Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

revue historique et critique Jes /aits et Jes idées - bimestrielle - JANV.-FÉV. 1964 Vol. VIIl, N° 1 B. SOUVARINE . . . . . . . . . . . . . . . Du bruit et de la fureur LÉON EMERY. . . . . . . . . . . . . . . . La démocratisation de l'enseignement K. PAVLOV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le conflit sino-soviétique YVES LÉVY . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Constitution de 1962 K. PAPAIOANNOU . . . . . . . . . . . Marx et la théorie des classes (1) VÉRA ALEXANDROVA....... La Chine dans la littérature soviétique L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE PAUL HOLLANDER . ......... . La vie privée en Chine DOCUMENTS Boukharine en 1928 QUELQUES LIVRES MICHEL COLLINET : L'Association internationale des travailleurs THÉODORE RuvssEN: L'aventure européenne Comptesrendus par B. SouvARINEA, NDRÉHAVAS SYLVAIN MEYERL,uc GUÉRIN · · CORRESPONDANCE « Anticommunisme systématique » INSTITUT - D'HISTOIRE SOCIALE, PARIS ' iblioteca Gino Bianco

Au • sommaire des derniers numéros du CONTRAT SOCIAL MARS-AVRIL 1963 B. Souvari ne Partis frères et idées sœurs N. Valentinov De Boukharineau stalinisme Yves Lévy La matière et la forme Joseph Frank Une utopie russe : 1863-1963 E. Delimars La famille en U.R.S.S. Jeremy R. Azrael La coercitionaprès Staline Aimé Patri La morale de l'histoire * Le mystère Rousseau JUILLET-AOUT 1963 B. Souvari ne MAI-JUIN 1963 B. Souvarine Rappel au conformisme Léon Emery Esquissed'une sociologiede l'école K. Papaioannou l'accumulation totalitaire E. Delimars Le Kremlin et le peuple russe Robert Conquest La « libéralisation » du régime soviétique André V. Babitch Corruptionde l'oligarchie en U.R.S.S. Serge Voronine Frayeursnocturnes Théodore Ruyssen Un grand livre sur la guerre et la paix SEPT.-OCT. 1963 La décompositiondu marxisme-léninisme B. Souvarine Au-dessusde la mêlée Yves Lévy La tâche du Réformateur K. Papaioannou Classe et parti Harry G. Shaffer Révisionnisme et planification R. V. Greenslade Khrouchtchev et les -économistes ... Leopold Labedz le chapitre des « réhabilitations » Lucien Laurat L'avenir du socialisme B. Souvari ne Les premiers pas de Lénine Grégoire Aronson Les francs-maçons et la révolutionrusse Léon Emery Racisme,démocratie et communisme Aleksander Wat Le « réalismesocialiste » Wolfgang Leonhard L'U.R.S.S.après Staline Erich Balow Voyage en Allemagnede l'E.st 1 Martin Jëinicke Aspectsdu stalinismeallemand Chronique Faillitede l'agriculturecommuniste Ces numéros sont en vente à l'administration de la revue 199, boulevard Saint-Germain, Paris 78 Le numéro : 3 F Biblioteca Gin Bianco

leCOMSBO.iClil revue hÎJtorique et critÎ(JHeJes /11it1 et Jes iJées JANV.-FÉV. 1964 VOL. VIII, N° 1 B. Souvarine ......... . Léon Emery ......... . K. Pavlov ............. · Yves Lévy ............ . K. Papaioannou ....... . Véra Alexand rova ..... . L'Expérience communiste SOMMAIRE Page DU BRUIT ET DE LA FUREUR ......... . LA DÉMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT 3 LE CONFLIT SINO-SOVIÉTIQUE . . . . . . . . . 8 LA CONSTITUTION DE 1962............ 17 MARX ET LA THÉORIE DES CLASSES (1). 23 LA CHINE DANS LA LITTÉRATURE SOVIÉTIQUE 3 1 Paul Hollander...... . . . LA VIE PRIVÉE EN CHINE . . . . . . . . . . . . . . . 37 Documents BOU KHARI NE EN 1928 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Quelques livres Michel Coll inet . . . . . . . . Théodore Ruyssen .... . B. Souvari ne .......... . And ré Havas .......... . Sylvain Meyer ........ . Luc Guérin Correspondance L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 L'AVENTURE EUROPÉENNE.... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Œ.UVRESCHOISIES, de V. LÉNINE . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 1 ŒUVRES, t. 32, de V. LÉNINE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 L'ÉTAT ET LA.RÉVOLUTION, de LÉNINE .... : . . . . . . . . 62 LA DEUXIÈMEGUERREMONDIALE, de G. DÉBORINE . 63 L'ENTRETIENPSYCHOLOGIQUE, de CHARLES NAHOUM 64 LETTRES A LAJEUNESSE, d'ANDRÉ PIETTRE . . . . . . . . 6 5 « ANTICOMMUNISME SYSTÉMATIQUE».......................................... 66 Livres reçus Biblioteca Gino Bianc0

A NOS ABONNÉS A NOS LECTEURS A NOS AMIS Alors que nous avions accompli un gros effort pour rattraper notre retard et sortir le premier numéro de l'année 1964 en temps voulu, ui;i coup inattendu a frappé notre publication et aggravé encore son retard : au début de février, l'imprimerie où se faisait la revue a déposé son bilan et cessé le travail. De ce fait, notre numéro 1, déjà presque entièrement composé, est resté en souffrance et il nous a fallu, tout en subissant les délais imposés par des formalités administratives, entreprendre maintes démarches afin de récupérer nos articles (composés ou non) et notre papier, en même temps que nous devions chercher les moyens d'imprimer ailleurs. Sans entrer dans trop de détails, nous en avons assez dit pour expliquer la sortie en mars du présent numéro. L' Imprimerie Hemmerlé ayant consenti à nous tirer provisoirement du mauvais pas , · actuel, grâces lui soient rendues, nous sommes toujours en pourparlers avec diverses imprimeries pour trouver une solution définitive. En attendant, nous prions nos abonnés, nos lecteurs et nos amis de nous excuser de ce contretemps imprévisible et de nous faire confiance pour redresser au plus tôt cette situation consternante. ' Nous prions_aussi MM. les Éditeurs de ne pas s'étonner si tous les livres reçus ne sont pas mentionnés à la rubrique ·qui les concerne : par manque de place, nous avons dû en abréger la liste, quitte à insérer celle-ci plus complète la fois prochaine. Nous prions enfin nos collaborateurs de faire diligence pour nous faciliter le travail en vue de la rédaction et de la mise au point du numéro suivant. BibliotecaGino Bianco

