QUELQUES LIVRES humain », ou (p. 82) qu'il n'y a pas de différence entre les relations sociales et les relations politiques, s'agissant toujours uniquement de relations entre hommes. # Il semble même qu'à ses yeux la psychologie n'aboutisse, sur le plan de la politique, qu'à une confusion sans aucune signification. C'est du moins ce qui paraît ressortir du passage où il est dit (p. 33) que l'étude de la nature donne la joie d'y découvrir une harmonie fondamentale sous l'apparence du désordre, tandis qu'un tel plaisir esthétique est refusé à l'homme qui se livre à l'étude de la politique, domaine du bruit et de la fureur. On observera d'ailleurs que la variabilité des formes politiques lui semble indé- · finie, puisqu'il énonce, page 40, que de nouveaux b~soins exigent de nouvelles formes politiques, ailleurs (p. 107) que !'Histoire est un cimetière de coquilles mortes et un atelier de formes nouvelles, et qu'il a du reste précédemment noté (p. 39) que les corps humains sont bâtis sur le même modèle, tandis que les corps politiques sont très divers. Tout cela conduit à penser qu'il peut y avoir une science de l'homme, une science de l'homme dans son activité politique, non une science des corps politiques. C'est ce qui apparaît encore plus clairement lorsque l'auteur rappelle (pp. 184-185) que la vie politique anglaise a été la plus agitée qui soit, et la plus fertile en violences de toutes sortes, jusqu'au jour où, vers la fin du xvue siècle, toutes ces tempêtes se calmèrent. « C'est le triomphe du génie anglais, écrit-il, que cette transformation d'une vie politique si orageuse en · une douceur exemplaire, qui fait à juste titre l'admiration de l'univers. » Réussite d'autant plus admirable, ajoute-t-il, que le perfectionnement des mœurs politiques ne va nullement de soi, comme le montre l'histoire de la République romaine. Il semble qu'il n'y ait pas lieu de chercher en dehors du « génie anglais » l'origine de cette mutation psychologique, il semble que la psychologie soit le premier et le dernier mot de l'analyse politique. A la vérité, cette attitude a de quoi surprendre. M. de Jouvenel, en effet, n'ignore pas l'importance des structures. Il la rappelle même une fois dans le présent ouvrage (p. 5), mettant en parallèle les structures stables de la nature, qui permettent de prédire à coup sûr certains événements, et les structures stables du monde social « qui nous conduisent à attendre certains événements avec à peine moins d'assurance (par exemple: il y aura aux Etats-Unis une élection présidentielle le second mardi de novembre 1964) ». Et dans ses travaux sur la prévision en matière politique, l'auteur n'a pas manqué de faire état du rôle des structures. Doit-on donc penser que les structures ne sont que le cadre abstrait, le décor où se jouerait la partie réelle: l'affrontement des comeortements humains ? Il ne nous semble pas possible de le soutenir. D'abord parce que la permanence des structures ne peut s'expliquer BibHoteca Gino Bianco 371 par le génie national, et moins encore, lorsqu'il y a passage de l'instabilité à la permanence, par la mutation du génie national. D'autre part, parce que les structures ont une action évidente sur le comportement individuel. Par exemple, si nous imaginons un homme politique ambitieux et intrigant, les effets politiques de son action seront très différents selon qu'il vivra dans un pays où sa seule chance de succès sera de parvenir à la tête d'un grand parti, ou bien dans un autre pays où il pourra jouer sur la rivalité qui existe entre une multiplicité de factions ou de groupes. Dans le premier cas, cet ambitieux ne mènera son intrigue qu'à l'intérieur d'un des · partis, et faible sera sans doute le retentissement de ses manœuvres sur la nature des institutions. Dans le second cas, au contraire, l'intrigue sera conduite au niveau de la direction des affaires publiques, et la société tout entière pourra être troublée par l'ambition d'un seul homme. S'il en est ainsi, il faudrait penser que les bases que M. Bertrand de Jouvenel donne à la « théorie pure de la politique » devraient être complétées par des considérations sur les structures, et sur l'interdépendance des structures et des comportements. L'attention accordée aux seuls comportements fait de la théorie qui nous est proposée une tentative pour rationaliser, jusqu'à un degré qui n'avait pas encore été atteint, les conceptions libérales. Mais peut-être le libéralisme doit-il être intégré à un ensemble plus complexe, et qui permette de rendre compte plus complètement de tous les aspects de la vie politique. Tout chêne, certes, vient d'un gland, mais dans un parc bien _entretenu, seul donnera un chêne le gland placé dans une pépinière, et dont le plant, ensuite, sera mis en terre à l'endroit précis désigné par le Chef des Jardiniers. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas seulement retenir de cet ouvrage les éléments d'une analyse politique beaucoup plus suggestive que nous n'avons pu le montrer, mais aussi une méthode qui peut contribuer à donner aux sciences politiques la précision qu'elles n'ont pas encore trouvée. YVES LÉVY. P.-S. - Cet ouvrage vient de paraître en traduction française sous le titre De la politique pure (308 pp., Calmann-Lévy éd.). La pente qui mène à l'abîme ROGER CAILLOIS : Bellone, ou la pente de la guerre. Paris (Ed. A.-G. Nizet) et Bruxelles (la Renaissance du livre), 1963, 250 pp. · ON a tant écrit sur la guerre qu'on se demande, en coupant les pages d'un livre nouveau consacré à ce thème éternel, si l'auteur réussira par quelque vue originale à piquer notre curiosité.
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