K. PAVLOV de la Chine. Pour Pékin, Khrouchtchev n'est que l'héritier de Mouraviev, qui vola le bassin du fleuve Amour il y a cent ans, de Nicolas II, de Serge Witte et d'autres qui volèrent à la Chine la Mongolie extérieure et faillirent voler la Mandchourie un demi-siècle plus tard. En outre, la population relativement bien pourvue de la Russie est avant tout soucieuse de recueillir enfin les fruits des sacrifices consentis pendant près de cinquante ans. La Chine misérable ne peut pas aujourd'hui avoir grand-chose de commun avec une Russie qui aspire à dépasser le niveau de vie américain 1 . Dans un autre éditorial, le même journal écrivait : Derrière la violence de l'attaque lancée par Moscou, il faut voir le dépit et la colère nés de la faillite .historique d'une politique. De tout temps et dans toute la inesure du possible, aussi bien sous les tsars que sous Staline, la Russie a souhaité une Chine faible, divisée et sans défense que l'on puisse impunément grignoter. En jaugeant la rupture sino-soviétique, l'Occident serait bien avisé d'y voir en réalité le heurt des intérêts nationaux, masqué par le torrent des sophismes idéologiques des Chinois et le flot des injures soviétiques - 2 • L'emprise du passé historique et des traditions ancestrales, l'amour du sol natal, l'instinct de conservation et la fierté nationale, etc., sont profondément enracinés dans les peuples tombés sous la coupe des communistes. Ceux-ci sont depuis longtemps convaincus que les « préjugés nationaux » ne doivent pas être détruits ; aussi cherchent-ils moins à les combattre qu'à les utiliser à leurs propres fins. C'est ainsi que, en Russie, le mot de Lénine de 1922: « Vladivostok est loin, mais il est nôtre», ne faisait qu'anticiper sur les formules de Staline : le « patriotisme soviétique», hybride de concepts nationaux et internationaux, et la « patrie socialiste ». En 1941-44, le régime stalinien s'abritait derrière le profond amour du Russe pour son pays. Or le gouvernement communiste en Russie n'en est . pas pour autant devenu national. Ces dernières années, sous l'effet d'une habile propagande, des sentiments patriotiques et franchement nationalistes se sont aussi développés dans le peuple chinois, notamment chez les jeunes, jeunesses communistes comprises. Le gros de la population chinoise voit de son côté dans l'Union soviétique la source de tous les malheurs apportés par le régime communiste 3 • Or, tout en menant une violente campagne antisoviétique, Pékin ne cesse de parler de la grande amitié entre les deux peuples, voire entre les deux « partis frères ». Les visées territoriales de l'U.R.S.S. en Asie ont emprunté pour l'essentiel les voies suivies par l'expansion de la Russie au xxe siècle. L'Occident voit là une manifestation du 11ationalisme russe sans réfléchir aux buts réels et aux mobiles de ces· tendances expansionnistes, sans remarquer les changements inter1. New York Times, 5 juillet ·1963. 2. Ibid., 25 juillet 1963. 3. Bulletin, Institute for the Study of the USSR, vol. IX, n°8 3 et 4, mars et avril 1962. BibliotecaGino Bianco. 9 venus dans la politique de !'U.R.S.S. à l'égard de- la Chine depuis les années So. Cependant, tous ces facteurs, si importants soient-ils, ne permettent pas d'ignorer l'internationalisme et la communauté d'idéologie des deux régimes. · Simplifier les facteurs, réduire l'antagonisme sino-soviétique aux. seules proportions d'un heurt d'intérêts avant tout nationaux, ne correspond pas à la réalité. La controverse, dans ses aspects essentiels, ne sort toujours pas des limites du mouvement communistè. Aussi ne faut-il pas vouloir à tout prix faire entrer dans le schème ordinaire des relations entre Etats dotés d'un régime normal une lutte déterminée avant tout par la volonté de Mao d'assurer à la Chine la première place, et cela indépendamment de Moscou. Une telle simplification des dissentiments sino-soviétiques est lourde de conséquences, car elle déroute l'observateur et dissimule la menace qui continue de peser sur le monde libre. En s'en tenant à cette manière de voir, comment donner une réponse logique aux questions apparemment les plus simples ? A quel titre l'Union soviétique et la Chine populaire intervenaientelles dans la guerre de Corée et interviennentelles au Laos et au Vietnam : en tant qu'Etats nationaux ou en tant qu'Etats communistes ? Dans quelle mesure l'alliance avec l'Albanie fournit-elle à la Chine une solide garantie de ses intérêts nationaux ? De quelle nature sont les intérêts nationaux de l'Union soviétique et de la Chine populaire en compétition à Cuba, en Amérique du Sud et en Afrique ? Et ainsi de suite. De plus, on peut se demander si les heurts entre Russes et Chinois s'expliquent uniquement par des intérêts nationaux divergents, ce qui reviendrait à dire que Khrouchtchev et Mao, après avoir consacré leur vie à la cause communiste et à la révolution mondiale, ont soudain renoncé, en approchant de leur soixante-dixième année, à leurs convictions, pour se laisser emporter par les passions nationales. Les arguments échangés de part et d'autre ces dernières années sont loin de confirmer la théorie de l' « antagonisme des intérêts nationaux ». Au contraire, à commencer par les articles de Vive le léninisme ! , recueil publié en 1960 par le P.C. chinois et considéré à Moscou comme le premier coup de canon des hostilités 4, pour finir par la lettre ouverte du· Comité central du P.C. chinois, rendue publique le 15 juin · dernier 5 sous le titre : « Propositions pour une ligne politique générale du mouvement communiste international », tous les articles, sans parler des brochures, parus dans le Quotidien du peuple et le Drapeau rouge, ne cachent nullement la haine implacable vouée au monde libre et ne disent pas un traître mot d'une menace russe contre les intérêts nationaux de la Chine. A preuve, le dernier point de la lettre ouverte du 15 juin, 4. Pravda, 14 juillet 1963. 5. Quotidien du peuple, 17 juin 1963.
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