revue ltistorÎIJUeet crilÏIJue Jes faits et Jes idées Janv.-Fév. 1964 Vol. VIII, N° 1 DU BRUIT ET DE LA FUREUR par B. Souvarine ... it is a tale Told by an idiot, full of sound and fury, Signifying nothing. Macbeth, V, 5. INCAPABLES de s'entendre ou de rompre, les communistes de Moscou et ceux de Pékin continuent de présenter leur spectacle dérisoire où tantôt alternent, tantôt s'entremêlent, le mélodrame russe et l'opéra chinois. Khrouchtchev et c1e persévèrent dans leur attitude patiente et font preuve d'une mansuétude insolite, comme s'ils escomptaient une· solution obtenue à la fin d'une guerre d'usure, plus probablement parce qu'ils ne savent comment venir à bout d'un adversaire insaisissable. De temps à autre, ils répètent la même antienne en accusant les Chinois de vouloir la fin du monde et de fomenter la scission du mouvement communiste, ce qui ne les avance à rien. Mao et C1e professent un pacifisme coexistentialiste à donner la nausée, quitte à redoubler de violence dans la polémique contre « l'avant-garde » du communisme. Ils rabâchent leur catéchisme à grand renfort de citations de Lénine comme s'ils avaient affaire à des komsomols, et ils pourf endent le révisionnisme au nom d'une orthodoxie qui s'accommode fort bien d'un opportunisme auprès duquel pâlissent les compromissions de Khrouchtchev et de Tito. Illustration burlesque : le voyage de Chou En-lai en Afrique. A condition de mépriser. comme ils le méritent les articles de la presse « bourgeoise » et leurs titres aussi trompeurs que grossiers (cf. par exemple le Monde du 15 décembre), la tournée du commis-voyageur en pacotille doctrinale Biblioteca Gino Bianc0 chinoise devrait ruiner en Occident les spéculations alarmistes des « experts » et dissiper les inquiétudes irraisonnées du public. Aucune personne sensée ne croira que Chou En-lai ait tenu au roi du Maroc et à l'empereur d'Éthiopie le même langage qu'aux parvenus nationaux-socialistes du Caire et d'Alger, ou qu'aux politiciens noirs plus au Sud. Dans chaque pays visité, il s'est comporté de façon à ne pas déplaire, à justifier plus ou moins le succès de curiosité qu'obtient sans effort tout individu mis en vedette par la publicité absurde de l'époque, et ce conformément à la définition même de l'opportunisme. On peut tenir pour certain qu'il a fait partout des promesses appropriées aux conditions de lieux et que ses interlocuteurs, déjà contents de recevoir des bienfaits de deux côtés, seraient heureux d'en recevoir d'un troisième. On cherche en vain quelque originalité dans un comportement aussi banal. En quoi l'orthodoxie chinoise diffère-t-elle du révisionnisme . soviétiqùe ou yougoslave ? Le 21 décembre, au Caire, le porte-parole de Mao .déclare que l'assassinat de Kennedy est un « acte répréhensible et détestable » ; on sait qu'il n'en pense pas un mot, car cet acte avait provoqué une jubilation -indécente à Pékin, mais pour un marxiste-léniniste de l'espèce stalinienne la palinodie est l'âme de la dialectique. A la même date, Khrouchtchev profite d'une interview avec la presse d'Alger pour vitupérer, à la chinoise, « l'impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme » ; il s'en prend spécialement à « l'ennemi » américain qui « se cache sous le masque d'un expert de l'aide, d'un businessman respectable, d'un conseiller économique ou militaire, d'un gaillard du Corps de la paix ou

2 d'un émissaire du Fonds monétaire international ». Mao ne dirait pas mieux, à qui Khrouchtchev adresse le 26 décembre un message de félicitations pour son 70 e anniversaire. Ce jourlà, Chine nouvelle reproduit un article virulent du journal albanais qui accuse Khrouchtchev de travailler « la main dans la main » avec l'impérialisme. Mais pour le Nouvel An, Mao envoie à ce suppôt de l'impérialisme un message: « L'amitié entre les peuples de nos deux pays est éternelle et indestructible. » C'est le cas de dire comme dans la comédie de Beaumarchais : « Qui diable trompe-t-on ici? » encore que la pièce soviéto-chinoise soit beaucoup moins drôle. Il arrive néanmoins que des scènes atteignent un haut comique, comme celle où le chargé d'affaires de Pékin à Londres proteste solennellement au Foreign Office contre un canular du journ~l Tribune qui avait imaginé un article cocasse intitulé « Mort aux fauteurs de paix » et signé Chou En-lai. « C'est un crime contre la République populaire de Chine», répondaient les braves imbéciles de la brigade diplomatique chinoise au directeur de Tribune qui prenait la peine de leur expliquer que c'était une blague (3 janvier). Dans un autre genre, il y a de quoi sourire quand les ambassades soviétiques en Afrique font circuler des rapports exposant que le commerce de la Chine avec l'Afrique du Sud a plus que triplé l'année dernière, nonobstant les assertions de Pékin relatives au boycottage du pays de l'apartheid (12 janvier). Le bouquet sera la « reconnaissance » de la France gaulliste par la Chine communiste, qui va donner à Mao l'occasion de prononcer, le 30 janvier, ces paroles mémorables : « ••• Les différends qui surgissent entre amis ne peuvent que renforcer leur amitié. » Il reste à savoir si entre Moscou et Pékin le différend est entre amis ou ennemis ; il n'est évidemment pas entre orthodoxes et révisionnistes puisque Mao se sent plus près de de Gaulle que de Khrouchtchev. Les relations diplomatiques franco-chinoises sont sans rapport avec les déchirements du monde communiste et l'on s'abstiendrai~ d'en traiter ici, n'était le déluge de commentaires publics qui embrouille les questions et empiète sur le domaine des affaires intérieures du communisme. Deux sottises majeures sont proclamées en France à tous les échos· par les augures de la presse et du parlement : la première, que la Chine « existe », la seconde, qu'on ne doit pas l' «ignorer». La multitude des perroquets les répète à l'envi. Or personne n'a jamais dit que la Chine n'existe pas et qu'il faut l'ignorer. Staline et Hitler aussi ont existé : c'est même Bib.ioteca Gino Bianco· LE CONTRAT SOCIAL pour cela que des millions de vies humaines n'existent plus. Le cancer, la tuberculose, la syphilis existent : ce ·n'est pas les ignorer que de créer des laboratoires, des instituts, des cliniques pour les combattre. C'est même tout le contraire. Qu'il s'agisse de la Chine communiste ou de l'Union soviétique, un État peut les reconnaître ou non sans ignorer leur existence. L'essentiel serait d'avoir une politique sérieuse à leur égard, mais voilà précisément ce qui n'existe pas, et c'est méconnaître que de reconnaître sans connaître. Cependant la morne dispute entre grosboutistes marxistes-léninistes et petits-boutistes léninistes-marxistes se poursuit par saccades sans que la quantité logomachique gagne en qualité intellectuelle. Le 31 décembre, Pékin diffuse une diatribe de vingt-cinq mille mots pour répéter des poncifs sur l'unité, la scission, le révisionnisme, le vilain Khrouchtchev, l'excellent Mao. Le 24 janvier, Moscou distribue un livre de « Conversations sur des thèmes politiques »produit par une dizaine de fonctionnaires en idéologie pour identifi~r les contradicteurs chinois aux « éléments impérialistes extrêmement réactionnaires » et prêcher la coexistence pacifique. Le 3 février, la presse pékinoise assène à Khrouchtchev un énorme pavé de trente mille idéogrammes et réitère en les précisant toutes les accusations antérieures trop connues; elle raconte gravement que les dirigeants soviétiques, avec Khrouchtchev en tête, sont antisoviétiques et, comme nous l'avons remarqué ici même, constate avec ironie que la « riposte la plus décisive » promise par Moscou le 21 septembre ne_vient pas vite. Le seul intérêt de ce texte interminable est de confirmer notre hypothèse (La discorde chez l'ennemi, n° de janvier 1963) quant aux intentions de Mao visant à singer Lénine jusqu'au bout, à créer une Internationale conforme à ses desseins dès que la préparation en sera suffisamment avancée, si son chantage en cours s'avère inefficace. Le bruit soviétique et la fureur chinoise ne changent rien aux réalités d'une guerre froide qui, sous le couvert de la coexistence pacifique, traduit l'impuissance des puissances à faire une vraie guerre comme à conclure une vraie paix. Les vaticinations de la bio-géopolitique allemande sur l'invasion fatale de l'Asie russe par les hordes jaunes ne s'appuient sur aucune donnée solide. L'Ecclésiaste a dit qu'il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix, il n'a pas dit un temps pour la paix et un temps pour le suicide. B. Souv ARINE.

