Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

LA CONSTITUTION DE 1962 par Yves Lévy Le gouvernement français représente le peuple souverain, et il ne peut y avoir d'opposition contre le souverain. BONAPARTE, premier consul. UNE CONSTITUTION, dit le chef de l'État, « c'est un esprit, des institutions, une pratique ». Aucun de ces termes ne présente d'ambiguïté, car cette définition énoncée ( à sa conférence de presse, le 31 janvier dernier), le chef de l'État l'illustra aussitôt d'un exposé d'une demi-heure, aussi remarquable par la cohérence que par la clarté. Les deux derniers termes, d'ailleurs, n'ont rien qui puisse surprendre : il est courant, en ce domaine comme en bien d'autres, de distinguer la théorie de la pratique. Le premier point requiert l'attention. « Pour ce qui est de notre Constitution, son esprit procède de la nécessité d'assurer aux pouvoirs publics l'efficacité, la stabilité et la respon- ~abilité dont ils manquaient organiquement sous la IIIe et la IV 0 République. » Ainsi s_e'st, sur ce premier point, exprimé le chef de l'Etat. Notre Constitution n'apparaît pas ici comme un texte fondé sur des raisons théologiques, métaphysiques ou morales, ni sur des principes juridiques ou des données sociologiques. Et l'histoire n'intervient pas sous les espèces de la philosophie de l'histoire (comme il arrive si souvent de nos jours) mais seulement en tant qu'elle offrait une situation. Cette situation a suscité une intention, et c'est cette intention qui a été mise en œuvre au cours de l'élaboration de la Constitution. Nous nous trouvons donc sur un terrain strictement politique : un homme d'État a résolu de se donner les moyens de gouverner - à lui-même ou à tout autre qui viendrait à exercer ses fonctions - et c'est à ce dessein que répond la Constitution. C'est d'ailleurs en se fondant implicitement sur l'esprit de la Constitution qu'il repousse (avec d excellents arguments) les deux projets de réforme qui ,j.ouissent actuellement de quelque faveur. La cohérence, l'harmonie de son œuvre ne peuvent s'accommoder d'aucune modification. Biblioteca Gino B.ianco On remarquera ici que la notion de « l'esprit » d'une Constitution ne peut aisément se transporter dans l'examen de n'importe quelle Constitution. L'esprit d'une Constitution est matière à controverse lorsqu'il faut le formuler aposteriori, l'extraire d'un ensemble dont les éléments ne sont pas toujours parfaitement cohérents. Par exemple, s'agissant de l'Ancien Régime, l'esprit qui préside au système semble d'abord se ramener • au droit divin du prince consacré par l'huile de la sainte ampoule, mais le moindre examen révèle que ce droit divin s'enchevêtre avec bien des théories et bien des traditions d'un esprit tout à fait différent. Malgré l'existence d'un texte, l'esprit qui a présidé à la Restauration ou à la monarchie de Juillet n'est guère plus clair : c'est que la Charte était un compromis entre diverses influences de sorte que, dès l'époque, ont fleuri les interprétations les plus opposées. Quant aux lois constitutionnelles de 1875, on sait qu'elles furent le fruit des . espoirs contradictoires de partis opposés les uns aux autres. Tous ces régimes sont d'ailleurs réinterprétés après coup par les philosophes de l'histoire, qu'il s'agisse des marxistes, qui prêchent le dogme de l'État de classe, ou des professeurs de droit constitutionnel, pour qui nos régimes successifs s'inscrivent dans une évolution idéale de l'État dont ils seraient les étapes. En vérité, r esprit d'une Constitution n'est parfaitement définissable qu_elorsqu'un homme seul l'a inspirée, ou a pris à sa préparation une part prépondérante. La Constitution de l'an VIII, celle de 1852, celle de 1958-1962 ont un « esprit »,. le même d'ailleurs, car ce que veut un homme seul, c'est presque nécessairement l'efficacité, la stabilité, la responsabilité. Ce rapprochement met en lumière un trait que notait déjà, il y a quatre siècles et demi, un grand patriote et un fervent républicain: pour réformer les institutions, disait Nicolas Machiavel, il faut un homme seul. Et s'il s'exprimait ainsi, c'est parce qu'il savait qu'un homme seul, avant tout, cherche l'efficacité, la stabilité, la

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