Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

38 Un autre article entreprend de réfuter en détail l'idée que des sentiments tels que le dévouement envers ses parents,« l'aspiration à l'amour», « l'intérêt porté aux amis et l'amitié», voire «la joie de vivre et la peur de mourir », sont des émotions communes à tous les hommes. C'est ainsi que le malheureux Pa J en est de nouveau pris à partie, cette fois pour avoir osé penser qu'il est « simplement humain de· ne pas pouvoir s'opposer résolument à sa propre fami11e réactionnaire » : En fait, c'est là, à tous égards, un signe de flottement dans la position révolutionnaire. Un combattant du prolétariat loyal, héroïque et à toute épreuve est capable de faire le départ entre lui-même et ses parents contrerévolutionnaires 3 • Quant à l'amour, l'article cite les paroles d'une « chanson populaire» sur l'amour prolétarien, afin de bien le distinguer de celui des « classes exploiteuses » : « La fille transporte la vase pendant que le gars drague la mare. La sueur goutte de leur corps, mélangée d'eau bourbeuse. La fille ne se plaint pas de sa fatigue, malgré mille voyages, pas plus que le gars ne sent le froid de la boue. Ils ne peuvent guère se parler parce qu'il y a trop de monde, mais leurs cœurs se comprennent. Le gars et la fille sont tous deux des héros. Ils travaillent jusqu'à ce que les étoiles -disparaissent pour céder la place au soleil. » Peut-on trouver parmi les classes exploiteuses ce genre d'amour engendré dans le labeur commun ? Quant à prétendre que la peur de mourir est un sentiment universel, c'est là le fait de cc l'âme souillée des révisionnistes qui jaugent les hommes à l'aune de la misérable psychologie de l'individualisme )). Là encore, Pa J en est brutalement rappelé à l'ordre pour avoir soutenu que, cc lorsque sa vie est en jeu, un héros prolétarien aura luimême le trac et hésitera ; sans cela, il serait inhumain». Autrement dit, non contents d'exiger du citoyen qu'il soit prêt à donner sa vie pour le Parti, les idéologues chinois attendent de lui qu'il le fasse avec entrain et sans broncher. Il est facile de comprendre pourquoi le régime de Mao répugne à admettre qu'un certain nombre de qualités sont le lot de la plupart des hommes : avouer que tous les êtres humains ont bien des traits communs tendrait à inhiber la haine intense que les communistes s'efforcent d'inculquer à l'égard de certaines classes, de certains groupes, de certains individus. Un objectif majeur de la propagande communiste étant de faire oublier aux gens que leurs prétendus cc ennemis de classe » sont faits de la même pâte qu'eux-mêmes, il s'agit de nier l'universalité de la nature humaine. Car c'est seulement en amenant les gens à croire qu'aux diverses classes correspondent diverses 3. Groupe Drapeau rouge de critique d'art et de critique littéraire de l'Université de Pékin : c Existe-t-il des sentiments communs à l'humanité dans une société de classe ? •, in Jeunesse de Chine, 1960, n° II (S.C.M.M., n° 221, p. 14). Biblioteca Gino Bianco L'BXP11RIBNCB COMMUNISTE « natures humaines » qu'ils accepteront l'idée ~ue les antagonismes de classe sont inconciliables, et qu'on pourra compter sur eux pour lutter implacablement contre ceux qui sont qualifiés d' «ennemis». La stricte différenciation des groupes sociaux sur la base de la classe et des critères politiques est une pierre angulaire de la morale prêchée par le régime de Mao. Vestiges et germes d'individualisme A EN JUGER par la place qu'il tient dans la presse du Parti, qui le condamne sans appel, l'individualisme est tenu pour l'un des traits fondamentaux de la mentalité bourgeoise. Ses vestiges tenaces dans la société chinoise d'aujourd'hui représentent une grande menace pour le • régime qui s'emploie à inculquer des règles de comportement cc correctes», c'est-à-dire communistes. A y regarder de près, cet individualisme est de nature complexe : y entrent des aspirations, ambitions et attitudes apolitiques, en particulier· un désir d'améliorer son confort matériel et spirituel. Par exemple, on préférera vivre à la ville plutôt qu'à la campagne (et l'on tâchera de se soustraire aux «postes ingrats » dans les campagnes) ; on aspirera à faire des études supérieures ou à obtenir un meilleur poste, qui convienne davantage à la formation reçue, sans prendre en considération les besoins du pays à un moment donné ; ou encore, plus simplement, on souhaitera de choisir ses amis et son épouse parmi des personnes ayant reçu une instruction équivalente à la sienne. Le désir d'améliorer sa situation matérielle - souvent stimulé, de manière assez paradoxale, par les affirmations et les promesses du régime - est considéré comme l'une des formes les plus insidieuses de l'individualisme. Pour illustrer cette attitude néfaste, Jeunesse de Chine cite longuement une lettre supposée écrite par une jeune femme membre du Parti, en la qualifiant de «caractéristique de la façon de penser de certains jeunes camarades» 4 : Je caresse souvent ce merveilleux espoir : avec les progrès de chaque plan quinquennal (...) la richesse matérielle va s'accumuler, les salaires vont augmenter, les heures de travail diminuer, les conditions de vie s'améliorer. Alors notre petite famille sera encore plus heureuse que maintenant. Nous vivrons dans un appartement moderne bien meublé, avec rayons de bibliothèque, radio et télévision. Chaque jour, après le travail, mon mari ou moi-même rapporterons des fruits et du bon chocolat, et, étendus à l'aise sur un canapé ·confortable, nous regarderons la télévision, écouterons la radio ou lirons des livres ( ...). Le dimanche, nous ramènerons notre fille de la crèche (...) et nous lui achèterons de quoi la faire manger et l'habiller. Mon mari et moi n'avons rien de plus à désirer. Pas plus que nous ne nous faisons d'illusions sur les services méritoires qui 4. Wou Tchih-pou : « Sur la vie idéale de la jeunesse révolutionnaire•, ibid. (S.C.M.M., n° 219, pp. 16-17).

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