Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

V. ALEXANDROV A par les· remarques des publicistes soviétiques, la jeunesse extrémiste chinoise a grandi dans« l'émigration», c'est-à-dire à Moscou, et ayant respiré l'air de la capitale soviétique, elle a commencé d'emblée par des cantates à la gloire de Staline. Un poème de Liou Tsian, « Les cœurs sont tournés vers Staline», paru en juillet 1950 dans la revue Zviezda de Léningrad est caractéristique à cet égard. Dans l'introduction, le poète demande à Staline: Etoile du salut des hommes, Guide qui les inspire dans la lutte, Quel cadeau t'apporter En signe de gratitude ? Sans attendre de réponse, Liou Tsian décide d'offrir à Staline l'herbe « lintchi », qui, à en croire la légende, donne la jeunesse éternelle. Outre cette plante magique, il veut offrir à Staline une « pêche de l'immortalité», dont la quête l'obligera à parcourir des milliers de li. Soudain le poète entend un chant lointain, le monde entier l'entonne. Tout pénétré d'amour pour Staline, il chante la jeunesse du «Grand ». Le poète a la soudaine révélation que Staline n'a besoin ni d'herbe magique ni de pêche miraculeuse, car il est à lui-même « sa propre immortalité». Le poète Nicolas Gribatchev affirme dans la Litératournaïa Gazéta du 3 août 1950 que des sentiments analogues caractérisent aussi la poésie coréenne, laquelle chante deux chefs, Lénine et Staline ; seul Staline est immortel : « Deux noms : Moscou et Staline, deux mots éternels : Staline et Moscou. » Le premier anniversaire de la victoire de Mao s'est accompagné de nombreuses «rencontres» entre écrivains et poètes chinois et soviétiques à Moscou. Le plus clair du temps y a été employé non pas à discuter des tâches de la nouvelle littérature chinoise, mais à vitupérer les Etats-Unis. Les années suivantes, de nombreux écrivains soviétiques ont visité la Chine, mais les traces de ces voyages sont rares dans la prose et la , . poes1e. En 1959, la République populaire de Chine a dix ans. Or ce qui frappe, c'est le peu d'échos que cet anniversaire suscite dans les revues littéraires. La revue Znamia publie dans son numéro de mars un article de G. Obiedkov, « Impressions de Chine ». Strictement parlant, il ne s'agit pas du dixième anniversaire; l'auteur a accompagné une délégation de journalistes et fait part de ses impressions. Les succès dans le développement industriel figurent en bonne place, mais ce sont les_progrès en matière agricole qui semblent particulièrement remarquables. Dans la nouvelle Chine, à en croire l'auteur, un proverbe est né : « Plus l'homme est audacieux, plus la terre est généreuse. » Mais comment accorder pleine confiance à la fastidieuse énumération des succès de la production ? Cela rappelle par trop au lecteur soviétique le début des années 30 en U.R.S.S. : pareille « fuite dans la statisBiblioteca Gino Bianco 35 tique» devait alors empêcher de connaître l'état d'esprit de ceux qui remportaient ces succès au prix d'efforts démesurés. Au milieu de cette accumulation de chiffres, seul un court chapitre est consacré aux êtres vivants. Chaque année, le 3 mars, quand le système d'irrigation est prêt à entrer en action, les paysans des vingt-quatre districts de la province de Se-Tchouan se rassemblent à l'endroit où un affluent se jette impétueusement dans le Ming Tsian, afin d'allumer un cierge devant le portrait de Li Bin au temple qui porte son nom. Ce Li Bin a vécu il y a vingt-deux siècles et fut gouverneur du district de Huan. Le peuple chinois continue de vénérer la mémoire des ancêtres qui ont soulagé sa vi~. Li Bin est le père du système d'irrigation : il trouva le moyen de dompter le cours d'eau et son tributaire, sauvant ainsi la fertile vallée des inondations désastreuses de sorte que, «de bête sauvage qu'il était pour la population, le Ming Tsian est devenu son allié et son ami». En mai 1959, le troisième congrès des écrivains soviétiques se réunissait à Moscou. Parmi les délégations étrangères, il y en avait une des écrivains de la Chine populaire. Mao inaugura le congrès. Tout comme ceux des autres étrangers, son discours regorgea d'expressions solennelles et pompeuses, et il en profita pour engager sous main une polémique avec les « frères » soviétiques qui cherchaient à l'époque à se rapprocher de la Yougoslavie. Parlant de l'influence de la littérature soviétique sur celle des autres pays, il dit que les écrivains réactionnaires d'Occident, les « révisionnistes contemporains et les traîtres à la cause du prolétariat mondial » saisissent toutes les occasions pour s'en prendre à la littérature soviétique. Les « révisionnistes yougoslaves » jouent en l'occurrence un rôle particulièrement infâme : « Le sens de leurs attaques contre les principes esthétiques du marxisme-léninisme, contre la méthode théorique du réalisme socialiste n'est rien d'autre qu'une tentative pour saper l'autorité de la littérature soviétique aux yeux des peuples du monde (...). Mais les armes qu'ils brandissent sont vieilles, antédiluviennes, couvertes de rouille. Même aux révisionnistes qui se donnent pour des socialistes, il ne reste qu'une chose : ramper devant l'individualisme et le formalisme pourris et mendier leur aide. » Ces «attaques haineuses » rappellent à Mao un proverbe chinois : « Les fourmis ·cherchent en vain à ébranler un grand arbre. » La contribution des écrivains soviétiques au dixième anniversaire de la ~épublique populaire de Chine a été fort modeste. Certes, la direction de l'Union des écrivains a adressé un message à l'Union des écrivains chinois (Litératournaïa Gazéta, 1er octobre 1959). Le même numéro a consacré à cette célébration un éditorial de Boris Polevoï, intitulé «Fraternité de géants ». Polevoï ne manque évidemment pas d'y rappeler que le « frère aîné soviétique » a été le premier à

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