Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

22 M. Debré, mais il n'est pas, jusqu'à présent, parvenu à en sortir. Y parviendra-t-il? Pourrat-il faire triompher ses théories bonapartistes? C'est extrêmement douteux. Lorsque Bonaparte fonda le Consulat, le régime qu'il abolissait comprenait deux assemblées élues au second degré par des électeurs censitaires. Il améliora le système en ajoutant une troisième assemblée, en introduisant un troisième degré dans les élections - élections d'ailleurs uniques, car les collèges superposés étaient élus à vie, et il n'y avait plus, de loin en loin, qu'à les recompléter - enfin en disséminant les pouvoirs dans les assemblées dont l'une, composée de membres nommés et cooptés, choisissait les membres des deux autres sur la liste du collège du troisième degré. Il va presque sans dire que le Sénat, nommé, détenait un pouvoir supérieur à celui des assemblées dont il avait choisi les membres. Ainsi procède-t-on lorsqu'on veut· gouverner au nom du peuple : on le prend au mot dès qu'il parle, de façon à lui éviter la fatigue des répétitions 10 • Malheureusement, il n'est pas toujours possible de procéder ainsi. Le second Bonaparte put bien limiter les pouvoirs du Corps législatif, l'emprisonner entre un Sénat et un Conseil d'État nommés, le ver trait dans le fruit, car il avait, pour réussir son coup d'État, rétabli le suffrage universel. Périodiquement, les députés devaient retourner devant les électeurs, et la nation tout entière s'exprimait. Cette seule circonstance suffit à ruiner le système. Progressivement, toutes les barrières, tous les gardefous furent emportés par l'irrésistible marée du suffrage universel. La situation du général de Gaulle est beaucoup plus mauvaise encore que celle de LouisNapoléon Bonaparte. Non seulement il ne peut être question de supprimer ni même d'aménager le suffrage universel, mais la Constitution de 1958 n'a qu'en apparence accru le nombre des assemblées. En fait, il n'y a que deux assemblées qui délibèrent sur la loi. Ces deux assemblées étaient égales sous la IIIe République. La IVe République avait réduit l'importance du Sénat. La Ve en a fait un fantôme impuissant. Provisoirement, les limitations apportées par la Constitution de 1958 à l'Assemblée nationale peuvent sembler importantes. A terme, on s'apercevra que cette assemblée seule détient le pouvoir et qu'on ne peut rien faire sans son accord exprimé ou tacite, enthousiaste ou résigné. D'ailleurs on s'en est déjà aperçu, et c'est parce ·que les mécanismes constitutionnels s'imposent à lui en dépit de ses théories que le chef de l'État est, en novembre 1962, intervenu dans la campagne électorale pour s'assurer au Palais10. On voit que nous n'envisageons_ ici que la méthode traditionnelle. C'est que le général de Gaulle n'a jamais montré le moindre goût pour la ·méthode moderne du parti unique. Biblioteca Gino Bianco· LE CONTRAT SOCIAL Bourbon une majorité dévouée. Le système de l'Assemblée unique mis au point en 1958 a des ressorts tellement simples qu'il .n'est guère possible de biaiser : il faut, si l'on n'y dispose pas de la majorité, du moins n'y pas trouver de majorité contre soi. Quant à la traiter par le mépris, à la faire désavouer par la nation par la voie du référendum, c'est une menace qu'il est plus aisé de· formuler dans une conférence de presse que de mettre à exécution lors d'un conflit politique. Un procédé de ce genre, ou bien ne serait qu'un expédient, et la nécessité d'être en accord avec l'Assemblée ne tarderait pas à réapparaître, ou bien - et c'est là l'hypothèse la plus vraisemblable - ne serait que le premier acte d'une opération dont le dernier acte serait l'abolition de l'Assemblée, et plus généralement de la représentation nationale telle qu'elle a été conçue jusqu'à présent. Dans cette hypothèse, l'allusion du chef de l'État à une réorganisation du Conseil économique et social prendrait un sens assez particulier : il songerait à substituer à la représentation politique de la nation une représentation sociale et technique où il serait plus aisé, peut-il penser, d'entretenir cette confusion qu'il considère comme •la base la plus sûre de son pouvoir. ON TROUVERA peut-être que nous poussons très loin le jeu de l'hypothèse. Et il est certes déplaisant de donner une telle part à celle-ci dans la réflexion constitutionnelle. Mais il faut bien voir que cette part donnée à l'hypothèse ne sort nullement d'une imagination déréglée, mais de la nécessité où nous sommes d'envisager le chemin où s'engage le chef de l'État au moment où il prétend superbement et systématiquement tenir pour nulles et non avenues toutes les structures de la Constitution qui a, sur sa proposition, été approuvée il y a cinq ans par les deux tiers des Français et les quatre cinquièmes des votants. On parlerait d'ailleurs plus justement du chemin où s'est d'ores et déjà engagé le chef de l'État, car de la Constitution de 1958 à la Constitution de 1962 éclairée par le commentaire du 31 janvier, la distance est tellement considérable qu'il n'y a plus, pour ·l'avenir, d'hypothèse absurde. A vrai dire, de nouvelles réformes ne sont sans doute pas imminentes. Le chef de l'État disposant à l'Assemblée d'une majorité de fidèles, il est vraisemblable qu'aucun conflit ne naîtra de ce côté-là avant le renouvellement de l'Assemblée. De sorte que le premier problème qui se posera à lui sera d'une autre nature : il lui faudra · obte~r le renouvellement de son mandat prési- .dent1el.On peut se demander si cette expérience · tardive de la lutte électorale et du suffrage universel ne rafraîchira pas son enthousiasme pour la ~ormule plébiscitaire. YVES LÉVY.

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