Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

V. ALEXANDROVA l'histoire, Serge Vorokhov, rédacteur du journal local du Parti, tombe sous l'influence de l'ex-communiste Irina. Irina a pris part à la guerre civile, a travaillé dans la clandestinité sur les arrières des Blancs. C'est le type de la jeune fille passionnée, romantique. A son retour du front, elle ne peut supporter «l'atmosphère de l'appareil bureaucratique, les flagorneurs, pique-assiette, arrivistes et nationalistes»; de leur côté, ceux-ci ne peuvent pas la sentir et profitent de la première occasion pour l'éliminer du Parti. Vorokhov commence lui aussi à« faire des bêtises » : il va jusqu'à reprocher à ses collègues d'être «tous pareils, des statues de pierre qui ont peur d'une parole vivante». A cela, l'un d'eux, K.liouev, répond qu'il ne peut en être autrement, car il n'est pas possible «que nous, tête d'un parti de millions d'hommes qui dirige un pays fou, il y ait des clefs différentes pour nous ouvrir. S'agit-il là d'une boutique ? Un coffre-fort coûte cher parce qu'il est solide et ne connaît qu'une clef». Le flottement de Vorokhov ne dure guère. Ses amis du Parti l'envoient en mission et il revient «assagi». Tout autre est le sort d'Irina. Les critiques ont porté sur elle un jugement négatif en la traitant d' «élément déclassé». Or l'auteur la peint avec beaucoup de sympathie, la dit même «bonne marxiste », travailleuse dévouée et excellente journaliste. Son « crime » consiste à ne pas croire à la possibilité d'édifier le «socialisme dans un seul poulailler», à s'indigner de la paresse idéologique, du musellement de toute critique. En compagnie d'une autre opposante qui, elle aussi, n'en peut plus, Irina part pour la Chine où toutes deux espèrent être utiles. Ni alors ni plus tard le lecteur n'apprend ce que deviennent tous ces opposants de gauche. L'œuvre qui permet de se faire la meilleure idée de l'image de la Chine au début des années 30 est le roman Den Chi-hua de Serge Trétiakov. Dans l'introduction, l'auteur se déclare pour une littérature des faits : « Nous réclamons des connaissances exactes (...) : articles, reportages, journaux intimes, témoignages accumulant l'arithmétique actuelle de la Chine. Nous réclamons un sondage en profondeur. C'est ainsi qu'est née et s'est fortifiée en moi l'idée : percer l'écorce de la Chine nouvelle par une biographie, comme un insecte ronge une poutre. » Plus loin, Trétiakov dit que son livre a deux auteurs : « Den Chi-hua a fourni la matière première des faits et moi j'ai mis en forme. » Ledit Den Chi-hua était l'élève de Trétiakov, qui enseignait la langue et la littérature russes à l'université de Pékin en 1924-25. Den Chi-hua avait été déçu par le Kuomintang, mais sans ~er jusqu'à la rupture. Du fond de sa chère provmce natale de Se-Tchouan, il arrive via Pékin à Moscou et bat le pavé de l'Ilinka et de la Volkhonka. Il ne devient pas communiste. Le livre qui porte son nom raconte les vingt-six premières années de sa vie. Des étudiants communistes ont confié à Trétiakov : « Mais c'est notre enfance, notre Biblioteca Gino Bianco. 33 école, notre vie, tant l'histoire de Chi-hua est typique de l'intelligentsia chinoise d'aujourd'hui »... Pour nous, l'introduction de Trétiakov présente un intérêt particulier : Cultivant sur la terre noire de notre Octobre l'incommensurable révolution chinoise, nous nous injectons fébrilement, légitimement, toute connaissance sur la Chine, comme un anémique s'enfonce sous la peau l'aiguille avec l'arsenic. Notre ancienne connaissance de la Chine ressemble à un bras estropié. Il faut d'abord le casser afin qu'il se ressoude correctement. Le temps n'est plus de l'alchimie littéraire pour laquelle la Chine était dans la famille des peuples une pierre énigmatique et insondable. PARMIles œuvres consacrées à la guerre civile qui aboutit à la victoire des communistes et à la création de la République populaire de Chine, la plus intéressante est l'essai de Constantin Simonov intitulé La Chine au combat, publié en 1949 dans la Pravda. Simonov avait réuni sa documentation au front, en accompagnant des détachements de l'armée de Mao, en s'entretenant à l'aide d'un interprète avec des chefs politiques et militaires, avec des représentants des autorités locales, sans oublier de s'enquérir de leur vie passée, de leur origine sociale, etc. Eléments qui donnent à son témoignage la fraîcheur de l'observation directe. Du strict point de vue de l'organisation, l'Armée populaire de libération répond au modèle de l'armée soviétique actuelle tout en en différant profondément par son esprit démocratique. L'auteur n'ose insister sur cette particularité, mais l'ancienne génération soviétique n'a pas manqué de faire le rapprochement avec l'Armée rouge de la guerre civile. Cette parenté découle avant tout de la nature même des deux armées, nées au milieu des péripéties d'une guerre civile. Sous le couvert des circonlocutions de rigueur quant aux « conditions particulières de la guerre révolutionnaire en Chine», c'est à ces conclusions que Simonov amène ses lecteurs, comme Pilniak l'avait fait en son temps : « Dans cette communauté [des deux armées], un autre phénomène élémentaire se fait jour : la grande armée d'un grand peuple qui se libère dans les combats contre l'ennemi (...) ne peut, dans ses principes essentiels, se distinguer beaucoup des principes -sur lesquels, il y a bien des années, a été fondée la formation des soldats révolutionnaires d'un autre ·grand peuple ... » A certains égards, cependant, l' Armée populaire de libération se distingue, à son avantage, de l'ancienne Armée rouge,. en particulier dans les rapports avec la population. La direction politique a beau s'efforcer, suivant les « directives » du parti communiste, d'inculquer la « colère de classe » à l'armée chinoise, elle n'y réussit guère pour diverses raisons. Les paysans paient toujours un lourd tribut au cours d'une guerre civile: c'est sur eux que retombe le poids du ravitaillement, des cantonnements, des trans-

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