Le Contrat Social - anno VII - n. 6 - nov.-dic. 1963

370 l'Autorité - celle des autorités constituées - ou simplement l'autorité dont jouit un particulier qui, pour quelque raison que ce soit, sait se faire écouter de ses concitoyens. Le simple citoyen peut ainsi se trouver entre deux injonctions, et il n'est pas certain qu'il obtempérera à celle qui ém:1ne de l'Autorité légitime. A la vérité, l'Autorité établie, dit l'auteur (p. 137), est une création tardive dans l'histoire de l'humanité. Se fondant sur l'ethnographie, il est porté à penser, avec Rousseau et avec Marx, que dans la société primitive il n'y a guère d'intérêts divergents, mais un sentiment communautaire puissant (p. 138). C'est avec la croissance du corps politique en dimension, en complexité et en hétérogénéité que grandit le rôle de l'Autorité établie (p. 143). Celle-ci prend des décisions. Mais elle n'est pas comme le juge, qui doit en tout~ indépendance, sur des faits passés qu'il s'efforce de connaître parfaitement, prononcer une décision qui ne sera pas contestée. La décision politique concerne le futur, elle est conjecturale, et l'Autorité qui la prend n'est pas indépendante, mais fait inévitablement l'objet de pressions dont il lui faut apprécier le poids réel et la portée. D'autre part, il est de la nature d'une décision politique d'être contestée, car là où il s'agit seulement de prendre une connaissance exacte de données actuelles et de conclure de façon incontestable, des experts suffisent, et la politique n'a pas à intervenir. La décision politique peut être prise de deux façons différentes. Ou bien elle est le produit de l'attention des dirigeants, qui observent avec assiduité le corps social, et remédient aux inconvénients qui se manifestent. Ou bien elle est le fruit de leur intention : le chef s'est forgé une idée du futur et conduit la nation vers le but qu'il a fixé à son action. On est alors, dit M. de Jouvenel, devant un héros, un grand politique, mais il ajoute que, pour sa part, il aime mieux le rencontrer dans les livres d'histoire que d'avoir affaire à lui dans la vie réelle. Le problème des factions et celui des mœurs politiques occupent les derniers chapitres. Qui est né dans un pays où la douceur est la règle de la vie politique ne peut guère, dit l'auteur (p. 186), imaginer les traits féroces qu'il lui arrive de présenter ailleurs. Mais qui a entendu le ricanement des vainqueurs et les gémissements des vaincus, celui-là sait qu'en politique le premier et le plus nécessaire des arts, c'est de sauvegarder .la douceur des mœurs politiques. Ce résumé de l'ouvrage de M. Bertrand de Jouvenel ne peut guère donner une idée adéquate de la façon dont il mène ses analyses soit sur le plan théorique, soit sur le plan historique. On ne trouve p:is seulement ·ici (comme dans ses autres ouvrages) un homme de -grande culture, et qui se meut avec aisance parmi les écrits et Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL les événements du passé, on remarque aussi un effort inhabituel - un effort qui n'avait peut-être. pas eu son pareil depuis le Tractatus politicus inachevé de Spinoza - pour réfléchir sur la politique avec précision, et selon une méthode rigoureuse. En vérité, nous souffrons grandement de la presque totale absence de méthode dans le domaine des sciences humaines, mais il y aurait trop à dire là-dessus. Revenons à notre auteur. On lui a reproché, · nous dit-il (p. 110), de prendre pour point de départ un phénomène trop général. Or il ne songe nullement à nier que l'action de l'homme sur l'homme, loin d'être un trait spécifiquement politique, se rencontre partout dans l'univers social. D'ailleurs, à la fin d'un chapitre qu'il qualifie de fondamental et où il décrit le jeu de l'instigation et de la réponse (p. 81), il fait remarquer qu'il a pu examiner ce point « sans faire mention de l'Etat, de la souveraineté, de la constitution ou des fonctions de l'autorité publique, etc. ». C'est donc de façon parfaitement délibérée qu'il a suivi ce chemin. Et nous voilà conduits à penser qu'à ses yeux l'action politique ne doit pas être envisagée comme une activité spécifique. Nous devons plutôt la voir sourdre continuellement de l'agrégation sociale, et la concevoir comme une activité sociale identique à toute autre, et n'ayant qu'un seul trait particulier, qui est d'intéresser l'ensemble du corps social. Nous imaginons une société harmonieuse portant à sa tête des dirigeants attentifs à remédier, dès qu'ils les aperçoivent, à tous les déséquilibres qui commencent à apparaître. Quant aux hommes d'Etat moins doués d'attention que pourvus d'intentions - les « entraîneurs », comme M. B. de Jouvenel les appelle dans son ouvrage De la souveraineté - ils font quelque peu figure de monstres qui tendent à donner à la politiqu~ une autonomie anormale. Que l'auteur ne voie dans la politique que le point d'arrivée de multiples relations psychologiques entre individus, bien des indices nous semblent le confirmer. Par exemple, il commence par une fable où trois observateurs décrivent une révolution. L'un d'eux, spécialiste des institutions, note le renversement de la Constitution. Mais d'ores et déjà le sociologue avait remarqué les mouvements de foule anormaux qui précé-· <laientle putsch. Et avant lui un troisième homme, mêlé à la foule, avait été témoin de l'instigation initiale, il avait observé un agitateur haranguant la foule. Ce troisième homme peut-il être désigné du nom de psychologue ? Ce n'est pas sûr. Du moins l'instigation dont il doit rendre compte est-elle un phénomène psychologique. M. de Jouvenel remarque que le renseignement du spécialiste des institutions est une information sûre, tandis que tous les mouvements de foule n'aboutissent pas tous à des putsch. Et il note à ce propos que si tous les glands ne donnent pas des chênes, tous les chênes proviennent de glands (p. 13). Ailleurs (p. 30), il écrit que « la politique n'a· pas d'autre contenu que le comportement

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