Le Contrat Social - anno VII - n. 6 - nov.-dic. 1963

DÉBATS ET RECHERCHES damna toute sédition, était résolument tourné vers le passé, vers un passé mythique. Sa république à lui n'est pas seulement minuscule mais archaïque, rurale, frugale, dédaigneuse de la richesse, de l'industrie, de la puissance, consacrée aux vertus antiques des bonnes gens, proc..he de celle que Platon définit dans les Lois. Elle n'est pas faite pour une plèbe en ascension, mais pour Fabricius et les vieux Romains légendaires, non moins pour les Montagnons du Jura. Reste le seul mystère, qui est celui de la formation de la Volonté générale ; le seul moyen de l'élucider est de faire appel non pas à la logique ·ou au droit constitutionnel, mais à la psychologie religieuse. Rousseau est un croyant, qui se dit chrétien et membre fidèle de l'Eglise réformée ; il sait que sa cité n'est pas viable si elle n'est pas enveloppée par la religion civile. Or qu'est-ce que la religion, sinon ce qui permet, par la vertu du rite, des moments de pleine communion sacramentelle ? Chacun se sent alors en mesure de transcender sa conscience personnelle et de s'identifier à ses frères en une commune inspiration, même s'il prend ainsi parti contre ses opinions ordinaires et ses intérêts égoïstes. Cela posé, assimilons la vie politique à la vie religieuse et les grandes solennités où s'opère la délégation du pouvoir à des cérémonies liturgiques, à des rites de communion; faut-il s'étonner qu'un citoyen puisse être en ces heures exaltantes transporté à un autre niveau de sa conscience et qu'à ce niveau même se fasse l'union des volontés, la communion spirituelle ? Que l'homme ainsi transformé, soulevé, prononce contre lui-même s~il le faut, rien de paradoxal ou d'absurde, rien qui ne s'explique par une connaissance moins simpliste de la personne, de ses zones, de ses degrés, de ses mouvements internes, de ses changements de signes. La démagogie, la politique plébiscitaire, le fascisme, le communisme, jouent de cette dialectique vivante qui n'est pas contradiction, ni même nécessairement contrainte tyrannique. Lorsque les résultats sont atroces, cela tient à des fatalités historiques, sociales, matérielles, que l'analyse reconnaît sans peine, mais décidément, non, ce n'est pas la faute à Rousseau. ' LÉON EMERY. Rousseau et la démocratie ~ E..- TUDE BRÈVE, mais substantielle, dans laquelle l'auteur, professeur à l'Université de Bâle, cherche à mettre en évidence l'intention profonde du Contrat social de J.-J. Rousseau. ib ioteca Gino Bjanco 363 Le mérite principal de ce penseur serait d'avoir dépassé le point de vue des philosophes de l'Antiquité, qui se bornaient à discerner, d'aprèslles exemples offerts par l'histoire, les principaux types de gouvernement : monarchie, aristocratie, démocratie, et à en relever les avantages et les inconvénients. Rousseau voit profondément que tous ces types d'Etat offrent au moins un caractère commun : en tout Etat il y a une autorité qui commande et des sujets qui obéissent. Or, cette répartition fonctionnelle semble contraire à la nature humaine. Tout le problème gît dans la première phrase du chap. I du Contrat social : « L'homme est né libre et partout il est dans les . fers. » Comment résoudre cette antinomie ? Rousseau croit trouver la solution dans le consentement des individus groupés en société qui admettent une limitation de leur liberté au profit d'un pouvoir capable d'assurer dans leurs relations mutuelles un minimum d'ordre et de sécurité. Ce pouvoir, quelle qu'en soit la forme organique, est le « souverain » et on peut assurer que la souveraineté réside dans le peuple luimême, puisque le pouvoir émane de la « volonté générale» et s'évanouit dès que se dérobe l'assentiment des participants. Bien entendu, l'auteur y insiste, cette conception n'a rien d'historique ; Rousseau déclare expressément qu'il ignore quand et comment de tels contrats ont pu être conclus ; il admet même qu'il n'y a peut-être jamais eu de démocratie véritable ; tout son souci est de « rendre légitime » la souveraineté ; bref, la genèse de la souveraineté est chez lui purement conceptuelle ; c'est une « représentation » de l'esprit ( vorgestellt). · Quant aux conséquences, il est clair que d'une souveraineté définie en termes aussi généraux peuvent résulter des systèmes politiques très divers, voire radicalement opposés ; certains contrats politiques peuvent s'avérer très libéraux, tels ceux des cantons suisses dont Rousseau a fait l'expérience directe, parfois malheureuse d'ailleurs. Mais il est clair que Rousseau incline nettement en faveur des gouvernements forts, qu'il n'encourage nullement la «révolution» politique, et surtout qu'il proscrit énergiquement toute dispersion du pouvoir central en « unités intérieures ». «Qu'il n'y ait pas de société partielle dans l'Etat. » Aussi a-t-on toujour~ signalé Rousseau .comme l'inspirateur du « jacobinisme », défenseur fanatique de la « République une et indivisible ». THÉODORE RUYSSEN. • Max lmboden : Rousseau und die Demokratie. Tübingen 1963, J. C. B. Mohr, 26 pp.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==