Le Contrat Social - anno VII - n. 6 - nov.-dic. 1963

350 équivalait à saper les efforts faits pour réduire la bureaucratie centralisée ; d'un autre côté, étant donné la nature autoritaire du système administratif, qui interdit aux fonctionnaires locaux de coordonner leurs propres décisions avec les intérêts du centre grâce à une sorte de mécanisme autorégulateur, lâcher· la bride à ces fonctionnaires pouvait engendrer des actions contraires à l'intérêt national tel qu'il est défini par Moscou. Le proplème fut carrément exposé par le Kommounist : Il est fâcheux que certains fonctionnaires locaux aient interprété l'extension de leurs droits comme un relâchement de la surveillance exercée sur eux. Il nous est difficile çle considérer cette interprétation comme correcte. En même temps que nous accroissons les droits des organes des districts, des régions et des Républiques, nous devons renforcer la surveillance exercée sur eux; sinon, l'extension des droits à la périphérie peut aboutir (...) au règne de l'arbitraire 1 • PARALLÈLEMEaNuTsouci croissant d'améliorer l'exécution des plans établis par Moscou, l'accent a été mis de plus en plus - en particulier depuis le XXIe Congrès, en 1959 - sur l'emploi de volontaires « extra-personnel» destinés à jouer un rôle administratif et à stimuler le « contrôle public » ou « contrôle par en bas ». Les efforts du régime pour amener les masses à prendre une part active à l'administration font partie de la campagne contre la « bureaucratisation » tout en reflétant le penchant de Khrouchtchev pour une sorte de populisme. En outre, ils ne sont pas étrangers à un mobile d'ordre idéologique qui consiste à préparer le peuple au « dépérissement de l'Etat». . Le C.C.P.E. semble destiné à être une façon de cc superministère » coordonnant l'activité des innombrables organisations de contrôle public. Celles-ci existent en effet - du moins sur le papier - depuis des années, sans avoir· particulièrement brillé par leur efficacité. En unifiant le contrôle public des activités gouvernementales sous une autorité unique et en accordant à cette dernière une grosse publicité, le régime espère, à la longue, doter cette forme de surveillance d'un pouvoir réel dans la vie de l'Etat. Le C.C.P.E. est donc destiné à la fois à renforcer l'inspection et le contrôle, et à accroître la. parti- . cipation du public à l'administration de l'Etat. (Le Comité ne s'occupe cependant que,des activités d'Etat, la surveillance du parti communiste demeurant l'exclusivité de la vieille commission de contrôle du Parti, laquelle ~onserve son identité propre.) Ainsi, le nouvel organe peut être considéré comme partie intégrante de l'effort constant du régime, patent dans la plupart des «réformes» de novembre 1962, pour étayer les contrôles du . . 1. I. Boliasny : « D·1 système de contrôle du Parti et de l'Etat,, in Kommounist, octobre 1961, n° 15, p. 90. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE centre tout en autorisant une cèrtaine· souplesse, une marge d'initiative locale dans l'administration de l'Etat. La participation accrue des masses à l'adminis-. tration économique est en quelque sorte un substitut politico-administratif à la décentralisation radicale de l'économie prônée par le pro-· fesseur de Kharkov, lé. Liberman 2 • Il n'est certes pas exclu que l'on tente de placer l'économie sur un plan semi-automatique, autoréglable ; mais il est caractéristique du modus operandi de Khrouchtchev de compter d'abord sur la vertu des encouragements, sur l'ingérence accrue du Parti, sur l'enthousiasme des masses et sur une plus large participation du peuple. Etant donné son orientation politique, il se peut aussi que Khrouchtchev considère un organe d'inspection efficace comme une prémisse à des innovations économiques plus radicales qui autoriseraient plus de souplesse aux directeurs. Bien qu'il soit difficile d'imaginer comment une plus grande indépendance pour les directeurs pourrait se concilier avec un « contrôle par en bas »manipulé de Moscou, pareille conception est néanmoins fortement enracinée dans le précepte idéologique du centralisme démocratique. En outre, la · création du C.C.P.E. trahit les préoccupations croissantes des dirigeants devant le comportement des chefs d'entreprise et du personnel administratif moyen, y compris les fonctionnaires du Parti. L'acuité de ces préoccupations ressort de la divulgation d'une foule de « crimes économiques », allant du gonflement des rapports à d'énormes détournements de la part d'importants fonctionnaires régionaux, en même temps que s'intensifiait la campagne menée contre les « spéculateurs » et les· « parasites ». Nous savons par les réfugiés que ces phénomènes existent en Union soviétique depuis longtemps. Le blat 3 , disait-on, est plus grand que Staline 1ui-même ; népotisme et tolkatchi 4 ne datent certes pas d'hier. Les méthodes brutales de Staline; destinées à fragmenter l'autorité inférieure, n'ont pas toujours pu empêcher de petites coteries de fonctionnaires locaux de former des sociétés de protection mutuelle assurant à leurs membres, dans les limites de leur fief, un pouvoir politique étendu et des bénéfices importants. Comment expliquer autrement la publicité donnée à ce problème ces dernières années ? 0 2. Cf. Alec Nove: « The Liberman Proposais», in Survey, avril 1963, n° 47; Marshall I. Goldman: « Economie Controversy in the Soviet Union», in Foreign Affairs, avril 1963; Harry G. Shaffer : « Révisionnisme et planification », in Contrat social, juillet-aoftt 1963. - 3. Combine, système D, terme russe qui recouvre les diverses pratiques impliquant l'usage des influences, des voies et des relations non officielles pour parvenir à ses fins. Cf. J ustan : « Aspects de la vie soviétique », in Contrat social, inars-avril 1962. 4. Le tolkatch (littéralement : celui qui pousse) est celui .qui débrouill~ les affaires, l' • arrangeur ». .

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