Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

K. PAVLOV même. En Chine, la situation est très différente. Les communistes chinois sortent à peine d'une interminable ~uerre civile dans un pays ayant une population paysanne de 500 millions d'âmes ~si qu'une classe de moyenne et petite bourgeoisie mercantile et industrielle très nombreuse. La fin de la guerre civile a marqué pour c~s c~asses 1~ ~ébut d'un_e_phase_nouvelle: l'orgarusation socialiste, transition qui a coïncidé avec la guerre de Corée. . L'« esprit de Yunnan», symbole d'une lutte intense et sans répit au milieu des pires difficultés !el est le slog3:111upouvo_irde Mao pour l'usag~ interne, assorti dune tactique d'offensive permanente contre le monde libre. La fraîcheur encore ~tacte ~es .concepts idéologiques des commu-:- rustes chinois se retrouve dans le culte du chef unique emprunté à Staline. A cet. égard, ~ 3:1'estpas négligeable que les commurustes chinois n'aient entrepris d'étudier les œuvres des << classiques du marxisme », même Lénine et Staline, que dans un passé récent. Selon l'historien communiste Tchen Po-ta, membre suppléant du Politburo chinois et rédacteur en chef du Drapeau rouge, revue théorique du Parti; Mao lui-même, le plus «grand marxiste de notre temps», n'a commencé l'étude systématique des ouvrages de Staline, notamment ceux concernant la Chine, qu'au cours de la deuxième guerre mondiale: . Lo~gtemps (...) les opportunistes firent obstacle, mtentmnnellement ou non, à la diffusion dans le Parti des ouvrages de Staline sur la question chinoise. Des difficultés dues à la langue et au blocus contre-révolutionnaire surgirent également. A cause de cela, dans notre parti, beaucoup de camarades qui pratiquement dirigeaient la révolution ne purent se consacrer à l'étude systématique des ouvrages de Staline sur la Chine (...). Ce n'est qu'au cours de la guerre contre le Japon qu'il fut possible au camarade Mao Tsé-toung de lire les œuvres de Staline 8 • A partir de 1949, le bureau d'édition du Comité central du P.C. chinois entreprit de traduire méthodiquement les œuvres de Lénine et de Staline. La traduction et l'impression des treize volumes de Staline furent achevées en 1954; celles des œuvres de Lénine, en 1957. Certes, les dirigeants avaient pu bien avant prendre connaissance des principaux ouvrages de Lénine traduits spécialement pour eux. Néanmoins, la grande masse des militants n'a connu ces œuvres que tout récemment. Cela explique dans une large mesure la multiplication, à partir de 1958, de slogans datant .de la lutte fractionnelle menée dans le P.C. soviétique contre les trotskistes, zinoviévistes et boukhariniens (« révolution permanente », « intégration du koulak dans le socialisme », etc.). Pour la même raison, Mao et ses compagnons défendent avec l'ardeur du néophyte des principes prônés sous Lénine. 8. Tchen Po-ta : Staline et la révolution chinoise, déc. 1949. BiblÎotecaGino Bianco. 11 Non point que les communistes chinois ;;rie_nt fait appel, dans la première phase du conflit, à l'arme idéologique à seule fin de maintenir_ la pureté de la doctrine communiste. Au ·reste, de quelle pureté pourrait-il s'agir alors que les deux camps étayent leurs conclusions, souvent diamé-· tralement opposées, par des citations tirées des mêmes ouvrages de Marx ou de Lénine, par des références aux mêmes documents ? En fait, les, Chinois ont choisi l'arme -idéologique pour comb~ttre ~eP.C. s?viétique avant tout parce que la Chine n est manifestement pas en état d'entrer ouvertement en compétition avec !'U.R.S.S. tant sur le plan de l'influence politique dans le mouveme~~ ~ommuniste que sur le plan économique et militaire. Mao· se sent plus à l'aise dans le domaine idéologique; de plus, sur ce terrain, des alliés aussi insignifiants que l'Albanie peuvent avoir une plus grande importance morale et politique. Mais laissons là l'analyse de la polémique entre Pékin et Moscou pour voir ce que cachent les désaccords idéologiques. C'est ce qu'a fait récemment le général de Gaulle : D~p1;1isque je vis, l'idéologie communiste a été personrufiee par beaucoup de gens. Il y a eu l'époque de Lénine, de Trotski, de Staline (que j'ai connu personnellement), de Béria, de Malenkov, de Khrouchtchev et de Tito, et de Nagy, et de Mao Tsé-toung. Je connais autant de détenteurs de l'idéologie communiste qu'il y a de pères de l'Europe, et cela en fait un certain nombre. Chacun de ces détenteurs, à son tour, condamne, excommunie, écrase et, quelquefois, tue les autres. En tout cas, il combat fermement le culte de la personnalité des autres (...). L'étendard de l'idéologie ne couvre en réalité que des ambitions 9 • En effet, les attaques les plus violentes de Pékin sont dirigées contre une cible bien délimitée : la direction actuelle du P.C. soviétique et Khrouchtchev en personne. Quand donc s'est manifestée l'inimitié entre les chefs des deux plus grands partis communistes ? Jusqu'à ces derniers. temps, il n'a pas été aisé d'en suivre l'évolution. Peut-être l'antipathie réciproque de Mao et de Khrouchtchev remonte-t-elle à 1954, au premier voyage de Khrouchtchev en Chine. Après la mort de Staline, ce dernier ne sut que faire pour montrer qu_'il était près du peuple, se mêlant le plus p_ossibleaux masses et se mettant toujours au prermer plan~ Il en usa de même en Chine, où il_~e promena à pied dans 'les rues de Pékin, visita les grands magasins, dansa aveç les jeunes. dans les clubs de Changhaï, et ainsi de suite. <?:était là quel9ue chose d'inaccoutumé pour .. 1 epoque de Stahne; et en Chine, en 1954, cette époque était encore bien réelle. Mao lui, s'en tenait strictement à la manière de Staline : il· se montrait rarement en public et chacune de ses « apparitions » était et est encore célébrée comme une fête. En demeurant inaccessible, Mao en 9. Conférence de presse du 29 juillet 1963, in le Monde 31 juillet. '

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