• ,. •• MAIAKOVSKI par Georges Adamovitch Il n'était plus possible de s'exprimer librement sur Vladimir Maïakovski en Russie soviétique sous Staline, depuis que le tyran inculte avait consacré la réputation du poète « cubo-futuriste », en échange de flatteries dictées par la discipline plus que par l'inspiration. En France, le nom et l'œuvre de Maïakovski ont été exploités par des parasites éhontés appartenant à la pègre littéraire qui se prétend « léniniste » après avoir chanté des louanges serviles à Staline pendant un tiers de siècle. Or c'est afficher un singulier cynisme que d'associer Lénine et Maïakovski dans un même souvenir. On a déjà ici réfuté cette imposture. Lénine ne pouvait supporter « le futurisme, le cubisme et autres ismes », disait-il à Clara Zetkin qui le rapporte dans ses Mémoires. · Selon Maxime Gorki, « il éprouvait de l'antipathie et de l'irritation à l'égard de Maïakovski» dont il réprouvait les cris, les contorsions verbales, « pénibles à lire». Dans la Pensée russe du 8 juin dernier, M. Boris Philippov, traitant du« réalisme socialiste», cite ces auteurs qualifiés et aussi Lounatcharski qui raconte que Lénine lui écrivit le 6 mai 1921 pour s'élever contre le tirage à 5.000 exemplaires d'une brochure de Maïakovski, « absurde, stupide, prétentieuse, qu'il aurait suffi de tirer à 1.500 exemplaires pour les bibliothèques et les excentriques» (cf. L'Héritage littéraire, t. 65, Moscou 1958). Cela dit, afin de rétablir la vérité, il faut ajouter que le compliment de Staline à l'adresse de Maïakovski était une souillure que le poète a lavée dans son sang par un suicide que l'on est en droit d'interpréter comme un sursaut de dignité, un dernier cri de révolte. Les pages de Georges Adamovitch qui suivent, sans parti pris d'aucune sorte, rendent justice au poète assassiné par le régime soviétique. L'ŒUVRE de Vla.dimir Maïakovski est, sans contredit possible, l'une de celles qui se détachent avec le plus d'éclat de l'ensemble des lettres russes du siècle. Que l'on aime ou non., qu'on admire le savoir-faire du poète jusque daris ses pièces de circonstance et de propagande ou qu'on y déplore la manifestation d'un certain esprit conformiste., nul ne peut rester indifférent à cette grandefigureet à cette grande voix. Trente-troisansaprès la brusquedisparition Biblioteca Gino Bianco du poète, on se demande encore : que vaut-elle en somme, cette œuvre, objet de controverses p 1ssionnées,et quelles sont ses chances de survie ? Maïakovski fit son apparition dans les cénacles littéraires de Saint-Pétersbourg et de Moscou peu avant la guerre de 1914. Le futurisme russe qui venait de naître n'avait rien d'un ensemble cohérent. Les thèses de l'italien Marinetti, généralement considéré comme promoteur du mouvement, étaient jugées quelque peu simplistes. Maïakovski faisait partie d'un groupe de jeunes poètes des plus avancés et qui avaient ajouté au titre commun de futuristes la particule de « cubo » pour souligner qu'ils se réclamaient aussi du cubisme français. Maïakovski était grand et beau, lançait ses vers avec une force extraordinaire, et par surcroît s'affublait d'une longue veste de coton jaune vif, le col largement ouvert. On souriait, on haussait les épaules, et pourtant, très vite, on dut se rendre compte que c'était là un être exceptionnel, un garçon comblé de dons. Toutefois, Maïakovski n'a jamais été le cerveau, ni moins encore l'âme de son groupe. Cette position privilégiée était l'apanage d'un jeune homme d'allure mystérieuse, ne desserraµt presque jamais les .dents, abîmé dans un rêve ou une méditation ininterrompue : Vélimir Khlebnikov, figure poignante et bizarre, disparue dans la tourmente révolutionnaire, poète doué d'un sens aigu du langage, inventeur de combinaisons verbales à résonances troublantes. Ses camarades l'entouraient d'une vénération d'autant plus surprenante qu'ils étaient par principe hostiles à toute autorité. Maïakovski lui-même s'effaçait devant lui, assuré qu'il était de se rattraper dans un autre domaine. Lui, Maïakovski, c'était le flambeau, la figure de proue du groupe, chargé pour ainsi dire des relations avec le public. Jusqu'à la révolution d'Octobre, son activité fiévreuse semblait suivre un cours somme toute
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