30 l'origine exclusivement militaire) ne se transforma en véritable féodalité (c'est-à-dire en véritable classe dominante) que sous l'influence des forces productives trouvées dans le pays conquis ». Le phénomène premier est donc ici la forme spécifique de l'appareil militaire qui modèlera les rapports de production à son image et à son profit, selon l'état effectif des forces productives. Dans les castes, Marx n'a vu que des formes « pétrifiées » de la division du travail. Il était si profondément convaincu de la justesse de son interprétation qu'il en a fait une pierre de touche, un véritable article de foi et l'argument de choix contre la conception traditionnelle de l'histoire. Ignorant la « base réelle » (économique) de l'histoire, ne prenant en considération que les faits politiques et religieux, l'historiographie traditionnelle est condamnée à « partager l'illusion propre à chaque époque » 44 : cc Une époque. se figure-t-elle par exemple qu'elle est déterminée par des motifs purement "politiques" ou "religieux", bien que la" religion" et la" politique'' ne soient que des formes apparentes de ses motifs réels, son historien accepte aussitôt cette opinion. » Ainsi, par exemple, « lorsque la forme grossière de la division du travail chez les Hindous et les Egyptiens engendre le système des castes dans l'Etat et la religion de ces peuples, l'historien croit que c'est le système des castes qui a produit cette forme sociale grossière », ce qui est manifestement vrai mais qui paraît à Marx le comble de l'absurdité. Pour lui, le système des castes est un «produit » ou une « ossification » de la division du travail 45 , et ce serait tomber dans l' « illusion politique », où pire, dans l' « illusion religieuse », que de croire que la violence ou la religion aient été pour quelque chose dans la division de la société en castes et dans la perpétuation de cette division. Pourtant, il est évident que ce n'est pas dans le développement des forces productives et l'« ossification » de la division du travail qu'il faut chercher l'origine et le fondement du régime 44. D.I., p. 36 (VI, 187). 45. Kapital, I, p. 355-56 (Il, 31). BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL des castes. En règle générale, la caste est une tribu qui s'est insérée dans l'ensemble d'un peuple étranger, soit comme conquérante, soit en y tombant au rang de paria. Les castes hindoues (il n'y a pas eu de castes en Egypte) furent le produit non pas du développement économique, mais au contraire de la destruction de la brillante civilisation des cités de l' Indus par les envahisseurs aryens (à partir du x111° siècle av. J.-C.). Le régime des castes était destiné, d'une part, · à sauvegarder la pureté du sang aryen menacé par le métissage avec les autochtones ; d'autre part, à préserver les privilèges sociaux de la classe des brahmanes, qui s'était réservée le monopole du sacrifice védique, et de la classe des guerriers et des agriculteurs, face à la classe inférieure des çoudra où furent reléguées les populations vaincues. Il serait absurde et proprement « idéologique » de supposer qu'il a été établi par la simple spontanéité de la division du travail « nécessairement et indépendamment de la volonté» de ceux qui en furent les bénéficiaires... Créé par la violence, le système des castes fut perpétué par la religion : c'est elle qui lui a permis de subsister à travers toutes les vicissitudes de l'histoire politique et économique· de l'Inde, les changements de dynastie, l'apparition et l'écroulement des empires, les vagues successives des conquérants, l'alternance des périodes de prospérité urbaine, d'isolement féodal, de stagnation villageoise, les luttes entre les deux castes supérieures et les assauts des religions antibrahmaniques. · La théorie qui élève la division du travail au rang d'un démiurge des classes dirigeantes est manifestement inspirée de l'expérience la plus récente des sociétés bourgeoises modernes. Marx n'a pas su résister aux « illusions » de son temps ni échapper à ce « conditionnement » de la pensée par la situation historique qu'il a lui-même proclamé. Ses thèses sur le pouvoir idéologique et le pouvoir politique nous permettront de voir de plus près les limites de sa perspective et l'extrême étroitesse de son champ de validité. (Fin au prochain numéro) K. PAPAIOANNOU. ,
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