propre choix sans le secours de la « gouverne » officielle. La caractéristique fondamentale de toutes les prescriptions concernant la mo~a~té,et_les relations personnelles est leur cote emmemment pratique et fonctionnel. L'amour, l'affection, l'amitié' et les plaisirs dispensés par les liens sexuels et sentimentaux ne sont pas considérés comme ayant une valeur en eux-mêmes · : au mieux, ce sont des moyens en vue de certaines fins ; au pis, des préoccupation~ individuelles virtuellement nuisibles, voire inutiles. On reconnaît bien dans une certaines mesure le besoin d'amour et d'affection (sauf, celava de soi, pour les « ennemis de classe »), mais en même temps le Parti prend soin de stipuler que la satisfaction de ce besoin ne doit en rien contrecarrer le loyalisme ·politique du citoyen et son dévouement aux buts et aux tâches fixés. L'amitié est permise tant qu'elle contribue à cimenter l'~té, ,co~ective, à assurer la bonne marche du travail d eqwpe, à renforcer l'esprit combatif du groupe. L'importance du plaisir sexuel est reconnue, mais le 23. ·Article cité à la note 18.

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