316 Chine communiste n'avait pas mis à mal son agriculture, on imagine de quels sanglants sarcasmes elle eût couvert l'Union soviétique devenue la plus grosse cliente des « impérialistes » après la dernière récolte. Un accord tacite dissuade de parler de corde dans la maison d'un pendu. De même, quand Tchou En-lai entreprend sa tournée publicitaire en Afrique, il se garde bien de préconiser la « guérilla » chère à Mao, d'offrir quelque appui chinois, fût-il verbal, au prolétariat dont la doctrine orthodoxe dogmatise le « rôle dirigeant » et qui devrait s'insurger contre les b?ur~eois ~t les féodaux : comme Khrouchtchev, il fait amiami avec les pouvoirs établis qui mettent hors la loi les partis communistes. L'orthodoxie s'en accommode à merveille, quitte à mettre au rancart ses thèses flamboyantes sur la « voie chinoise » proposée à l'avant-garde révolutionnaire pour accomplir un « bond en avant » dans la brousse africaine et instaurer des communes populaires assorties de hauts fourneaux nains dans la forêt équatoriale. On conçoit mal qu'il se risque à déconseiller à Nasser, à Ben Bella, à Moulay Hassan, d'accepter l'aide américaine (impérialiste et néo-colonialiste) et le concours soviétique (au service du néo-colonialisme impérialiste, selon le Quotidien du peuple du 21 octobre 1963). Si « les Chinois sont des imbéciles », comme le disait Nazim Hikmet parlant des communistes, ils ne le sont pas à ce point-là. On ne s'explique donc guère le pseudo-conflit idéologique si l'on fait abstraction dù conflit réel, désormais avoué en termes assez crus par les deux parties. Khrouchtchev ne cesse d'assurer avec aplomb que tout doit s'arranger pourvu que finisse la querelle en public, avouant ainsi implicitement que le marxisme-léninisme en question n'est que de la frime. Lors du 46e anniversaire du régime, il s'adresse aux capitalistes qui, suppose-t-il, souhaitent que le différend s'aggrave : « Nous ne vous donnerons pas ce plaisir, Messi~urs, vous serez déçus. Notre désaccord principal ·est avec les pays capitalistes, non avec la Cbhl~. (...) Nous faisons tout notre possible pour liquider nos divergences de vues et construire un camp socialiste monolithique » (8 novembre). Le Quotidien du peuple répond le 19 novembre par 18.000 idéogrammes en redoublant d'animosité envers la personne de Khrouchtchev, tournée en ridicule. La Pravda du 24 novembre presse néanmoins les Chinois d'accepter l'invite de Khrouchtchev dans « l'intérêt suprême » du commu- -ni_smet;. le 6 .décembre, renouvelle la proposition de « trêve de la polémique ouverte ». Pékin réagit le 10 décembre en dénonçant vertement « l'hypocrisie » de Khrouchtchev et en constatant que cent trois articles hostiles à l'attitude chinoise ont paru en. un mois dans la presse soviétique. Le sixième article-fleuve réfutant la lettre ouverte de Moscou datée du 14 juillet accentue le caractère personnel de l'affaire, tout en répétant les accusations de trahison : Khrouchtchev n'est qu\m << prestidigitateur » et ses porte-plume Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ont osé décrire Mao comme une « divinité placée très au-dessus du peuple ». D'après le Truth ·. Daily de Hong Kong (13 décembre), Tchou En-lai aurait prédit la chute prochaine de Khrouchtchev ; . on ne ferait pas état ici de cette prédiction si Khrouchtchev lui-même ne répandait des rumeurs de ce genre. Au Caire, le 21 décembre, Tchou En-lai se montre optimiste : « ••• Ces discussions pourront être réglées sur la base des principes marxistes-léninistes. » Khrouchtchev était apparemment de cet avis quand, au début de novembre, causant avec des socialistes français en confidence, il se donnait jusqu'au mois de mai 1964 pour mettre un terme à la querelle : il n'a pas précisé le jour, ni l'heure. . Une fois de plus se pose l'énigme de la mansuétude relative dont le bouffon fait preuve envers la galoche : ce n'est pas ainsi que les communistes de l'école stalinienne se comportent normalement au cours d'une lutte de cette sorte. Même Tito, couvert de boue et d'ordure par Pékin et Tirana, ne réagit que mollement et prudemment en public, attitude sans nul doute concertée entre Moscou et Belgrade. Il y a là quelque chose sous roche. Faute de réponse certaine à ce point d'interrogation, on ne peut qu'émettre des hypothèses, la plus plausible étant qu'un combat singulier se livre sous le camouflage idéologique et que les adversaires tablent sur des données inconnues des profanes pour venir à bout l'un de l'autre. On ne risque pas de se tromper en pensant que Moscou a tenté de « noyauter » le cercle dirigeant chinois pour en éliminer les récalcitrants et s'y assurer une majorité docile : les bolch~viks et leurs épigones ne savent pas s'y prendre autrement. Doit-on remonter jusqu'à la liquidation de Kao Kang et de Jao Chou-chi, annoncée en avril 1955, mais dont la disparition fut antérieure ? La question reste enveloppée de ténèbres opaques. En tout cas, l'exclusion du maréchal Peng Teh-huai et de Tchang Wen-tsien en août 1959, motivée par leur opportunisme de droite et leur révisionnisme, semble bien relever du conflit Khrouchtchev-Mao. ·Le noyautage a échoué à Pékin, comme à Belgrade sous Staline, parce que Mao, ainsi que Tito, ont employé les méthodes policières de Moscou sans s'embarrasser de considérations « idéologiques ». Inversement, peut-on imaginer un noyautage chinois dans le cercle dirigeant du P.C. soviétique ? On demande à le voir pour le croire, mais cela n'écarte pas absolument une éventuelle coïncidence d'intérêts entre une tendance de la « direction collective » et les maîtres de la Chine : en ce cas, l'orthodoxie et le révisionnisme ne pèseraient pas lourd. La, conviction affichée par Khrouchtchev et par .les porte-parole de Mao quant à une heureuse issue, toujours ~fférée, de leur règlement de comptes, prouve bien que les mille accusations - meurtrières échangées entre cha~pions du marxisme-léninisme étaient fausses. Elle indique aussi l'arrière-pensée réciproque d'arrêter les frais èn sacrifiant qui le bouffon, qui la galoche, mais le
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