Le Contrat Social - anno VII - n. 6 - nov.-dic. 1963

B SOUVARINE tout est d'y parvenir. A part cela, d'après la doctrine, ce sont les lois économiques, les progrès techniques et les masses laborieuses engagées dans la lutte des classes qui déterminent le .cours de l'histoire. Que sait-on des voies et moyens dont disposent les protagonistes pour sortir de l'impasse actuelle ? * )f )f ON NE SAIT RIEN des secrets de la Cité interdite. A raisonner sur les phénomènes visibles à l'œil nu, il n'y a pas lieu de spéculer sur une crise de la direction communiste par suite du divorce qui a mis fin à l'aide économique et technique de l'Union soviétique. Il a suffi au parti omnipotent de renoncer aux termitières, dites communes populaires, et de laisser en quelque mesure travailler les paysans pour que les populations chinoises aient de quoi subsister. Un progrès industriel autonome et assez lent se subordonne naturellement à celui de l'agriculture. La Chine, qu'aucun voisin ne menace, n'a pas besoin d'armements modernes. Elle pourra se passer longtemps, peut-être toujours, de bombes atomiques. Si des dissensions internes doivent se produire à Pékin, nul ne saurait présentement en discerner la cause déterminante. Non pas qu'on ignore l'âge de Mao, sa mégalomanie, son impopularité, non plus que les conséquences qui résulteraient de sa retraite. Khrouchtchev a peut-être là-dessus des connaissances spéciales, dont il s'abstient de nous faire part. S'il escompte un prochain effacement de son rival, l'avenir seul nous apprendra ce que valent ses espérances. La situation de Khrouchtchev au Kremlin ne prêterait point à commentaires perplexes si l'intéressé lui-même ne s'ingéniait à la faire passer pour douteuse. Il renforce ainsi la prédiction de Tchou En-lai et l'interprétation de divers signes dénotant des embarras dans la direction collective, monolithique et infaillible. Si l'on devait personnaliser les responsabilités au sommet de la hiérarchie soviétique, comme le font les commentateurs occidentaux, Khrouchtchev serait depuis longtemps déchu, peut-être un homme mort. Mais les échecs essuyés tant à l'intérieur qu'à l'extérieur ne sont pas imputables à lui seul : toute l'équipe dirigeante partage la satisfaction des réussites, réelles ou fictives, et la déception des revers. Les réformes dans le Parti et dans l'Etat, les mesures économiques, la libéralisation intellectuelle, la politique étrangère, autant d'initiatives élaborées en commun, quel que fût le rôle mal défini de Khrouchtchev. La mise en œuvre des décisions prises porte la marque inévitable d'un style personnel, mais lequel des survivants de l'époque stalinienne eftt été mieux qualifié comme leader de transition entre un passé horrible et un avenir meilleur, Staline ayant exterminé jusqu'au dernier les communistes qui méritaient encore ce nom ? Dans les rapports détériorés avec les partis «frères», Khrouchtchev Biblioteca Gino Bianco a probablement été peu diplomate, voire maladroit et brutal ; ses collègues ne lui en feront pourtant grief que si d'autres motifs interviennent, et en ce cas la solidarité d'hier ne lui épargnerait pas la disgrâce de demain, motivée par des considérations spécifiques. Cela vaut qu'on s'y arrête. Les Albanais ont déballé en février dernier une documentation prouvant que Khrouchtchev s'est tourné contre eux parce qu'ils refusaient de se prononcer contre les Chinois rétifs, non à cause des crimes qu'on leur reproche après coup. Lors d'une conférence tenue au Kremlin en janvier 1960, Khrouchtchev accusait encore les Yougoslaves d'envoyer des espions, des assassins, des terroristes en Albanie et ailleurs ; il fit volte-face quand les Albanais résistèrent à son arrogance, à ses menaces (N. Y. Times, 18 février 1963). On peut croir.! Zerit i Popullit lorsque ce journal des enragés du stalinisme accuse Khrouchtchev d'avoir manœuvré des Albanais à son service pour scinder leur parti et s'emparer de la direction (13 novembre). Il en appert que Khrouchtchev n'a pas su opérer contre Enver et Mao mieux que Staline contre Tito et que les déclamations doctrinaires n'éclairent nullement les luttes intestines. Or ses collègues ne lui en ont pas tenu rigueur, autant qu'on sache, comme s'ils endossaient ses actes et p1roles. Cela veut-il dire que personne auprès de lui ne s'inquiète de la rupture virtuelle avec la Chine, sinon avec la petite Albanie ? Le fait est que Khrouchtchev a jugé bon de paraître en difficulté sous ce rapport, en octobre et novembre, d~vant des socialistes français en visite. Divers récits de ces visiteurs concordent pour décrire une mise en scène des plus insolites au Kremlin où Khrouchtchev se campe entouré d'opposants qui guettent l'occasion de le jeter bas. Une telle infraction voulue au secret habituel répond évidemment à une intention, celle d'accréditer au-dehors la thèse des Polonais et des Yougoslaves selon laquelle la « détente » et la paix dépendent de la position éminente de Khrouchtchev, donc des concessions que les démocraties occidentales consentiraient à ses exigences. Reste à savoir s'il invente de toutes pièces ou s'il exagère démesurément, dans le sens qui lui convient, des indices susceptibles d'interprétations diverses. Quels indices ? Én novembre . 1962, l'inflation singlJ.}ièredu Secrétariat du Parti, passé brusquement de huit à douze membres, égalant ainsi en nombre le Présidium du Comité central. Six mois plus tard, le 21 juin 1963, Brejnev et Podgorny seront nommés, eux aussi, secrétaires du Parti : il semble, décidément, que Khrouchtchev ait besoin de renfort, ou le contraire. En tout cas, un Secrétariat permanent de quatorze membres, dont six appartiennent au Présidium, c'est là un sérieux démenti à l'anthropomorphisme qui, en Occident, érige Khrouchtchev en maître unique des destinées du communisme actuel, personnage qu'il faut bourrer de cadeaux bourgeois et princiers quand il voyage, pour se concilier ses bonnes grâces. Plus que jamais, la « direction

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