LA DÉMOCRATISA TI ON DE L'ENSEIGNEMENT par Léon IL Y FAUT REVENIR : dans tous les pays du monde, y compris les tard-venus, les sousdéveloppés, la diffusion de l'enseignement est considérée comme une nécessité, conjointe à l'expansion économique. L'accord sur ce point est tellement général qu'on perdrait son temps à vouloir naviguer contre le courant, même si l'on appelait à son secours Tolstoï et Rousseau, même si l'on estimait avoir de très fortes raisons d'adopter une position hérétique ; mais cela signifie qu'il faut du moins tenter de comprendre quelles poussées sociales s'expriment en un mouvement aussi vaste, et quels périls éventuels se cachent dans l'ombre ou dans l'éclat de ses victoires. Nous n'entrerons pas dans l'examen détaillé des réformes scolaires, qui varient d'un peuple à l'autre, qui sont souvent confuses, incohérentes ou grossièrement empiriques ; il nous semble plus utile d'en dégager les tendances communes et do~c de voir vers quoi elles mènent. * )f )f L'HISTOIRE confirme ce que le bon sens suggère : .dans l'ordre de la culture et du savoir, tout procède de haut en bas, à partir d'élites très restreintes. La science a sa racine dans le ciel et la construction de l'édifice commence par le clocher ; les exemples illustres, qui dispensent d'insister, sont fournis par les écoles de la Grèce et les universités du Moyen Age, qui couronnaient toutes leurs disciplines par la théologie. Elles furent atteintes ou menacées par le discrédit lorsque l'Europe civilisée cessa d'être avant tout une chrétienté, mais elles ont été ranimées au xixe siècle et bien plus encore au xxe par l'instauration officielle du culte de la science et de la technique. De nos jours, ce que nous appelons l'enseignement supérieur s'éloigne de son passé, tout en en conservant quelques vestiges, pour devenir essentiellement l'organe de la recherche scientifique. Ainsi est réalisée la prophétie Biblioteca Gino BiancG Emery d'Auguste Comte, ainsi se constitue une très nombreuse caste de savants à laquelle nous attribuons une part croissante de responsabilité dans le gouvernement des choses et même dans celui des hommes. Il en résulte évidemment des difficultés particulières pour lesquelles on cherche par tâtonnement les solutions les meilleures. Comme l'avait là encore très bien prévu Comte, nul doute qu'en l'armée de plus en plus nombreuse des gens d~ laboratoire il n'y ait que très peu de découvreurs et d'inventeurs, les autres ne pouvant jamais être que les marmitons de la science ; d'où en apparence un énorme gaspillage dont on s'accommode parce qu'une seule découverte compense, et au-delà, tout ce qui alimente une routine onéreuse et vaine. Mais, d'autre part, on sait bien aussi que le génie du savant n'est pas forcément fonction de ses grades ou d'une préparation formaliste. Il faut donc accroître largement le nombre des étudiants des Facultés, les recruter grâce à des• concours sévères qui écartent les médiocres ou les amateurs paresseux, maintenir cependant assez de souplesse dans les règles, assez de moyens d'appel pour que les esprits originaux ne soient pas étouffés dans l'appareil, soumis à un conformisme décourageant: quadrature du cercle qui ne sera jamais réussie par les bureaux des ministères et dont on a chance de s'approcher un peu si l'on sait ménager la collaboration entre les écoles d'Etat et les instituts privés. Les universités furent, en notre Occident, la haute floraison du Moyen Age intellectuel, puis gagnèrent l'Amérique latine et l'Amérique anglo-saxonne. A ·partir du xvue siècle, elles furent supplantées par les collèges dont les jésuites donnaient les modèles les plus fameux. Ici encore, c'est la signification sociale de cette innovation qui importe avant tout. Bornons-nous à dire que la croissance historique des collèges, puis des

