M. BRÉSARD et en même temps comme produits autochtones individuels, d'origine inconsciente. ' Ailleurs, il écrit : . On a tendance_ à préfërer n'importe quelle explication, s1 contournée soit-elle, par la transmission la migration ou l'imitation et à la trouver plus naturelle ~ue le recours à une identité de structure 5 • Ainsi, pour Jung, les phantasmes, les rêves, les symboles qui alimentent le folklore de l'human!té aur~ent un cél!actère en quelque sorte endogene et 1armature mtellectuelle de bien des doctrines ne devrait pas nous donner le change sur leur ess~ncenon rationnelle. _Ainsis'expliqueraient leur pwss~ce de propagation et de suggestion, leur empnse sur les âmes où elles vont réveiller des _archétypes que chaque homme porte dans son mconsc1ent. Le passionnànt ouvrage de Norman Cohn Les_Fanatiques de l'Apocalypse 6 , dont le Contra; social a publié le dernier chapitre sous le titre : « Permanence des millénarismes », fournit une ~~ondante ~oisson d'exemples historiques, tra- ~ques et pitoyables, de « prophètes » remuant Jusqu'en leur tréfonds les masses populaires fanatisées, prêtes à suivre leur guide spirituel jusqu'à la mort. D.e son ~ôté,_Raymond Ruyer, dans L'Utopie et les utopies, livre d'une singulière pénétration, nous aide à mieux comprendre les dessous de la croyance en la conscience collective. Abordant les imaginations de Renan sur l'avenir de l'homme ~s Caliban et les Dialogues philosophiques, il ecr1t: ...Tout aboutirait, dans un avenir indéterminé, à un seul Centre conscient, auquel participeraient tous les êtres, et qui donnerait leur sens à tous les sacrifices... ...La conscience suprême réaliserait vraiment Dieu, provisoirement idéal des religions (...). Il ne s'agit plus cette fois du triomphe de l'élite consciente, mais du triomphe de la Conscience elle-même 7 • Analysant ailleurs une autre anticipation de <~ s~ience-fiction » de la même veine 8 , R. Ruyer ecnt: ...La description de Stapledon rappelle, dans la forme concrète propre à !'Utopie, les spéculations des théologie~s sur l'Eglise, Corps mystique. Les Neptu5. Signalons en passant (ce point est important) que Jung, à l'encontre de Rousseau ou de Durkheim, s'est soigneusement défendu de toute tentative de transcender et de personnifier sa notion d'inconscient collectif : il reste clinicien : 11 Si je parle de l'inconscient collectif, je donne seulement un nom à une totalité de faits observables : les archétypes. Je n'en tire aucune conclusion philosophique; c'est seulement un "nomen "'» (Cité par Ch. Baudoin, in L'Œuvre de Jung, Paris 1963, p. 69). 6. Norman Cohn : Les Fanatiquesde l' Apocalypse, traduit de l'anglais, Paris 1962. · 7. R. Ruyer : L'Utapie et les utopies, Paris 1950. 8. O. Stapledon : Derniers et premiers hommes, 1930. . Biblioteca Gino Bianco 361 niens 9 peuvent communier dans l'esprit de la race tout entière. L'individu éprouve alors tous les corps des autres hommes comme son corps unique ; il voit avec tous les yeux ; il sent avec tous les contacts ... Il devient aussi un super_-esprit. Son « maintenant ,, embrasse une immense durée, jusqu'à une sorte d'éternité. Il acquiert l'intuition de la vraie nature de l'espace et du temps, de l'effort universel et de la perfection cosmique 10 • Dans tous ces exemples, nous discernons en de~ styles très différents cette immense nostalgie qw P?rt~ les hommes à se dépasser, à se dégager des limites étroites d'un « moi » éphémère, à s'abandonner aux grands courants collectifs auxquels ils finissent si souvent par attribuer une « âme ». On connaît le mot de Chesterton : « Le monde moderne est plein de vertus chrétiennes devenues folles.» Norman Cohn nous fait comprendre que les chimères sont de tous les temps. Nous sommes actuellement témoins de la propagation d'une idéologie qui, malgré de constan~es références à la Science, rejoint, tout au moms par sa croyance en la consciencecollective, les conceptions de Rousseau, de Durkheim, de Renan, de Stapledon... et du Moyen Age. Nous voulons parler des thèses du Père Teilhard de Chardin affirmant que « les hommes de l' Avenir ne formeront plus, en quelque manière, qu'une seule conscience ». Il signale, parmi les facteurs destinés à accélérer le processus, « les compressions biologiques » de la « substance humaine », « le serrage démographique de plus en plus violent », « le processus c_ompresso-générateurde conscience », « la planét1sat1on de la masse humaine», « le régime de socialisation compressive »... Toutes ces images évoquent davantage un cauchem8! à la Kafka, ~e « ~émocratie populaire», un uruvers concentrat1onna1re, qu'une fusion des consciences unanimes. , ~a di~us~on specta,c~aire des ouvrages du celebre Jeswte, en dep1t du « Monitum » des autorités ecclésiastiques, est un phénomène contemporain des plus curieux à observer. Voilà un cas sur lequel des ouvrages comme ceux de R. Ruyer et de N. Cohn donnent à réfléchir. · Nous voudrions proposer pour terminer une triple devinette: de qui sont ces textes ? I. - Les Français n'ont poirit d'existence personnelle, ils ne pensent et n'agissent que par masse, chacun d'eux par lui seul n'est rien. Or, il n'y a jamais dans ~es .corps collectifs nu~ amour désintéressé pour la Justice : la nature ne 1 a gravé que dans le cœur des individus, où il est bientôt éteint par l'esprit de ligue ... II. - Mais qui donc arrivera à définir les relations de l'individu et de la société, à fonder la morale des 9. Ce sont les hommes.de l'avenir que Stapledon imagine. r 10. Op. cit., p. 286 .
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