YVES LÉVY le président a affirmé que seul il peut exercer ou _délé~er le pouvoir. Il a dit qu'élu par la natton, il est « la source et le détenteur » du pouvoir ; qu'il est « l'homme de la nation mis en ]?lace par. elle-même pour répondre d; son destm »; qu'il est « seul à détenir et à déléguer l'autorité de l'État » ; que « l'autorité indivisible de l'État est confiée tout entière au président par le peuple qui l'a élu » 2 ; que « le peuple souverain, en élisant le président, l'investit de sa confiance ». Pourtant, il existe un Parlement. Son rôle a dit_le président, est d'exercer le pouvoir législatif et de contrôler l'action du ministère et l'on sait que ces fonctions ont été considérablement restreintes par la Constitution de 1958 (cf. notamment les art. 28, 34, 36, 44, 48). Cependant l'Assemblée nationale peut émettre un vote de censure. Le chef de l'État a fini par mentionner ce point, vers la fin de son cours ~e ~r~it constitutio!lnel, pour montrer la supénorite de notre systeme sur celui des États-Unis. En effet, ~i 1~ Congrè~ _américain paralyse par ses votes 1actton du president, le conflit ne peut se résoudre par des voies constitutionnelles. La Constitution· de la Ve République, au contraire permet au président de « recourir à la natio~ pour la faire juge du litige par voie de nouvelles élections, ou par celle de référendum, ou par les deux ». CETTE DERNIÈRE FORMULE est sans doute la plus importante de tout l'exposé du président. Et l'on peut, à son sujet, faire deux remarques curieuses. La première, c'est que le président, ici, constate le pouvoir de l'Assemblée nationale, ce qui ruine ses affirmations répétées selon lesquelles il est seul détenteur du pouvoir. Le pouvoir de l'Assemblée peut en effet balancer celui du président, et le contraindre à prendre la nation pour arbitre. En d'autres termes, le président n'est source du pouvoir que pour le premier ministre, et si l'Assemblée - qui tire son pouvoir du vote de la nation - s'oppose au premier ministre, le président doit s'adresser à la nation, source commune de son propre pouvoir et de celui de l'Assemblée. Le véritable arbitre, ce n'est pas le président, c'est la nation. Telle est la première remarque. Voici la seconde. Le chef de l'État s'attribue le droit de résoudre par le seul référendum le conflit créé par un vote de censure de l'assemblée. La Constitution, en 2. Le président ajoute ici qu'il n'y a aucune autorité « ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui ». Le chef de l'État s'attribue ainsi un pouvoir de nommer et de révoquer qui semble outrepasser les termes de la Constitution. Celle-ci affirme en effet (art. 64) que « les magistrats du siège sont inamovibles ». D'autre part, la Constitution ne semble pas donner au président le pouvoir de contraindre le premier ministre à démissionner (cf. Travaux préparatoires à la Constitution, p. 126). BibliotecaGino Bianco 19 son article 50, prévoit seulement la démission obligatoire du gouvernement. Les débats du Comité consultatif constitutionnel (p. 186 des Travaux préparatoires à la Constitution) conduisent à admettre que le président ait le choix entre la démission du ministère et la dissolution de l'Assemblée, choix d'ailleurs classique en régime démocratique. Mais la Constitution ne prévoit nullement le recours au référendum. Il est assez clair que cette procédure modifierait profondément l'équilibre constitutionnel. Mais il faut bien voir qu'elle compléterait et couronnerait le nouvel édifice élevé en 1962. En 1962, il n'y a pas eu une, mais deux réformes constitutionnelles. L'une, modifiant le texte de la Constitution, instituait l'élection du président au _suffrageuniversel. La seconde, qui n'a guère attiré l'attention, n'avait pas moins d'importance. Elle consistait dans l'adoption d'une pratique tout à fait contraire à la Constitution. Les adver- ~aire,s du président de la République se sont eleves, en septembre et octobre 1962, contre l'usage du référendum en matière de révision constitutionnelle et le 3 novembre, s'adressant au Conseil constitutionnel, le président du Sénat semble n'avoir lui aussi invoqué que la violation d~s règles de la révision constitutionnelle 3 • ( On sait que le Conseil constitutionnel répondit à peu près que les questions constitutionnelles n'étaient pas de sa compétence.) Mais ce référendum n'était pas seulement contestable en ce qu'il instituait une procédure non constitutionnelle de révision constitutionnelle. C'était aussi un référendum qui était inconstitutionnel dans sa forme, co~me nous l'avons déjà exposé ici 4 • Nous montrions que la Constitution de 1958, da~s. sa lettre et dans son esprit, interdisait au president de soumettre un projet de loi au référe?dum lorsque l'Assemblée nationale s'y opposa~t. L~ chef de ~'Ét~t pense-t-il que sur ce point « 1esprit » de 1arttcle 11 de la Constitution serait en désaccord avec « l'esprit » plus général de l'ensemble du texte constitutionnel, qui veut « l' effi~acité, 1~stabilit~ et la responsabilité » des pouvoirs publics ? Mais les « pouvoirs publics », ce n'est pas seulement le président et le ministère, c'est aussi l'Assemblée nationale et le Sénat et si ce dernier n'a qu'une responsabilité consti~ tutionnelle des plus faibles, celle de l'Assemblée est considérabl_e. Quoi qu'il en soit, sans. rencontrer aucune opposition sérieuse, le chef de l'État a) en 1962, 3. A la vérité, il est possible qu'il ait traité le point dont nous allons parler. Il attaquait en effet le texte voté par la nation « à la fois en raison des conditions dans lesquelles le référendum a été décidé, de l'irrégularité intrinsèque de ce référendum et du contenu du texte soumis à l'approbation du. c~rps électo~al ». On peut supposer que l'alinéa qui suit ~raita1t d~ i;,remi~r de ces trois points, qui est celui qui nous intéresse 1c1.Mais ce passage ne figure pas dans le Monde du 8 novembre ~962, qui ne publie que des fragments de la lettre du président du Sénat. L'Année politique, assez fâcheusement, se borne à reproduire l'article du Monde. 4• Le Contrat social, juillet-août 1963, p. 202, note 2.
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