4 lycées d'Etat, est fonction de la montée des classes moyennes, peut ou doit s'interpréter comme un anoblissement de la bourgeoisie. Le bourgeois recevait ainsi, ou bien le vernis mondain propre à le faire entrer dans une large élite cultivée, ou bien les connaissances qui lui réservaient les charges et les carrières libérales. Cela posé, il est aisé de comprendre pourquoi l' enseignem~nt dit du second degré est en pleine crise, contraint de s'adapter à des conditions contradictoires et de vivre dans la confusion. Il voudrait bien conserver quelque chose de son ancienne dévotion à la culture désintéressée; mais comment faire, alors que les classes moyennes se développent au point de devenir majoritaires, que dans tous les pays prospères les ouvriers s'embourgeoisent à vue d'œil et que le point de vue utilitaire s'impose à tous ? Bénéficiaires d'un ancien prestige qui n'a pas tout à fait disparu, appelés à recevoir une clientèle pléthorique où les parvenus prennent une. place crohsante et d'ailleurs légitime, les lycées doivent faire face à la concurrence redoutable d'un enseignement professionnel et technique de plus fraîche date, à celle aussi de créations mixtes qu'on ne sait plus trop comment définir. C'est une loi qu'ils doivent de plus en plus pencher vers leurs adversaires et rivaliser avec eux quant à l'efficacité pratique ; ce qui les sauve, c'est qu'ils ont su demeurer jusqu'à présent la meilleure voie d'accès vers les carrières libérales, les Facultés et les grandes Ecoles. Mais rien ne prouve que leur primauté sera maintenue si nous passons définitivement à l'ère des ingénieurs et des conducteurs de machines. · Reste que, dans l'histoire des systèmes d'éducation, le tournant décisif s'accomplit pendant le dernier tiers du x1xe siècle ; alors seulement se répand dans le monde civilisé l'idée que l'Etat doit assumer, à la place de l'Eglise, le rôle d'instituteur du genre humain, et de créer une école populaire, obligatoire et gratuite. Aujourd'hui, il n'est personne qui, en Afrique comme en Asie, n'entame autant qu'il peut la lutte contre l'analphabétisme et ne s'applique à former des maîtres autant que des ouvriers qualifiés. Que ce soit lié à l'universelle ascension de ce qu'on prétend être la démocratie, qu'il s'y mêle un sentiment national auquel on entend donner une base linguistique, c'est l'évidence, mais il est non moins clair qu'un événement aussi colossal, et somme toute aussi récent, est appelé à retentir sur la vie sociale et même sur la· vie intellectuelle d'une manière que nous imaginons encore bien mal ou bien faiblement. En ~ogique abstraite, l'enseignement populaire ou primaire, dernier venu en date, aurait dû recevoir des leçons de ses aînés et se définir par une réduction _q_eformat, un choix opéré dans des programmes trop étendus pour lui. C'est bien ainsi qµ'il a débuté; mais il agit aujourd'hui par sa masse, par.le-fait qµ'il annexe· un public énorme d'enfiµ1ts .et d'adolescents, s'adjoint un com.pléiuent seconq.aire qu'il marque BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de son sceau, revendique sans cesse de nouvelles dignités, se targue d'apporter une pédagogie moderne fondée sur l'emploi des techniques qui, telles la radio et 1~ télévision, sont en train de • pénétrer partout. Est-ce l'école primaire qui va · tout reconstruire à son image en s'élevant cette fois de bas en haut, de la terre à la cime ? on· voit déjà que le problème de la_ « démocratisation » de l'enseignement en soulève cent autres, aux~ quels on ne pense pas assez et qui remettent en question les bases mêmes de notre civilisation. Si l'on ne peut arrêter .le flot, du moins serait-il bon qu'on essayât de le canaliser et de le conduire avec prudence. * )f )f LES FORCES qui opèrent dans la société moderne font vaciller les institutions scolaires tout en leur assurant une extension soudaine et presque monstrueuse; il n'est pas facile de mettre de l'ordre en ce chaos·mouvant, en cette improvisation continue. Les Français passant pour être un peuple féru de logique, il est naturel de leur demander le programme le plus clair et peut-être le plus élaboré qui soit au monde d'une codification systématique. Revenons pour ce faire au plan Langevin-Wallon, vieux maintenant d'une trentaine d'années, inscrit en partie dans la réalité, qui est toujours la charte ou le cheval de bataille des réformateurs, et notamment des syndicats universitaires. Force est bien de s'arrêter ici sur un détail qui n'en est pas un: nul n'ignore que les auteurs de ce plan furent d'éminents communistes et que le premier occupa des postes considérables dans les filiales du Parti. A qui fera-t-on croire que leur plan reflétait des idées personnelles, détachées de toute contingence ? Qu'il fût destiné à servir, même en toute bonne foi, la cause du marxisme et du communisme, voilà qui n'est pas douteux. On s'insérait dans un processus général, mais pour l'orienter et l'accélérer. Il n'était plus nécessaire de proclamer le droit à l'inst.ruction de tous les enfants et même de tous les adolescents : ce principe n'est plus contesté nulle part. Réserve faite des conséquences lointaines de son application, il en résultait immédiatement deux faits d'une très grande portée. Le premier était le renforcement nécessaire d'une classe enseignante nombreuse et influente dont, pour des raisons que nous avons analysées dans un précédent article, il n'était pas difficile de prévoir qu'elle évoluerait sinon vers le communisme, ao moins vers le « progressisme ». Le rôle · présent des instituteurs, professeurs et étudiants dans les mouvemènts révolutionnaires et la propagande idéologique montre suffisamment la valeur des prévisions qu'on pouvait faire. Il est vrai que dans certains pays, et particulièrement · en France, un facteur .nouveau vient quelque peu amortir la tendance, p~rce que l'enseignement primaire est en train de devenir un métièr féminin. Si les choses n'en sont point radicalem~nt •

LÉON EMBRY modifiées, la politisation des enseignants se fait moins vite et moins nettement. Mais une autre ·fondation est posée, qui dicte une sorte de loi tectonique; l'extension indéfinie et tentaculaire de l'école implique évidemment que seul l'Etat peut faire les frais de l'ent~ep~se, ce qui le qualifie pour en prendre la direction d'une manière à peu près univoque. Le monopole de l'enseignement est donc en vue et n~us ~o?s dirigeons vers lui comme par nature ou necess1te; on le conteste, et les réformateurs mettent grand soin à distinguer nationalisation et monopole, mais n'est-ce pas jouer sur les mots ? Sans. doute le monopole universitaire n'existe en toute ngueur que dans les pays communistes, constatation très éloquente au reste ; mais dans la ~esure où. l'Etat fournit les crédits et les subvennons, forme le personnel définit les titres de capacité, son ' d ,, dr contrôle et son emprise ne cessent e s ete~ ~' même· si l'on maintient dans le réseau des 1nst1tutions scolaires certaines formes de libéralisme, même si l'on prétend respecter les initiati~es des Eglises, des municip_alités, ~es,..pouvoirs locaux. L'alignement se fait de lw-meme et la pesée officielle, coD;sidér~b~e1;11a~cnctrue par celle des syndicats, devient rrres1st1ble.Sous quelque patronage que ce so~t?l'ensei~e~ent libre m~- tient certaines pos1t1ons, mais il est co1:1tr~t pour vivre, et même pour conserver sa clientele en la faisant passer par le canal des. examens et concours officiels, d'aliéner progressivement son indépendance ; la nationalisation se fait ou se prépare avant d'être décrétée, de même qu'en nombre de secteurs de la vie économique elle supprime l'initiative privée avant m~me que se définisse légalement un nouveau statut. De la prépotence de l'Etat en, m~t~è~ed'enseignem7nt, les suites sont à peu pres inev1tables et se de~eloppent d'un mouvement fatal. Au . J?remier degré et comme pour marq~er la__tr~sition, o~ imprègne l'école d'un esprit utilitaire,. on !u1 assigne la recherche du rendement, on y ~ntrom~e plus ou moins explic~tement. un~ philosop~e dominée par la sociologie, le scientisme, le m~terialisme historique qu' ?n pr?fesse ~a°:s me~e s'en apercevoir; le climat etant amsi forme, l'heure de la pleine récolte viendra tôt ou, tard, l'Université n'étant plus qu'un appareil d'Etat conçu pour enseigner 7~ imposer massiv~~ent une doctrine et une polinque. Ce que fut ~ ecole dans l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie, ce qu'elle est en Russie soviétique, en Chine, à Cuba et chez tous les satellites, nous n'avons guère besoin de l'exposer; mais le ~rob!ème est de savoir si nous marchons dans la direcnon dont nous voyons trop clairement le terme. Revenant au plan Lan~evin-~ allon? on yoit bien maintenant comment il a mis en c1rculat1on, précisé vulgarisé des notions-clefs telles que la sélectidn et l'orientation. Il s'agissait d'abord de faire entrer dans les lycées non plus les fils des riches et des bourgeois, mais l~s, élèves !es ph.;s méritants ; les étapes ayant ete franch1es Biblioteca·Gino Bianco5 plus vite qu'on ne pensait, la question se pose maintenant sous un autre aspect. En fait, le passage par l' e?seign~me~t seco~d~e est ,en train de devemr obligatoire, pu1squ on releve sans cesse l'âge-limite de la scolarité; mais comme il serait évidemment trop absurde d'entasser tous les enfants dans les mêmes classes, il n'est pas d'autre solution que la création de séries parallèles dont on déclare qu'elles sont équivalentes en dignité. Le plus ~élicat est. ~ès lors de mettre au point les techniques administratives et pédagogiques grâce auxquelles chacun saura dans quelle route il doit s'engager. Passons sur le détail ; le système paraît cohérent et même indiscutable. Deux observations cependant ne peuvent pas être éludées. D'abord - et l'éducateur fût-il l'homme le plus prudent du monde, fût-il bien résolu à ne pas se laisser dicter ses conclusions par des tests d'une navrante sottise - rien ne peut faire que la pratique généralisée ~e l'orientation sélective ne suppose une typologie, une caractérologie, la création d'un corps de psychologues scolaires et d'orienteurs patentés. Que valent, que vaudront ce mécanis?1e,.ce dirigisme: établis sur des bases pseudo-scientifiques tout a fait douteuses ? Le moins qu'on puisse dire, c'est que s'affirmera d~ la sorte, et de plus et?p, lus, la prévalence du social sur la personnalite, le social lui-même étant fonction des intérêts matériels du groupe. La dérive vers la psychotechnique, vers l'emploi des critères qui définissent le bon rendement humain, vers la gymnastique forcenée du cerveau, s'imposera d'autant plus qu'on opérera sur de plu~ .~randes. masses et qu'on voudra en une compet1t1onumverselle obtenir plus vite des résultats mesurab~es: La soumission à la loi des nombres et aux stat1st1ques n'est-elle pas un des traits majeurs de notre temps, une des formes de l'idolâtrie de la science ? Langevin, scientiste et marxiste, Wallon, de même obédience et par surcroît professeur en Sorbonne de psychologie expérimentale, continuent donc à mener avec un indéniable succès leur combat posthume. Admettons maintenant que, selon leur plan, sont établies avec autant de précision que possible ces séries parallèles entre lesquelles les adolescents doivent être soigneusement répartis. On soutient qu'il en doit résulter des équivalences intellectuelles et sociales, attestées ·par les diplômes de fin d'études, mais ce n'est que théorie. Puisqu'il est désormais entendu que l'école des masses est avant tout un moyen de faire carrière, carrière utile et profitable, il est clair que les rémunérations escomptées détermineront dans l'Université, en dépit des constructions premières les plus harmonieuses, le véritable classement des cycles. Tant que les carrières libérales sont encore flatteuses et payantes, le caractère bourgeois et traditionnel de l'enseignement secondaire subsiste dans une certaine mesure, mais d'ores et déjà il est notoire que la physique et les mathématiques sont, pour employer un mot à la mode, plus rentables que la philo-

