26 De même, « le conquérant vit du tribut, le fonctionnaire des impôts, le propriétaire foncier de la rente, ou bien le moine d'aumônes et le lévite de la dîme: tous reçoivent un quantum de la production sociale » qui est déterminé par d' « autres lois » que celles qui déterminent la part ~es travailleurs directs, esclaves, serfs ou ouvners salariés 12 • Ce qui est frappant dans ces deux ~extes, c'est le caractère largement extra-éconormque de la plupart des classes ou des couches dirigeantes qui sont énumérées. Pourtant, tout l'effort de Marx tendit précisément à nier l'indépendance et la spécificité de l'ordre idéologique comme de l'ordre politique. Comment alors concilier ce pluralisme avec le « monisme économique» de sa doctrine ? L'« économisme » de Marx Nous AVONS ÉTUDIÉ ailleurs les fondements philosophiques de la sociologie marxiste 13 • Nous savons que les propositions fondamentales de la « conception matérialiste de l'histoire » : primat de la technique, souveraineté des « forces produ~- tives », dépréciation des « superstructures politiques et idéologiques », dérivent toutes d'une philosophie qui tient le travail, le combat contre la nature, le « développement pratique de l'homme» pour la vocation.esse~tielle du genre h~ain. Le « monisme » sociologique de Marx, qw ne connaît que le « développement des forces productives » et tient tout le reste pour des « superstructures » plus ou moins « éth~rées_ » • (irréelles) découle directement de sa philosophie « monophysite » qui veut réduire les « forces ess~ntielles » de l'homme à ses seules forces productives. Loin de désigner une simple activité économique, partielle par nature, le travail est l' « essence » même de l'humanité. « Ce que les hommes sont, dit Marx, coïncide avec les objets qu'ils produisent et avec la m~ère dont ils ~es produisent 14 • » C'est sous le signe du travail et des « forces productives » que se déroule la véritable histoire de l'humanité et la société civile, c'est-àdire « l'organisation sociale qui résulte directement de la production et du commerce.», _est << le véritable théâtre et le foyer de toute histoire, la base de l'Etat et de toute la superstructure idéologique » 15 • Tout .ce qui dépass~ , 1~ <~ ie commerciale et industrielle » de la socrete civile ne constitue pas à proprement parler une histoi~e. cc Il n'y a pas d'histoire, de la politiq~e? du droit, de la science, etc., de 1 art, de la religion, etc. », répète inlassablement Marx ~6 pour .~énoncer les cc absurdités » de la concept1on traditionnelle, 12. Marx : Zur Kritik der Politischen Œkonomie, Dietz, 1951, p. 240 (traduction Laura Lafa_rgue, p. 312)_. . 13. Cf. nos essais : • La fondation du manusme », m Contrat social, nov.-déc. 1961 et janv.-fév. 196~ ; u Marx ~t la critique de l'idéologie », in Preuves, n°• 144 et 149. 14. D.I., p. 17 (VI, 157). 15. D.J., p. 33 (VI, 179 et 244), 16. D.J., p. S9'>(Vl, 2$0), Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL « idéaliste et théologique », qui ignore la ,, base réelle de l'histoire » et ne s'intéresse qu'aux « grands événements politiques, théologiques et étatiques » 17 • Toutes ces formes de la vie extraéconomique ne possèdent ni une structure de soi, ni un développement par soi, ni une intelligibilité pour soi 18 : <c Elles n'ont pas d'indépendance », c'est-à-dire de réalité propre. << Elles n'ont pas de développement», c'est-à-dire de vie et de fécondité propres. << Elles n'ont pas d'histoire », c'est-à-dire que leur déroulement dans le temps ne fait apparaître aucun ordre spontané, aucune logique interne, mais dépend de la « production matérielle », histoire cc réelle » des hommes. Aussi bien la production en vue de la satisfaction des besoins existants est-elle cc le premier fait historique» 19 , le premier acte par lequel l'homme se distingue réellement de l'animal. Le second point entrant en ligne de compte pour la formation du lien social constitutif est la cc production de nouveaux besoins », condition nécessaire du progrès économique. Enfin, à côté de ces deux formes de cc production de la vie par le travail », la vie sexuelle, définie dans le style des traités d'économie politique comme la cc production de la vie d'autrui dans la procréation», constitue le troisième aspect sous lequel apparaît la condition originelle de toute histoire. Ainsi, dit Marx, << apparaît déjà une liaison ( Zusammenhang) matérialiste des hommes entre eux, qui est déterminée par les besoins et par le mode de production ». Cette liaison « matérialiste » originelle, qui rappelle l'organisation strictement économique de la société réclamée par les disciples de Cobden et de Saint-Simon, épuise selon Marx la véritable sociabilité humaine et se suffit absolument à elle-même. La société industrielle dont rêvaient Saint-Simon et Spencer ignorait les frontières, l'armée, la police, bref les aberrations des c< légistes » et de « l'Etat militaire ». C'est en pensant à cet avenir que les saint-simoniens entrèrent en masse dans les conseils d'administration des sociétés anonymes du Second Empire - en quoi ils furent plus fidèles à l'esprit de leur maître que les marxistes qui érigèrent la cc primauté du parti » en un principe intangible de l'orthodoxie « marxiste-léniniste »... Or Marx avait commené par donner une valeur rétroactive aux anticipations saint-simoniennes. La célèbre parabole de Saint-Simon exprimait, selon lui, l'état originel de l'humanité. Tant et si bien que pour comprendre la constitution fondatrice, des liens sociaux, point n'était besoin de faire intervenir un mode de liaison supplémentaire d'ordre politique ou religieux : cette société primitive et... manchestérienne trouve dans les rapports c< matériels » (pratiques) que suscitent les besoins et le mode de production, • sa raison suffisante aussi bien que sa cohésion 17. D.J., p. 33 (VI, 179) et p. 36 (VI, 187). 18. D.J., pp. 22-23 (VI, 157-59). 19. D.J., pp. 24-27 (VI, 165-68).
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