368 palais d'Orsay, le 16 mars 1950. Alors simple citoyen, le général y préconise de « reprendre sur des bases modernes, c'est-à-dire économiques, sociales, stratégiques, culturelles, l'entreprise de Charlemagne». Il ajoute que cc si la France, une fois debout et conduite, prenait l'initiative d'appeler l'Europe à se faire, en particulier avec le concours des Allemands, toute l'atmosphère européenne serait changée de l'Atlantique jusqu'à l'Oural, et même les hommes en place de l'autre côté du rideau de fer en éprouveraient les conséquences». La même expression se retrouve dans les discours du 17 août 1950, du 12 novembre 1953, du 7 avril 1954, du 22 novembre 1959, des 25 avril et 31 mai 1960, du 2 octobre 1961, des 15 mai, 17 juin et 4 septembre 1962. Une telle continuité de langage ne peut être le fait du hasard ; la formule ne peut être une simple boutade, un vœu pieux concernant un avenir imprévisible. Quant à l'Europe présente, réduite à sa partie occidentale, elle n'est à aucun degré, dans la pensée du général, l'Europe intégrée politiquement, partenaire des Etats- Unis dans la même alliance, mais un assemblage de nations groupées autour d'un axe franco-germanique dont la politique vis-à-vis de l'Est, quoique tout enveloppé~ de mystère, postulerait avec évidence la disparition de l'O.T.A.N. Ainsi la France dépasserait le rôle primitif d'arbitre que le général lui avait assigné pour chercher à devenir l'aile occidentale d'une confédération européenne dont l'aile orientale serait cc la Russie, nation blanche de l'Europe, conquérante d'une partie de l'Asie » (10 novembre 1959) et vouée par la géopolitique à s'opposer à l'invasion jaune. Vue de l'esprit, sans rapport avec les faits, si l'on en juge à l'étonnement manifesté par les dirigeants soviétiques devant de telles évocations (p. 83), mais sans rapport non plus avec la réalité du régime soviétique, dont le général souhaite une évolution libérale (? ), sans en faire une condition de son intégration européenne. La partie a-t-elle déjà été engagée ? se demande M. Courtin. Il voit une première réponse J à cette question dans l'attitude conciliante du général visà-vis de Khrouchtchev à partir de 1960; puis dans celle, équivoque, du parti communiste français en mai 1962, et dans le discours du 14 janvier 1963, qui excluait pratiquement l'Angleterre de l'Europe ; enfin dans les efforts du général p::>urrejeter sur les Américains la responsabilité sinon d'une désagrégation ·de l'O. T.A.N., du ·moins d'une évacuation de l'Europe par leurs forces armées. D'après M. Courtin, des négociations auraient été engagées avec l'Union soviétique en 1962 et début 1963, mais elles auraient tourné court, du fait des Soviétiques, hostiles au m1riage franco-allemand, et lui préférant leur propre accord avec les Etats-Unis: Il manque évidemment à la France les -moyens d'appuyer une telle politique, mais avec ou sans eux, elle prend, selon l'image de M. Courtin, «le·déplaisant visage de l'associé. qui cherche à mettre en faillite la Biblioteca Gino Bianco. LB CONTRAT SOCIAL société à laquelle il appartient en s'entendant avec ses concurrents pour reprendre avec eux l'affaire»_ (p. 74). Dès le début de 1963, cette politique anti"". américaine, dont les vues immédiates étaient si peu conformes à la réalité des.forces en présence, est un échec. Les partenaires européens ne suivent pas de Gaulle et s'inquiètent de ses arrièrepensées. Les considérations qui ont entouré le vote du traité franco-allemand par le Bundestag et le départ d'Adenauer marquent la volonté de la République fédérale de ne pas se séparer des Etats-Unis. En outre, l'Union soviétique n'a que faire d'un traité avec la France seule, qui ne modifierait pas à son avantage l'équilibre des forces. Elle préfère signer avec les .Etats-Unis le traité " de Moscou, qui, derrière ses engagements, marque l'accord des deux puissances pour éviter la dissémination des armes atomiques, et qui, indirectement, est dirigé contre la France et, à l'arrièreplan, contre la Chine. Avant la signature du traité de Moscou, M. Courtin concluait à l'échec de ce qu'il nomme « le Grand Dessein » du général de Gaulle : faire l'Europe des nations, Russie comprise, en dehors des Anglo-Saxons et du tiers monde. Ce dessein, s'il existe, est mis en échec en Europe par l'entente, dût-elle rester provisoire, entre le bloc des nations occidentales - France exceptée - et le bloc soviétique. Aussi ne voit-on pas se dessiner, en une sorte de mouvement tournant, des négociations avec Pékin, un espoir d'arbitrage entre les deux Viet-Nam ? Ce qui n'est pas pour plaire à Washington, ni même peut-être à Moscou, dans la mesure où leurs suites procureraient aux communistes chinois une ouverture que leur refuse l'Union soviétique. La fin tragique du président Kennedy ne donne-t-elle pas à de Gaulle un espoir de se faire reconnaître par les Etats-Unis comme le seul leader de l'Europe, et par suite leur seul partenaire possible ? Nous le saurons d'ici p.eu, mais les voies du cc Grand Dessein » n'en resteront pas moins aussi obscures que celles de la Providence. On peut reprocher à M. Courtin d'avoir raisonné sur des hypothèses, insuffisamment étayées de preuves concrètes. Lui-même le reconnaît en toute modestie : il a voulu rester dans le domaine des vraisemblances et essayé d'ordonner le plus logiquement possible les faits pour sortir de ce qu'il nomme, non sans raison, « le labyrinthe de la politique gaulliste». Il a eu le mérite de trouver une cohérence à des propos que d'autres jugent simplement équivoques, sinon contradictoires. Avec lui, le lecteur croira volontiers à un cc Grand Dessein », conforme à la nature du général de Gaulle, à son goût de la grandeur et de la tradition historiques. De ce « Grand Dessein », on doit retrouver le fil à travers les zigzags d'une action. plus empirique que logique. Des voies contradictoires peuvent être explorées à la fois satis qu'en résultent pour le. chef de l'Etat des
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