6 sophie ou les belles-lettres. Nous voyons ru.ns1 s'accuser une déviation, un gauchissement de l'appareil chargé de la sélection, et il paraît fatal que de plus en plus les sciences et la technique soient préférées à la culture désintéressée, désormais sans emploi et bientôt sans prestige. Ce n'est certes pas la marche au socialisme qui modifiera cette situation, tout le monde sachant bien qu'en matière de salaires ·et de privilèges matériels !'U.R.S.S. est le« paradis» des ingénieurs. Une ultime remarque s'impose. Nous voyons qu'en dernière analyse l'énorme pompe aspirante a pour fonction de faire monter vers les Facultés, les grandes Ecoles et tous les Instituts préposés à la recherche scientifique une part croissante de la jeunesse; nous comprenons aussi pourquoi l'on compte raisonnablement sur la quantité · pour que s'en dégage la qualité. Mille chercheurs appointés pour un seul inventeur, voilà peutêtr~ une proportion satisfaisante ; mais que deviendront ceux qui n'ont pas de chance ou pas de génie ? Ils seront naturellement refoulés vers des situations plus modestes où ils rencontreront le flot montant des ingénieurs et agents de maîtrise, de tous ceux aussi qui n'auront pu franchir la barrière des concours. Compte tenu des progrès de la mécanisation et de l'automation, des risques de chômage technologique, il est à craindre qu'on multiplie de la sorte le nombre des ratés, qui n'auront bientôt plus d'autre ressource peut-être que d'aller quémander un emploi chez les peuples sous-développés de la planète ... Augmenter ainsi l'armée des intellectuels mécontents ou déçus qui ont le sentiment d'avoir poursuivi des mirages, augmenter, ce qui est bien pis encore, le contingent des pseudo-intellectuels, dupes d'une science primaire et présomptueuse, c'est jouer avec le feu, c'est accroître le déséquilibre social, c'est entretenir une fièvre malsaine. A force de vouloir distribuer le savoir à tout le monde, on généralise le trouble des consciences et des pensées ; encore sera-ce bien plus grave lorsque les techniques abréviatives, à base de radio et de télévision, donneront à croire qu'on peut se passer, pour apprendre, du temps, de la méthode et même de l'effort. Nous LE RÉPÉTONS ; le fleuve ne remontera pas vers sa source ; il est tout aussi vain de lutter contre la démocratisation de l'enseignement que de dénoncer la mécanisation, le planisme industriel, la révolution agricole, l'omnipotence et l'omniscience de l'Etat. Nous pouvons même prévoir l'accélération des rythmes, le brassage des peuples, le bariolage des universités cosmopolites, la mise en question des cultures traditionnelles. Ce qui ne_laisse pas d'inquiéter très sérieusement, c'est le fait que lorsqu'on passe en revue, comme nous venons de le faire avec la plus grande modération, les inconBiblioteca Gino Bianco .. LE CONTRAT SOCIAL vénients d'une politique scolaire en train de rayonner sur le monde, les périls fomentés par la colossale machine, on s'aperçoit qu'ils se totalisent et convergent, qu'une sorte de gravi-· tation entraîne constamment les écoles dans le même sens. C'est la loi de là pesanteur, bien naturelle d'ailleurs dès l'instant que tout le monde est embarqué. Autrefois, les écoles avaient pour mission d'arracher quelques hommes aux servitudes de la vie matérielle et de les faire vivre, bien ou mal, dans la sphère des pensées idéales ; aujourd'hui, elles ne se proposent rien de moins qu'un dressage universel dont sortiraient l'égalité sociale, la plus grande richesse possible, le progrès indéfini, simultanément intellectuel et matériel. Ambition grandiose si l'on veut, mais qui s'insère avec une désolante facilité dans l'ensemble des phénomènes qui nous acheminent à vive allure vers la termitière, vers la société communiste homogène et d'abord, faute de pouvoir l'atteindre, vers les ·conflits internes grâce auxquels des fanatiques veulent la réaliser à tout prix. La conclusion est simple. On doit accepter de bon cœur ce qui est fatal et sera peut-être fécond, l'ordre dicté par la science et la machine, l' organisation économique la mieux faite pour combattre partout la misère et la faim, la puissance des Etats qui ont charge des activités collectives d'une infinie complexité. Tout cela fait que la démocratie libérale, celle des partis et des parlements, n'est plus qu'un souvenir historique. Mais tandis que nous revêtons ainsi des uniformes imposés par les disciplines de la vie moderne, nous devons appliquer tous nos soins à ménager les refuges qui sont ceux de l'essentielle liberté humaine, donc avant tout ceux de fa culture personnelle et de la vie intérieure. A cet égard, nous devons prendre conscience d'un fait accablant. En vertu de formules optimistes qui ont eu cours pendant des siècles et sont pieusement reprises à chaque instant, nous érigeons en article de foi la conviction que l'école est ém,ancipatrice et que nous lui devons l'affranchissement de notre personnalité. Il faut avoir le courage d'ouvrir aujourd'hui les yeux, de reconnaître que le problème a changé de sens ; prise entre la masse qu'elle veut modeler et l'Etat souverain dont elle vit, l'école penche de plus en plus dans le sens que nous venons de définir et l'on ne voit pas comment pourrait se modifier sa marche ; elle est une puissance de collectivisationinsidieuse des pensées, elle divulgue sans y prendre garde et généralement en toute bonne. foi le matérialisme historique au moins à l'état diffus, elle crée une sorte de perméabilité au communisme. Pour qu'elle consente à se corriger, il faudrait qu'elle prenne conscience de ses tares; cela paraît très peu probable, et ce n'est donc pas d'elle que viendront les remèdes. Qu'elle poursuive partout sa carrière selon la loi du progrès quantitatif, qu'elle dispense un savoir positif de. plus en plus copieux, qu'elle

