Débats et recherches Après l'année Rousseau * LA « VOLONTÉ GÉNÉRALE » SELON SIMONE WEIL par Marcel Brésard ROUSSEAU doit-il être considéré comme l'un des pères spirituels du totalitarisme contemporain ? La question .s'est trouvée . implicitement posée lors du débat instirué par le Contrat social sur « le mystère Rousseau ». · Parmi les textes favorables· à Rousseau, celui de Simone Weil est particulièrement frappant (Contrat social, n° de mars-avril 1963, p. 123). Pour elle, le sens de la notion de volonté générale, telle que Rousseau l'a formulée, ·« a été perdu presque tout de suite, parce qu'il est complexe et demande un _degréd'attention élevé». Elle introduit ainsi un nouvel élément dans un vieux débat. La pensée de Rousseau aurait été défigurée, sinon trahie, par ses propres disciples. Faut-il conclure qu'à la portée seulement d'une petite élite, comme de nos jours les travaux des prix Nobel de physique, cette pensée complexe, exigeant une attention élevée, a été jetée prématurément aux quatre vents ? Tragique destin d'un maître à penser qui, livré sans intercesseurs à la foule, serait à l'origine d'un des plus grands contresens de l'histoire... Simone Weil poursuit : Rousseau partait de deux évidences. L'une, que la raison discerne et choisit la justice et l'utilité innocente et que tout crime a pour mobile la passion. L'autre, • Notre contribution à « l'année Rousseau» dans les n°8 3 et 6 de la présente revue en 1962, qui ne s'identifie pas avec le 11 culte de la personnalité » du Vicaire savoyard, a .été suivie de remarques sur « le mystère Rousseau » (notre n° 2 de 1963) qui appelaient l'attention sur les explications ou interprétations contradictoires de textes que certains exégètes jugent parfaitement clairs. A l'appui de quoi nous citions des extraits de Pierre Gaxotte, de Simone Weil et de Marcel Brésard ayant trait à la fameuse notion rousseauiste de la « volonté générale », considérée comme la source idéologique du jacobinisme terroriste et du totalitarisme moderne. Les textes qùi suivent font écho à notre invite de « mise en ordre intellectuelle », à propos de cette volonté générale invoquée de nos jours ·sous l'appellation de • conscience collective ». Biblioteca Gino Bianco que la raison est identique chez tous les hommes au lieu que les passions le plus souvent diffèrent ... Les erreurs, les injustices sont indéfiniment variables. Ainsi les hommes convergent dans le juste et le vrai, au lieu que le mensonge et le crime les font indéfiniment diverger. L'union étant une force matérielle, on peut espérer trouver là une ressource pour rendre ici-bas la vérité et la justice matériellement plus fo~es que le . l' crime et erreur ... · Est-ce pécher par manque de foi en la nature humaine que de ne pas être sensible aux deux évidences proclamées par Simone Weil, et d,'être tenté de lui répondre par ces vers de La Fontaine : L'homme est de glace aux vérités, Il est de feu pour le mensonge. .. Nous sommes ici au cœur du malentendu. Un examen plus attentif de la pensée de Simone Weil ne devrait-il pas permettre de surmonter la contradiction ? Il y ·a, en tout cas, un domaine où l'argumentation de S. Weil se vérifie d'une manière rigoureuse: celui des lettres et des arts, mais dans des conditions restrictives, non moins rigoureuses. Prenons un exemple: il ne viendrait à l'esprit de personne de nos jours d'égaler ou de préférer Chapelain ou Crébillon· à Racine ou à Voltaire, alors que les contemporains hésitaient pour la plupart. Une décantation s'est produite au cours des générations successives. Le génie a subi victorieusement l'épreuve du temps. C'est dans ce· sens que Durkheim, reprenant la notion de volonté générale pour en faire la consciencecollective, a pu écrire: La conscience moyenne est :médiocre, tant au point de vue intellectuel que moral, la conscience collective, au contraire, est infiniment riche, puisqu'elle est riche de . toute la civilisation... (Année sociologique, t. XI, p. 45).
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