362 collectivités ? Il me semble que dès qu'on passe de la conscience individuelle aux phénomènes collectifs, on tombe dans le fatal, dans l'aveugle, comme si l'agglomération des sociétés humaines aboutissait à faire cristalliser autour de nous une nouvelle matière (...). J'entrevois mieux du moins que c'est un des trésors du dogme de nous forcer à maintenir la primauté et la priorité sur toutes choses, des âmes, c'est-à-dire des centres individuels. III. - Il n'y a pas de pensée collective (...). Le collectif est l'objet de toute idolâtrie, c'est lui qui nous enchaîne à la terre (...). C'est le social qui jette sur le relatif la couleur de l'absolu. Une étiquette divine sur du social : mélange enivrant qui enferme toute licence. Diable déguisé. Voilà trois condamnations, non concertées, qui· tombent lourdement sur la religion du collectif. Elles mettent l'accent sur la primauté des consciences individuelles. Par le mouvement de la phrase, le lecteur aura reconnu leurs auteurs respectifs : Rousseau, Teilhard de Chardin, Simone Weil 11 • Les esprits créateurs se moquent de la prudente tenue à jour d'un « copie de lettres » justificatif, et il peut leur arriver, en évoluant, de se contredire. Ce n'est pas toujours le meilleur d'euxmêmes qu'ils mettent dans la partie doctrinale de leur œuvre. Chez Rousseau toutefois, les contradictions apparaissent à l'intérieur même de la démonstration, et n'ont pas l'excuse d'être la conséquence d'une évolution et d'une maturation de la pensée ou de répondre à une expérience vécue, à une nécessité intérieure, ce sont des réactions d'humeur. En voici quelques exemples: Après sa définition de la volonté générale, Rousseau ajoute : « Ceci suppose, il est vrai, que tous les caractères de la volonté générale sont encore dans la pluralité. Quand ils cessent d'y être, quelque parti qu'on prenne, il n'y a plus de liberté. » Plus loin : « Ajoutons qu'il n'y a pas de gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le démocratique ou populaire... » Et encore: « S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes.» Il écrit à d'Ivernois (13 janvier 1767): « Vous ay~z pu. voir dans nos liaisons que je _nes~s pas v1s1onnrure, et dans le Contrat social, Je n'ai jamais approuvé le gouvernement démocratique 12. » . S'efforçant de chercher une forme de gouvernement qui mettrait la loi au-dessus de l'homme, Rousseau écrit au marquis de Mirabeau (26 juillet 1767): 11. J .-J. Rousseau : Rousseau juge de Jean Jaques, réédition de 1962, Libr. Armand Colin, p. 305, fin de note. Teilhard de Chardin : Genèse d'une pensée. Lettres, 1914-1919. Paris 1961, p. 78. Simone Weil : La Pesanteur et la Gr4ce, Paris 1948, pp. 176, 182, 183, 184. ~2. Cité par Jules Lemaître : Jean-Jacques Rousseau, Paris 1907. Biblioteca Gir-10_Bianco DÉBATS ET· RECHERCHES ...Si malheureusement [cette .forme] n'est pas trou.. vable, et j'avoue ingénument que je crois qu'elle ne l'est pas, mon avis est qu'il faut passer à l'autre extrémité, et mettre tout d'un coup l'homme autant au-dessus des lois qu'il peut être : par conséquent établir le despo- . tisme arbitrair.e et le. plus arbitr~i~e qu~il est possible. ' . On connaît la boutade_de Clemenceau, du temps · où il militait dans les ·rangs .du jacobinisme : cc La Révolution est un bloc », voulant dire par là qu'il était vai.q.d'opposer. 89 à 93 ; il: fallait tout accepter ou tout rejeter, y compris la Terreur «nécessaire». Ce n'est pas la méthodè des sciences humaines. Aussi nous est-il difficile de répondre par un << oui » ou par un «non » catégorique à la question posée en tête de cet article. On pourrait citer des pages entières de Rousseau où ce grand individualiste, pétri de sensibilité, condamne d'avance les horreurs de la Révolution, dont il aurait été sans doute la victime, mais on ne peut contester qu'il ait donné un vocabulaire, un style, un frémissement, une dialectique aux révolutionnaires des temps modernes. Son dogme de la volonté générale est un dangereux explosif, qui donne libre cours à un optimisme inconditionnel dans l'emprise grandissante de la raison sur la conduite des affaires humaines. C'est ignorer la cc permanence des millénarismes » qui maintiennent autour des hommes de vastes zones de séismes où la terre est toujours prête à trembler. La sagessen'est pas de.nier ces menaces, mais d'en bien connaître les déterminismes et de construire des cités capables de leur résister, . , MARCEL BRÉSARD. Sur le mystère Rousseau . . . LES TEXTÉS cités dans le numéro de mars-avril 1963 du Contrat social,: très différents par le ton et l'inte11tion~apportent tous de l'eau au moulin de ceux pour qui Rousseau est le président d'honneur, on disait;.-hier, de la Répub~que jaco~~e, on dit·.aujourd'hui de .la République totalitaire, ce qw est à peu près la même chose. La thèse est classique et facile à soutenir ; on pourrait tout aussi aisément instruire. le procè! de Platon _ou·bien décréter ~ que · Matx et meme Hegel sont directement responsables des crimes..de Staline. · · C'est ~ntendu : uné fois qu'un livre est publié, l'auteur a perdu tout pouvoir sur -lui, mais il · n'est q~e juste d~ ·s~demander ce qu'il pense ou penserait des swtes ; peut-on. ··douter un. seul ·mstant que les massives constructions de style. russe ou chinois n'inspireraient à Rousseau ·que de l'horreur. ~t de l'épouvante ? On se trompe grandement quand on veut faire de lui l'instigate~ _des révolutio~ .modernes; en politique au moms, cet homme timide, qui vingt f~is con-
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