LÉON EMBRY rende à sa clientèle les services immédiats et tangibles qu,on attend d,elle, c,est dans l'ordre o~, si l~on veut, c'est le sens de l'histoire; mais lw attribuer le droit exclusif à régenter la cul- · ture, ce serait déplorable. Le pire des monopoles c,est celui de l'enseignement qui appelle pou; se complét~r celui de l'information et de la propagande ; il est alors présage ou condition organique du totalitarisme. rour ,~réer ou m~inte~ir le contrepoids nécessaire à ! inexorable evolution vers l'Etat centralisé on doit considérer avec faveur tout ce qui pré~ serve le pluralis~e et la liberté des pensées ; en cette perspective, personne ne peut honnêtement contester le rôle primordial des Eglises. Il va de_soi que l'on s~ g~rde ici d~ toute opinion dogmatique ou proselytique, mais nous avons bien le droit de dire que les rabâchages de Marx sur l'.aliénation et la dé-mystification paraissent aujourd'hui philosophie bien primaire ; il écrivait en un temps où les intellectuels s,éprenaient d'une conception monolithique de la science qui devait, pensaient-ils, tout expliquer, chasser tout mystère et prohiber toute croyance religieuse. Mais cela s,avère maintenant bien dépassé; c'est le scientisme qui s'est écroulé, c,est la science elle-même qui restitue le sens de l'infini, c'est la vie religieuse qui a fait preuve d,une surprenante force de rajeunissement. L'observateur impartial est sommé de se libérer des formules figées autant que de certaines positions où s,ankylosent encore nombre d'enseignants ; il est remarquable que les dictatures de notre temps commencent par faire profession d'athéisme et de matérialisme, ,en quoi elles s'avouent d'ailleurs plutôt retardataires. Mais si les écoles confessionnelles, quelle qu'en soit !a doctrine, ont le droit d,être désignées BibliotecaGino Bianco . 7 comme des écoles libres, nous voudrions que ce beau titre soit aussi revendiqué par nombre d,institutions qui ne se proposeraient rien d'autre que la libre recherche et la libre culture. Prendrons-nous comme exemple certaines Universités américaines dont l'existence dépend en partie du mécénat ? Rappellerons-nous les œuvres d,éducation ouvrière créées par les syndicats indépendants en Occident et qui, si elles n,obtinrent que de médiocres résultats, témoignèrent d,excellentes intentions ? Noterons-nous avec une vive satisfaction le fait que l'idée est reprise aujourd'hui même par de grandes entreprises économiques, organisant pour leurs cadres des cercles de culture qui dépassent toute technique et se préoccupent des problèmes les plus élevés ? La tendance universelle à la concentration mécanique et au dressage utilitaire suscite part~ut des réactions qui méritent pleine sympathie ; on voit se multiplier les initiatives par lesquelles se traduisent les aspirations de l'esprit et il n'est pas dit que tout doive s'achever par le lavage des cerveaux et la domination d'une conscience des masses fabriquée par les Etats, c'est-à-dire en définitive par une énorme caste de maîtres appointés et coulés dans le même moule. La culture peut fort heureusement se transporter en dehors des vastes usines à diplômes et y retrouver ce sans quoi elle n'est rien : liberté, désintéressement, mépris de la richesse, diversité, recours à toutes les énergies spirituelles et non pas seulement à une raison instrumentale. La planification industrielle des pensées n'est certes ~as l1!1 idéa} et non plus une certitude pour 1avenir de 1homme. A chacun de parier et de vouloir. LÉON EMERY

