Le Contrat Social - anno VII - n. 6 - nov.-dic. 1963

QUELQUES LIVRES inconvénients majeurs, tant est grand le secret dont s'entourent ses intentions. Au lecteur qui exigerait de l'analyse critique de M. Courtin plus de preuves que l'auteur ni personne ne peut en fournir, nous rappellerons que l'histoire, dans la mesure toujours douteuse où elle s'affirme scientifique, est comme la chouette de Minerve: elle ne prend son vol qu'à la tombée de la nuit, quand le rideau s'est abaissé sur les événements. MICHEL COLLINET. A la recherche d'une méthode · BERTRANDE JOUVENEL: The Pure Theoryof Politics, Cambridge 1963, University Press, x111221 pp. C'ESTune tentative originale que de formuler une cc théorie pure » de la politique. Si originale, qu'il faut commencer par dire ce que l'auteur entend par là. Dans le domaine de la politique, observe-t-il, ont pénétré des philosophes, des théologiens et des légistes, des sociologues et des économistes. Tous ces envahisseurs ont interprété la politique à la lumière de leurs techniques particulières. Quant aux hommes politiques, préoccupés des effets qu'ils veulent obtenir, ils songent moins à user avec précision du vocabulaire de la politique, qu'à détourner les mots de leur sens selon - leurs desseins ou leur ambition. S'opposant à ceux qui se servent de la politique aussi bien qu'à ceux qui en font la servante d'autres disciplines, l'auteur s'efforce de définir une science véritable, et autonome, de la politique. S'il parle de théorie cc pure» c'est, dit-il, en pensant à la chimie pure, qui s'occupe de corps simples, alors que la chimie organique traite de corps plus complexes. Il ne s'agit donc pas de construire une théorie qui couvre tout le champ de la politique, mais de poser les bases de la science en analysant les éléments fondamentaux de la politique, les données permanentes que l'analyse décèlera dans toutes les situations politiques complexes qu'offre l'expérience. Le r,oint de départ de M. Bertrand de Jouvenel, c'est 1 action de l'homme sur l'homme: « Le plus petit élément identifiable de tout événement politique, quelles que- soient ses dimensions, c'est l'action de l'homme sur l'homme 1 • » Selon la théorie classique, l'homme qui veut se lancer dans l'action politique doit être sage, informé, soucieux du bien commun. Cependant, qu'il s'agisse de la vie privée ou de la vie publique, 1. • The moving of man by man » (p. 10). En changeant un verbe en substantif, on trahit quelque peu la pensée de l'auteur. Sans doute vaudrait-il mieux traduire : • C'est un homme qui en fait agir un autre. • Bibr-oteca Gino Bianco 369 l'homme qui, s'efforçant de mettre les autres en mouvement, y parvient selon ses vues, n'est pas souvent cet homme juste que Socrate juge seul digne d'intervenir dans les affaires publiques. Il faut donc examiner, non ce que devrait être l'action politique, mais ce qu'elle est en effet. C'est dans l'enfance que l'auteur voit se constituer les attitudes politiques de l'homme, car, dit-il (p. 54), c'est dans la politique surtout que persiste chez l'homme le comportement de l'enfant. Or« l'homme n'est pas né libre, mais dépendant» (p. 45). L'enfant est dans la dépendance de ses parents, il leur fait confiance pour l'aider en toutes circonstances, et de même, plus tard, pour résoudre ses problèmes, l'homme sera prêt à faire confiance à une autorité politique. L'enfant considère d'ailleurs les règles de vie suivies dans sa fami11enon comme des lois qu'on lui impose, mais comme des manières de faire assez semblables aux lois de la nature. Et il se sent horriblement gêné - comme souvent aussi il arrive à l'adulte - lorsqu'il se trouve tout à coup plongé dans un milieu étranger, duquel il ignore les règles. Il a à ce moment-là le sentiment très clair que la société où il pénètre est antérieure à lui, a priorité sur lui. Il n'a pas le sentiment d'avoir des - droits à négocier, mais des usages à apprendre. (Ces considérations conduisent l'auteur à souligner que la conception d'un cc contrat social » est tout à fait étrangère aux faits réels. Mais ne subsiste-t-il pas rtéanmoins quelque rousseauisme dans son cas ? cc L'anthropologie moderne, dit-il (p. 60), semble confirmer que le temps des sociétés primitives fut en vérité l'Age d'or, du point de vue de l'harmonie entre l'individu et son univers social.» Le malaise provoqué par l'entrée dans des cercles nouveaux serait une caractéristique de la civilisation. N'est-ce pas sous-estimer la gravité des rites de passage ? Ils ne sont certes pas, dans les tribus arriérées, d'une moindre importance que chez nous, notamment ceux qui différencient le monde de l'enfant du monde de l'adulte 2 .) .. * .,,. .,,. L'action politique se manifeste par une instigation adressée à ·une ou plusieurs personnes, lesquelles répondent à cette instigation en agissant (ou en refusant d'agir) selon les directives qu'elles ont reçues. Quelle que soit leur réponse, ces personnes ne peuvent avoir une connaissance approfondie du problème posé, ili le loisir d'acquérir une telle connaissance. De sorte que leur réponse se fonde nécessairement sur le préjugé ou l'autorité. Mais cette autorité, ce peut être 2. Ce sont « des rites de séparation du monde asexué, suivis de rites d'agrégation au monde sexuel», « le novice est considéré comme mort, on le ressuscite, et on lui apprend à vivre, mais autrement que pendant l'enfance » (A. Van Gennep : Les Rites de passage, Paris 1909, pp. 96 et 108). Il semble qu'il n'y ait nulle part homogénéité entre le monde de l'enfant et le monde de l'adulte.

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