P. HOLLANDER camarades masculins, sans doute moins avancés, profitère!1t de l'aub~e et se_mirent à exploiter cette verne ; le Paru se sentit finalement obligé de réaffirmer le « principe de la spontanéité dans la vie amoureuse » 14 • Amour « public » et amour « privé » PLUS que n'importe quoi, la ligne officielle quant à l'amour reflète l'opposition fondamentale du Parti à tout attachement sentimental entre individus qui puisse rivaliser avec le dévouement au Parti et au régime, et même l'éclipser. Or le régime lui-même, en balayant les freins familiaux du mariage traditionnel, a, sans le vouloir, vivement encouragé l'espèce d'amour romantique contre lequel il part maintenant en guerre. Les attachements romantiques sont, par leur nature même, essentiellement individualistes et ils tendent à absorber une part importante de l'intérêt, des énergies et du temps des intéressés, aux dépens de leurs engagements envers la société. Il est donc compréhensible que pareilles relations ne soient pas encouragées par un régime qui prétend à une prise totale sur ses citoyens. Néanmoins, tout en voyant d'un mauvais œil les rapports individuels trop romantiques, le régime encourage un attachement effréné, de nature éminemment émotive, envers le Parti et ses dirigeants. Le citoyen modèle, tel que les moyens de diffusion en font le portrait, maintient son amour pour son épouse ou sa fiancée, ses sentiments envers sa famille et ses amis, dans des limites restreintes, sans leur permettre de s'immiscer dans ses devoirs civiques. Or, contrairement à cette réserve dans ses relations privées, le même citoyen modèle manifeste - ainsi qu'on l'y incite - l'affection la plus romantique pour les figures de proue du Parti. Voyons, par exemple, cette relation d'une visite de Mao : Si ce n'était pas le secrétaire Ko, qui cela pouvait-il bien être ? Mais quand je vis le sourire heureux sur le visage de Yang Hsin-fou, mon cœur se mit à battre follement. Ne serait-ce pas le président Mao ? (...). Le président Mao ! Tout d'abord, je restai abasourdi, puis je serrai dans mes bras Yang Hsin-fou (...). J'avais l'impression que mon sang se mettait à bouillir (...) et que mon cœur bondissait dans ma poitrine 15 • Ou encore le récit d'une visite d'usine par Liou Chao-chi fait par un des assistants : Je fus soudain appelé (...) et averti (...) que le camarade Chao-chi regarderait les journaux muraux (...) et viendrait à notre usin,e se rendre compte de la production. 14. « Respectez le principe de la spontanéité dans la vie amoureuse », résumé de lettres des lecteurs, in Jeunesse de Chine, 1956, n° 10 (S.C.M.M., n° 14). 15. Wang Lin-ho : « Je vois le président Mao Tsétoung chaque jour », in Littérature de Shanghai, 1960, no 8 (S.C.M.M., n° 228, p. 34). En fait, l'auteur faillit bien ne pas voir Mao ce jour-là ; le titre de l'article est plus symbolique que réel. · Biblioteca Gino Bianco 41 C'était une grande nouvelle. En dépit des exigences du travail quotidien, ce camarade de la direction trouvait le moyen de distraire une partie de son temps pour lire les journaux muraux et prendre connaissance de la situation de notre entreprise. Comment ne pas en être bouleversé ? (...). A cette idée, c'est à peine si je pouvais retenir les battements de mon cœur (...). Dès qu'il sortit de la salle de réunion, un tonnerre d'applaudissements éclata. Le camarade Chao-chi agita la main (...). De jeunes ouvriers, oubliant les fatigues de la journée et leur estomac vide, furent saisis d'un enthousiasme délirant. Certains de ces garçons s'attardaient encore dans la rue, devant la grille de l'usine, en regardant dans la direction prise par la voiture alors qu'elle était déjà loin (...). Depuis le départ du camarade Chao-chi, mon esprit reste plein de pensées tourbillonnantes. Je ne peux oublier la très émouvante leçon qu'il nous a transmise 16 • A la lumière de ce qui précède, on peut affirmer que le culte de la personnalité, tel qu'il est pratiqué en Chine communiste et dans d'autres sociétés totalitaires, est en partie destiné à transférer l'émotivité de la sphère des relations privées entre les individus à celle des rapports du citoyen avec les dirigeants du Parti et de l'Etat. Du mariage et de la famille AINSI,on attend du citoyen modèle qu'il évite le double piège de la désinvolture envers le sexe et de l'attachement romantique exagéré. Non certes que le régime souhaite voir le citoyen s'adonner uniquement aux joies et aux soucis de la vie de famille. Accorder trop d'attention à sa famil1e est également considéré comme une erreur, et l'appareil de propagande ne mâche pas ses mots sur ce chapitre : Un nommé Li Chien-hua, vantant cette sorte de « bonheur » vulgaire et égoïste, s'écriait : « Y a-t-il un autre endroit au monde plus chaud que la famille ? » Il soutenait que « c'est la famille qui vous donne l'amour et vous élève (...), qui vous donne tout » ( •••). Il croyait que la famille peut dispenser une cc joie infinie ». Grand mensonge en vérité 17 ••• Une autre revue offre un exemple « positif» en la personne de Mme Tchou : Elle dit souvent à ses fils et à ses belles-filles : « Vous devez écouter le Parti et faire ce qu'il vous dit (...). La chose importante, c'est le groupe. Notre famille n'a pas tant d'importance.» Avec une mère si dévouée au groupe, les fils et les filles s'intéressent peu à leurs propres affaires de famille. Lorsqu'ils se retrouvent à la maison après le travail, ils parlent de la production et se lancent des défis «. socialistes ». Ils ne pensent à rien d'autre. La vieille femme est satisfaite de tout cela. Il fut un temps où, pendant ses heures de loisir, elle ramassait quarante paniers de fumier de première qualité et livrait le tout à l'équipe de production 18 • · 16. Yen Chang-houa : « Une leçon fort émouvante - une causerie de Liou Chao-chi », in Jeunesse de Chine 1957, n° 21 (S.C.M.M., n° 41). ' 17. Wei Wei : « Remous et vagues », ibid., 1960, no 14 (S.C.M.M., n° 227, p. 41). 18. « Aimez le groupe » (article de tête), in Femmes de Chine, 1er mars 1962 (S.C.M.M., n° 320, p. 27).
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