LE CONFLIT SINO-SOVIÉTIQUE par K. Pavlov L'ÉTÉ 1963 entrera dans l'histoire des rapports sino-soviétiques comme une phase importante du conflit entre Moscou et Pékin. Les dissentiments, qui avaient été longs à mûrir dans les hautes sphères de l'appareil du Parti, en U.R.S.S. et en Chine, ont finalement éclaté au grand jour, p7;enantla forme d'une controverse idéologique passionnée. Après la joute oratoire parfaitement infructueuse à laquelle se sont livrés en juillet dernier, à Moscou, les idéologues les plus en vue des deux parties en présence, et la signature entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et !'U.R.S.S. d'un traité d'interdiction partielle des essais nucléaires, les désaccords opposant communistes soviétiques et communistes chinois se sont étendus aux relations d'Etat à Etat. La quasi-totalité des partis communistes ont été plus ou moins entraînés dans cette polémique. L'importance des questions controversées, la violence exceptionnelle de la polémique, l'intransigeance des antagonistes, des Chinois principalement, l'âpreté des accusations réciproques ont convaincu les sceptiques qu'on assiste non pas à une « comédiemontée pour duper l'Occident», mais à une lutte de longue haleine entre deux partis communistes rivaux, représentant des tendances opposées. L'évolution des rapports sino-soviétiques a eu un grand écho dans le monde libre. Bien que diversement commentés, les événements ont amené nombre d'observateurs à estimer que le monolithisme du bloc communiste était déjà du passé et qu'une rupture complète et définitive entre l'Union soviétique et la Chine de Mao est inévitable et prochaine. Les journaux font de nouveau état des pronostics d'hommes politiques selon lesquels l'U .R..S.S. sera tôt ou tard obligée de faire appel à l'aide de l'Occident pour combattre, de concert avec lui, une. ~_hinebelliqueuse et surpeuplée, dont les hordes -mnombrables, en quête d' « espace vital », déferleront sur le territoire soviétique. De telles hypothèses sont pour Biblioteca Gjno Bianco le moins préinaturées. Elles sont fondées sur les antagonismes nationaux que révèle la lutte en cours dans le monde colllCluniste et dont on exagère l'importance ; sur une méconnaissance des buts que Moscou et Pékin s'assignent en l'occurrence ; sur la mésestimation du profond désir de Mao d'être reconnu, dans le mouvement communiste, comme une autorité incontestée et indépendante de Moscou, ne fût-ce que dans les pays qui voient à travers des verres grossissants le potentiel politique, économique et militaire de la Chine rouge. Dans le monde libre, on a tendance à ne voir qu'un « conflit entre deux Etats dissemblables ayant des intérêts nationaux différents». La polémique idéologique ne ferait que traduire ouvertement le profond. antagonisme de l'Union soviétique et de la Chine sur le terrain d'une compétition purement nationale. Cette rivalité aurait ·pour causes le passé des deux peuples en même temps que la diversité de leur mission historique, de leur conception du monde, de leur civilisation, de leur psychologie, de leurs origines ethniques, voire du degré de. développement de l'économie et de la technique. Voici par exemple ce qu'écrit le New York Times dans un éditorial : Les deux géants communistes sont à présent en état de guerré politique ouverte. L'aigreur des rapports ressort· nettement de la lettre des communistes chinois publiée ce matin. Le différend soviéto-chinois · n'est pas essentiellement de caractère idéologique même si sa phraséologie se réfère lourdement à Marx et à Lénine. Il s'agit d'un heurt fondamental des intérêts nationaux, voire, ces derniers temps, d'un heurt de préjugés raciaux entre les Russes, qui sont des Blancs, et les Chinois qui ne le sont pas. L'amertume de la lettre chinoise procède de la longue histoire des humiliations et des rapines de la Russie impériale et de la Russie de Staline à l'égard

K. PAVLOV de la Chine. Pour Pékin, Khrouchtchev n'est que l'héritier de Mouraviev, qui vola le bassin du fleuve Amour il y a cent ans, de Nicolas II, de Serge Witte et d'autres qui volèrent à la Chine la Mongolie extérieure et faillirent voler la Mandchourie un demi-siècle plus tard. En outre, la population relativement bien pourvue de la Russie est avant tout soucieuse de recueillir enfin les fruits des sacrifices consentis pendant près de cinquante ans. La Chine misérable ne peut pas aujourd'hui avoir grand-chose de commun avec une Russie qui aspire à dépasser le niveau de vie américain 1 . Dans un autre éditorial, le même journal écrivait : Derrière la violence de l'attaque lancée par Moscou, il faut voir le dépit et la colère nés de la faillite .historique d'une politique. De tout temps et dans toute la inesure du possible, aussi bien sous les tsars que sous Staline, la Russie a souhaité une Chine faible, divisée et sans défense que l'on puisse impunément grignoter. En jaugeant la rupture sino-soviétique, l'Occident serait bien avisé d'y voir en réalité le heurt des intérêts nationaux, masqué par le torrent des sophismes idéologiques des Chinois et le flot des injures soviétiques - 2 • L'emprise du passé historique et des traditions ancestrales, l'amour du sol natal, l'instinct de conservation et la fierté nationale, etc., sont profondément enracinés dans les peuples tombés sous la coupe des communistes. Ceux-ci sont depuis longtemps convaincus que les « préjugés nationaux » ne doivent pas être détruits ; aussi cherchent-ils moins à les combattre qu'à les utiliser à leurs propres fins. C'est ainsi que, en Russie, le mot de Lénine de 1922: « Vladivostok est loin, mais il est nôtre», ne faisait qu'anticiper sur les formules de Staline : le « patriotisme soviétique», hybride de concepts nationaux et internationaux, et la « patrie socialiste ». En 1941-44, le régime stalinien s'abritait derrière le profond amour du Russe pour son pays. Or le gouvernement communiste en Russie n'en est . pas pour autant devenu national. Ces dernières années, sous l'effet d'une habile propagande, des sentiments patriotiques et franchement nationalistes se sont aussi développés dans le peuple chinois, notamment chez les jeunes, jeunesses communistes comprises. Le gros de la population chinoise voit de son côté dans l'Union soviétique la source de tous les malheurs apportés par le régime communiste 3 • Or, tout en menant une violente campagne antisoviétique, Pékin ne cesse de parler de la grande amitié entre les deux peuples, voire entre les deux « partis frères ». Les visées territoriales de l'U.R.S.S. en Asie ont emprunté pour l'essentiel les voies suivies par l'expansion de la Russie au xxe siècle. L'Occident voit là une manifestation du 11ationalisme russe sans réfléchir aux buts réels et aux mobiles de ces· tendances expansionnistes, sans remarquer les changements inter1. New York Times, 5 juillet ·1963. 2. Ibid., 25 juillet 1963. 3. Bulletin, Institute for the Study of the USSR, vol. IX, n°8 3 et 4, mars et avril 1962. BibliotecaGino Bianco. 9 venus dans la politique de !'U.R.S.S. à l'égard de- la Chine depuis les années So. Cependant, tous ces facteurs, si importants soient-ils, ne permettent pas d'ignorer l'internationalisme et la communauté d'idéologie des deux régimes. · Simplifier les facteurs, réduire l'antagonisme sino-soviétique aux. seules proportions d'un heurt d'intérêts avant tout nationaux, ne correspond pas à la réalité. La controverse, dans ses aspects essentiels, ne sort toujours pas des limites du mouvement communistè. Aussi ne faut-il pas vouloir à tout prix faire entrer dans le schème ordinaire des relations entre Etats dotés d'un régime normal une lutte déterminée avant tout par la volonté de Mao d'assurer à la Chine la première place, et cela indépendamment de Moscou. Une telle simplification des dissentiments sino-soviétiques est lourde de conséquences, car elle déroute l'observateur et dissimule la menace qui continue de peser sur le monde libre. En s'en tenant à cette manière de voir, comment donner une réponse logique aux questions apparemment les plus simples ? A quel titre l'Union soviétique et la Chine populaire intervenaientelles dans la guerre de Corée et interviennentelles au Laos et au Vietnam : en tant qu'Etats nationaux ou en tant qu'Etats communistes ? Dans quelle mesure l'alliance avec l'Albanie fournit-elle à la Chine une solide garantie de ses intérêts nationaux ? De quelle nature sont les intérêts nationaux de l'Union soviétique et de la Chine populaire en compétition à Cuba, en Amérique du Sud et en Afrique ? Et ainsi de suite. De plus, on peut se demander si les heurts entre Russes et Chinois s'expliquent uniquement par des intérêts nationaux divergents, ce qui reviendrait à dire que Khrouchtchev et Mao, après avoir consacré leur vie à la cause communiste et à la révolution mondiale, ont soudain renoncé, en approchant de leur soixante-dixième année, à leurs convictions, pour se laisser emporter par les passions nationales. Les arguments échangés de part et d'autre ces dernières années sont loin de confirmer la théorie de l' « antagonisme des intérêts nationaux ». Au contraire, à commencer par les articles de Vive le léninisme ! , recueil publié en 1960 par le P.C. chinois et considéré à Moscou comme le premier coup de canon des hostilités 4, pour finir par la lettre ouverte du· Comité central du P.C. chinois, rendue publique le 15 juin · dernier 5 sous le titre : « Propositions pour une ligne politique générale du mouvement communiste international », tous les articles, sans parler des brochures, parus dans le Quotidien du peuple et le Drapeau rouge, ne cachent nullement la haine implacable vouée au monde libre et ne disent pas un traître mot d'une menace russe contre les intérêts nationaux de la Chine. A preuve, le dernier point de la lettre ouverte du 15 juin, 4. Pravda, 14 juillet 1963. 5. Quotidien du peuple, 17 juin 1963.

