Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

12 imposait au Chinois moyen habitué depuis des millénaires à vénérer le chef suprême à l'égal d'une divinité. Aussi bien, la conduite insolite de Khrouchtchev, justifiée sans doute en Europe, eut, en Chine, des effets contraires : Khrouchtchev apparut aux communistes chinois et à Mao comme un esprit léger et un « marxiste peu sérieux». D'autre part, la façon primitive de penser des communistes chinois, la misère du peuple, l'état arriéré du pays sur le plan industriel et technique, ne firent-ils pas sur Khrouchtchev une impression désastreuse et propre à déprécier fortement à ses yeux l'importance de la Chine en tant qu'alliée ? L'antipathie de Mao et de Khrouchtchev empira quand, dix-huit mois plus tard, Khrouchtchev décida de déboulonner Staline. Ce geste sacrilège fut un paquet de boue à la face du « disciple le plus éminent de Staline et son compagnon d'armes», de l'homme qui « a su devenir le plus grand des disciples de Staline et le chef de la révolution chinoise victorieuse dont le style et les méthodes sont les mêmes que ceux de Staline » 10 • Dans la même veine, le Quotidien du peuple écrivait récemment: Après le xxe Congrès, des camarades membres du Comité central du P.C. chinois critiquèrent maintes fois le P.C. soviétique dont les leaders niaient le rôle éminent de Staline au cours des trente années qui suivirent la mort de Lénine. Entre avril et novembre 1956, le camarade Mao Tsé-toung eut à quatre reprises l'occasion de s'adresser aux camarades soviétiques. Nous avons plus d'une fois souligné que les mérites de Staline sont plus grands que ses erreurs et que, s·ous ce rappo:rt, le jugement doit porter sur tous les aspects [de son action]. Nous pensons que les dirigeants du P.C. soviétique ont commis une faute en ne procédant pas à cette analyse générale, en ne faisant pas leur autocritique et en ne consultant pas les partis frères 11 • Khrouchtchev ignora les appels de Mao et resta ferme sur ses positions. Ce fut une offense pour Mao, non seulement en sa qualité de chef du plus grand parti communiste, mais en tant qu'homme qui se prend pour le premier théoricien contemporain du marxisme-léninisme. Tant que la lutte au Kremlin se déroulait entre Khrouchtchev et ses adversaires, Mao s'abstint de prendre parti publiquement, attendant de voir quel serait le dénouement. Mais à partir de l'été 1958, Pékin déclara que la Chine irait au communisme par ses propres moyens sous les « trois drapeaux rouges » de la ligne générale de Mao, du « grand bond en avant » -et des communes populaires. Cette décision se heurta à la _ripostede Moscou. Deux mois durant, novembre et décembre 1958, se tint la VI0 session du Comité central du P.C. chinois. On ne sait encore au juste ce qui y fut débattu. Finalement, il fut décidé de modérer le rythme d'implantation . 10. Tchen Po-ta : Staline et la· rlvolution chinoise. II. Quotidien du peuple, 20 juillet 1963. · Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL des communes. Mao abandonna la présidence de .la République. Cet événement allait marquer à son tour le début d'une lutte déclarée entre Khrouchtchev et Mao, personne, en Chine, ne ·. mettant en doute que le départ de Mao était l'œuvre de Khrouchtchev. Un an plus tard, fin 1959, le nom de Khrouchtchev n'est mentionné dans les réunions à huis clos du Parti et des jeunesses communistes que pour signaler ses erreurs et souligner son recul par rapport à la ligne politique de Lénine et de Staline. Les choses allèrent ainsi jusqu'au printemps 1960. La publication du recueil intitulé : Vive le léninisme ! donna alors le signal d'une vaste offensive contre Khrouchtchev. D'abord avec prudence, puis de plus en plus ouvertement, les Chinois proclamèrent que leur parti est l'unique détenteur de la pure orthodoxie marxiste-léniniste et que la Chine est le seul pays où la doctrine de Lénine et Staline continue à progresser dans la bonne voie. De plus en plus hardiment, le P.C. chinois s'opposa au P.C. soviétique, hissant son chef, le « grand marxisteléniniste » Mao Tsé-toung, sur un piédestal. Mao donne des leçons et distribue le blâme à de vieux communistes comme '"fhorez et Togliatti, qui soutiennent Khrouchtchev et osent défendre des opinions qui vont à l'encontre du point de vue de Pékin. Certes, en 1962 et dans la première moitié de 1963 les communistes chinois hésitentencore à nommer Khrouchtchev, s'en tenant à des expressions comme «certain», le « dirigeant d'un parti», etc., et voilant sous des allusions leurs véritables cibles. •Mais -leurs adeptes et alliés, les Albanais, se substituent à eux pour donner les éclaircissements nécessaires. Toutefois, à partir de l'été dernier, les deux antagonistes jettent le masque et, écartant les figurants, passent ouvertement à l'attaque. Les pourparlers de juillet à Moscou entre délégués soviétiques et chinois ont montré l'abîme qui sépare les dirigeants .des deux partis. Après les accusations inouïes que Moscou et Pékin se sont jetées à la face, après la signature de l'accord sur l'interdiction des expériences nucléaires, il saute aux yeux que Khrouchtchev et Mao sont .capables d'aller très loin. Mao fait tout pour noircir Khrouchtchev et son entourage, pour les couper de la masse des communistes soviét~que~ et du peuple, pour semer entre eux la z1zarue. Dans s,a déclaration du 31 juillet dernier, le gouvernement chinois, refusant de s'associer à l'accord de Moscou, a présenté ce traité comme une « vaste fumisterie »... « destinée à duper les peuples du monde entier » et « contraire aux espoirs des populations pacifiques de tous les · pays ». Il n'a pas craint d'affirmer qu'en signant cet accord Khrouchtchev « a trahi · les intérêts du peuple soviétique, des pays socialistes, la Chine _comprise,et des peuples, amis de la paix, du monde entier ». Reprenant ces accusations,

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