Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

32 chinois ·(1928). Ajoutons-y le poème de Serge Trétiakov: Rugis, Chine! Le début de L' Année nue est quelque peu mystérieux : Cela a commencé à Moscou, dans le quartier chinois, derrière la muraille de Chine, dans les ruelles et les cours de pierre, sous les becs de gaz - désert de pierre. Le jour, le quartier chinois, derrière la ~uraille de Chine, se multipliait en myriades d'individus, en millions de vies humaines - chapeau melon, chapeau de feutre et sarrau - lui-même en melon, avec une serviette d'obligations, d'actions, de traites, de factures, de titres de bourse - icônes, peaux, tissus, raisins secs, or, platine, vodka - bref, l'Europe en melon. Et la nuit, des ruelles de pierre et des cours les melons disparaissaient ; s'installaient le désert et le silence; les chiens rôdaient et les réverbères luisaient, blafards (...). Et alors, dans ce désert, des cours et des portes cochères sortait l'autre: la Chine sans melon, le Céleste-Empire qui s'étend quelque part derrière la Grande Muraille de pierre et qui regarde le monde de ses yeux bridés pareils aux boutons de capote des soldats russes. Outre le quartier chinois de Moscou, il y a une autre Chine, celle de Nijni-Novgorod, et encore une troisième : Là-bas, à mille verstes, à Moscou, l'énorme meule de la révolution a broyé l'Ilinka, et la Chine, sortie de l'Ilinka, s'est mise lentement en mouvement (...). Elle s'est mise en mouvement, cette mystérieuse Chine, dans une direction inconnue, mais on en entendra parler. Dans son Récit chinois, Pilniak restera fidèle à la première image qu'il avait donnée de la Chine. A Pékin, vers la fin des années 20, !'écrivain se réveille un jour avec l'étrange sentiment de se trouver chez sa grand-mère (sa mère était issue d'une vieille famille de marchands). Se promener dans les rues de Pékin est pour lui comme se promener dans son enfance. Là est la clef du début mystérieux de L' Année nue. Les rapports d'affaires entre la Russie et l'Europe ne sont dans l'histoire russe qu'une mince pellicule, les couches profondes du passé russe étant .liées à l'Asie, en particulier à la Chine ; le commerce avec elle se perd dans la nuit des temps. Pilniak n'aime pas beaucoup la Chine. Se référant à un sinologue de renom qui avait passé trente ans dans ce pays, il affirme que les « clefs de la Chine » sont « les portes et les murailles chinoises». Le pays s'est retranché du monde extérieur par la Grande Muraille; de plus, chacune des villes est séparée des autres par un mur; et dans l'enceinte de chaque ville il existe une multitude de murs qui isolent les maisons les unes des autres. Et « les murailles aveugles · se dressent dans la mentalité des Chinois... » Pékin lui rappelle une « ville de garnison russe du xvu1e siècle ; .tous les palais, tous les temples sont bondés de soldats ; des canons sur les places, des patrouilles aux carrefours - et partout des graines de pastèque ». Quittant_ Pékin, Pilniak plonge par la portière « dans · une infinité de rizières - dans la misère ,chinoise, dans le labeur chinois ». Biblioteca Gino Bianco· LE CONTRAT SOCIAL L'IMAGE de la Chine contemporaine à la veille de la révolution a trouvé son reflet dans le poème Rugis Chine ! , de Serge Trétiakov (1925), membre de l'organisation littéraire Lef (Front gauche des arts) dont l'âme était Maïakovski. Au Lef, Trétiakov, qui sera victime de . la grande épuration de 1936-38, passait pour le' théoricien et l'idéologue du groupe. Plus tard, il adaptera lui-même son poème pour la scène, · sous le même titre. Selon l'introduction, il s'agit d'une « première rencontre avec la Chine, plus exactement avec la rue de Pékin». En tout, quinze poésies consacrées aux colporteurs, marchands, rémouleurs, porteurs d'eau, du barbier aux tireurs de pousse-pousse, aux ramasseurs de fumier, etc. Le tout commence par une description des ~ murailles chinoises : La Chine a beaucoup de lourdes murailles. Avec leurs dents elles happent le ciel par la peau. La Chine est lasse. Le lit de la Chine : Entre les murailles le désert lui a dressé sa couche Loess jaune Pour que des roues Ne gronde pas le fracas ... Les rencontres dans la rue avec les Pékinois rie peuvent disposer personne à l'optimisme. Mais l'auteur a la foi: Ce sera. Viendront le jour et l'heure. La haine fondra, suintant des chaumières, de la peau. Le soleil rouge jaillira. En cette heure-là personne ne dormira. Aucune baïonnette, Aucun métal Ne sauvera un instant Le quartier ·des ambassades. On paiera pour tout, pour tous les trous des hutung [et des villages ... Dans la deuxième moitié des années 20, de nouveaux traits viennent s'ajouter à l'image traditionnelle de la Chine. Le personnage central de la courte nouvelle d'Alexis Tolstoï, La Vipère (1928), est la communiste Olga Zotova. Elle a pris une part active à la guerre civile. Mais après la fin des hostilités, elle ne peut s'accommoder de la mentalité petite-bourgeoise qui triomphe partout. Olga habite un logement communal dont les locataires, surtout les femmes, ne l'aiment pas et cherchent à lui empoisonner l'existence. Derrière son dos, on l'appelle « la vipère». A bout de nerfs, Olga finit par tirer sur une petite bourgeoise hargneuse qui la persécute. Elle est la premiète à condamner l'absurdité de son geste et part_pour la Chine, où elle espère redevenir utile... Avec plus de relief encore, cette nouvelle vision de la Chine, considérée comme un aimant pour les jeunes révolutionnaires romantiques, s'exprime dans l'œuvre de Boris Daïredjiev, A travers les bancs de sable (1929). Au centre d~ roman, une grande usine métallurgique de Sverdlovsk et la vie ·de l' « appareil » provincial. Le héros de

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