10 qui définit la ligne du mouvement communiste mondial préconisée par les communistes chinois : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Prolétaires du monde entier, unissez-vous aux peuples, aux nations opprimés ; combattez l'impérialisme et les réactionnaires de tous les pays pour la paix mondiale, pour l'émancipation nationale, pour la démocratie populaire et le socialisme ; renforcez le camp socialiste et augmentez sa puissance ; assurez pas à pas la victoire complète de la révolution mondiale du prolétariat ; créez un monde nouveau - sans impérialisme, sans capitalisme et sans exploitation. Telle doit être, selon nous, la ligne générale du mouvement communiste international dans la phase actuelle. Quels sont les documents que Mao a écrits lui-même ? Une chose est sûre : tous portent son sceau personnel. Dans ces pages, nous retrouvons le fanatique à deux faces, communiste et Chinois, qui, dans son pays, est tenu pour l'égal de Marx et de Lénine. Ironie du sort, jusqu'en 1949, on a pris, en Occident, ledit Mao pour un « réformateur agraire» ; et maintenant, on veut en faire à tout prix un nationaliste forcené. De son côté, Khrouchtchev lui-même fait la preuve qu'il était et demeure un communisteinternationaliste : L'Union soviétique, l'amitié socialiste tout entière s'opposent aujourd'hui au monde capitaliste comme un roc de granit contre lequel toutes les tempêtes viennent se briser (...). Nous aurons encore bien des combats à livrer dans la lutte pour la victoire du socialisme et du communisme. Chaque année, nous élargissons et nous consolidons les fondations de notre maison commune. Elle s'élève toujours plus haut au-dessus de la terre. Dès à présent, le camp impérialiste est obligé de compter avec nos forces, de compter avec le fait que Sa Majesté la classe ouvrière du monde entier et son avant-garde, la classe ouvrière des pays socialistes, rassemblent et fortifient leurs énergies (...). Ces forces grandiront et accéléréront leur marche en avant tant que les idées communistes n'auront pas complètement vaincu, tant que n'auront pas triomphé partout dans le monde le bonheur et la prospérité, tant que le Drapeau rouge ne flottera pas sur le globe. Cette heure sonp.era, camarades, nous le croyons fermement 6 • Staline apporta la révolution à l'Europe orientale à la pointe des baïonnettes. C'est aussi par les baïonnettes que Mao et ses adeptes veulent faire la révolution mondiale. Khrouchtchev préfère atteindre le même but par des moyens à plus long terme, moins brutaux, par des manœuvres de flanc, par le mensonge, le travail de sape et par la guerre ouverte là seulement où le camp communiste a intérêt à la faire. Telle est le fond de sa politique de cc coexistencepacifique » : Les marxistes-léninistes ne cachent à personne qu'ils s'efforcent d'attirer tous les habitants de la terre au socialisme. Là est notre tâche principale sur le plan mondial... Pour les marxistes-léninistes, la coexistence pacifique est le seul principe rationnel qui régisse les rapports mutuels entre pays ayant un système social différent. 6. Discours prononcé au V,Je Congrès du parti socialiste unifié d'Allemagne orientale, Pravda, 17 janv. 1963. Biblioteca Gino Bianco· LE CONTRAT SOCIAL Nous estimons et nous ne cesserons pas d'estimer que cette politique, que Lénine nous a léguée, constitue la ligne générale de notre politique extérieure (...). Notre parti a toujours été d'avis que la coexistence pacifique . crée des conditions favorables pour la poursuite de la .. lutte de classe dans les pays capitalistes, pour le développement inéluctable du mouvement d'émancipation. nationale. L'expérience de la lutte révolutionnaire des peuples après la deuxième guerre mondiale a montré avec pertinence que c'est précisément dans le climat créé par la coexistence pacifique, quand les pays socialistes alliés à tous les peuples amis de la paix s'opposent avec succès aux visées impérialistes, que le mouvement d'émancipation se propage dans le monde avec une force particulière. C'est précisément dans l'atmosphère d'une coexistence pacifique d'Etats ayant un système social différent qu'a vaincu la glorieuse révolution cubaine, à la tête de laquelle se trouvent les champions de la cause du peuple. C'est précisément dans les conditions engendrées par la coexistence pacifique dans les pays capitalistes que se développent irrésistiblement les mouvements de grève du prolétariat, sa cohésion et son organisation dans la lutte pour ses intérêts vitaux contre les monopoles tout-puissants et la réaction déchaînée 7 • Cette politique de Khrouchtchev n'est pas moins dangereuse pour le monde libre que l' offensive permanente ou l'attaque de front préconisée par les communistes chinois. ·oE MÊME que la thèse qui fait du heurt des intérêts nationaux de l'Union soviétique et de la Chine la cause principale du conflit est inacceptable, il est difficile d'admettre que celui-ci ait un caractère purement idéologique. Certes, l'idéologie est considérée dans les pays communistes comme une sorte de religion que la population tout entière doit adopter, ne fût-ce que pour la forme. En U.R.S.S., sous Lénine, l'idéologie était employée comme arme offensive, au-dedans comme au-dehors, pour combattre les opposants de tous poils et les influences étrangères au communisme. Sous Staline, elle a été principalement utilisée contre le monde extérieur qui refusait d'accepter le communisme, tandis qu'à l'intérieur elle se réduisait à exiger une foi aveugle dans l'infaillibilité du chef tout-puissant et l'obéissance absolue. Khrouchtchev, qui rêvait de ramener le pays au temps de Lénine, trouva chez les communistes soviétiques une ardeur révolutionnaire des plus tiède : elle avait été refroidie par la terrible tension des forces vives du pays' au cours des plans quinquennaux, par les exécutions massives et les camps de concentration, par les flots de sang de la deuxième guerre mondiale, par le désir très humain de souffler après le travail cc de choc » et les mobilisations de toute sorte, de payer tribut aux cc habitudes bourgeoises », et de vivre un peu pour soi7. Discours prononcé à un meeting tenu à Moscou pour célébrer l'amitié ~oviéto-cubaine, Pravda, 24 mai 1963.

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