P. HOLLANDER nous vaudraient de plus grandes récompenses de la part du peuple, nous n'aspirons à la vie folâtre de la bourgeoisie. Tout ce que nous souhaitons, c'est cette vie paisible (...). Or cet idéal qui est le nôtre est critiqué par nos camarades (...). Je sens que (...) si l'on sert le peuple toute sa vie, qu'on quitte un chantier dès qu'il est terminé pour en entreprendre un autre sans même jouir d'une vie de famille, pareille existence est parfaitement dénuée de sens (...). La révolution et l'édification doivent servir l'avenir et le peuple, mais elles devraient aussi servir le présent et nous-mêmes. Critiquant sévèrement l'attitude exprimée par cette lettre, l'article fait remarquer de façon sarcastique : Cependant, comparée à la grande famille du socialisme, combien insignifiante est la petite famille à laquelle aspire Hsiao Wen 1 Les remontrances maintes fois exprimées dans les revues du Parti envers pareilles manifestations d' « individualisme » - qui semblent naître des espoirs croissants nourris par le peuple - révèlent que le régime considère comme dangereux pour la morale révolutionnaire le désir de « certains camarades » d'obtenir le confort matériel et l' « aisance » : Une partie du peuple, alors que les moyens d'existence s'améliorent de manière constante, s'abandonne aux jouissances matérielles en oubliant la tradition révolutionnaire d'activité et de courage (...). Les tentations de la vie matérielle corrompent la morale 6 • Le même article, gauchissant curieusement la thèse stalinienne de l'aggravation de la lutte de •classe après la victoire du socialisme, voit dans les aspirations à une vie matérielle meilleure une preuve de la recrudescence des tendances idéologiques bourgeoises : Dans la complexe lutte de classe qui se déroule aujourd'hui, plus notre niveau de vie augmente, plus nous devons être vigilants envers les infiltrations de la pensée bourgeoise (...), plus nous devons être déterminés à hériter d'un style austère et révolutionnaire du prolétariat et à le prôner (...). De nos jours, aspirer à l'aisance est une expression de l'idéologie exploiteuse de la classe bourgeoise, alors que la diligence et la frugalité sont des expressions de la grande volonté révolutionnaire de la classe prolétarienne 6 • Autre attitude que la propagande chinoise dénonce comme une survivance de l' « idéologie exploiteuse » de l' « individualisme bourgeois », l'aversion pour le travail physique ou l'idée que celui-ci est dégradant et inférieur aux activités intellectuelles. La façon quasi coercitive avec laquelle le régime cherche à propager le culte 5. Kan Feng : « Discussion sur " Trop de plaisirs étouffent l'ambition " », ibid., 16 nov. 1960 (S.C.M.M., n° 249, pp. 22-23). 6. Cf. également Wou Tc~ang : « Un entretien sur les intérêts publics et les intérêts individuels », ibid., 10 déc. 1961 (S.C.M.M., n°. 297) ; ainsi que Ma Tien-ting : « Rechercher le plaisir et le bonheur au moyen des luttes ... », ibid., 1er fév. 1961 (S.C.M.M., n° 253). Biblioteca Gino Bianco. 39 du travail physique laisse penser que des Chinois toujours plus nombreux ont, un peu prématurément, nourri l'ambition d'y échapper et de gagner leur pain quotidien « plus facilement» et de manière plus digne. L'exaltation officielle du travail physique ne peut être réduite à la simple rationalisation d'un besoin économique reflétant le retard du pays, ou encore à une estimation prudente des progrès technologiques. La propagande du Parti s'abstient méthodiquement d'offrir la perspective, fût-ce dans un lointain avenir, de cet état d' « aisance » qui permettrait de soulager l'homme des travaux pénibles ; au contraire, elle insiste sur la valeur et le besoin permanent du travail physique. A preuve un débat dans Jeunesse de Chine : Certains intellectuels bourgeois pensent que la mécanisation et l'automation supprimeront le travail manuel. Ce point de vue est entièrement erroné. Le marxismeléninisme estime que le travail manuel ne sera jamais éliminé 7 • Ainsi, l'accent mis sur le travail physique dépasse la simple accommodation aux réalités économiques du jour : il aboutit à un culte de « la peine pour la peine», expression typique des concepts totalitaires de discipline et de service. Derrière les fulminations du régime contre l'influence corruptrice des plaisirs matériels et ses efforts pour présenter le labeur pénible comme un élément indispensable à la formation du caractère communiste, on décèle également la crainte que le zèle révolutionnaire ne vienne à fléchir, crainte de l' «embourgeoisement» attribué, à tort ou à raison, à la Russie de Khrouchtchev. A ce propos, il est significatif que les sermons de propagande sur les effets salutaires du travail physique soient adressés, la plupart du temps, aux intellectuels. En l'espèce, il est bien évident que le régime est mû par des considérations idéologiques et politiques bien plus que par des impératifs économiques. On ne fait pas mystère que l'objectif essentiel des périodes de travail imposées aux intellectuels dans les fermes, dans les usines et sur les chantiers, est leur «refonte » idéologique 8 • La majorité des commentaires chinois sur les « survivances » de l'idéologie bourgeoise sousentendent, on ne sait trop pourquoi, qu'adopter des façons de voir correctes et des attitudes 7. Tchih Liao-tchou : « Le programme militant pour le travail culturel et pédagogique », ibid., 16 juin 1960 (S.C.M.M., n° 219). 8. Cf., par ex., Yen Tzou-youan : « Transformer hardiment les intellectuels en travailleurs », ibid., 16 déc. 1960 (S.C.M.M., n° 251). Sur la difficulté à rééduquer les intellectuels, cf. Tchou Tchien-jen : « Elargissement de l'horizon du savoir et refonte idéologique », ibid., 5 fév. 1962 (S.C.M.M., n° 305). Ce dernier article réfute l'opinion, apparemment assez répandue, suivant laquelle des connaissances intellectuelles d'un niveau supérieur sont incompatibles avec des attitudes correctes au point de vue politique et idéologique.
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