avoué la raison de cette attitude: « Les nobles russes servent l'Etat et c'est Nous que servent les nobles allemands 27 • » Tous ces Volksdeutsche ont fait souche et proliféré au point d'entrelarder par leurs descendants presque tous les milieux russes, à l'exception de la masse paysanne et ouvrière. Plus ou moins bien assimilés, on les retrouve en très grand nombre dans les hauts postes gouvernementaux et administratifs, diplomatiques et militaires. Reconnaissons d'ailleurs que la Russie impériale leur fut redevable en grande partie des progrès qu'elle accomplit au x1xe siècle. · Le peuple, lui, ne retient guère les bienfaits, tandis que la haine accumulée contre les Allemands au cours des siècles dans le subconscient populaire remonte à la surface à chaque occasion propice. Les patriotes monarchistes les accusent d'isoler le monarque de son peuple, de l' empêcher de comprendre les aspirations de ses sujets. Les libéraux voient en eux les pires suppôts de l'absolutisme à la prussienne. Les révolutionnaires leur reprochent d'être trop nombreux dans la police, le corps des gendarmes et autres forces de l'ordre, de se trouver souvent à la tête des expéditions punitives. · A chaque guerre, les défaites russes sont incontinent attribuées par les soldats et le peuple à la trahison des généraux et hauts fonctionnaires d'origine allemande. Quand on parle de Pouchkine aux écoliers soviétiques, on ne manque jamais de souligner que le plus grand poète russe fut une victime de Nicolas 1er et surtout du comte Alexandre von Benkendorff, accusé d'être un des instigateurs de la persécution et de l'« assassinat» non seulement de Pouchkine, mais aussi de Lermontov 28 • Ce noble balte fut à l'origine de la création, en 1826, du corps autonome des gendarmes (police politique) et de la fameuse «troisième section » de la Chancellerie intime. A la tête de ces deux organismes, il mit son zèle à lutter contre toutes les « pensées libres». Commis à la censure des œuvres de Pouchkine, il lui rendit la vie impossible et le fit exiler à Odessa, bourgade perdue à cette époque. La cruauté se combinait chez ce policier avec des manières douces et une sentimentalité tout allemande : il dota ses gendarmes d'un uniforme bleu d'azur et d'un mouchoir blanc, qui symbolisait leur devoir « d'essuyer les larmes de la veuve et de l'orphelin». Au xxe siècle, pendant la guerre russo-japonaise, c'est encore un Balte, le général A. M. Stœssel, commandant de Port-Arthur, qui rend cette place aux Japonais, après que le général A. V. Fock, autre Volksdeutsche, a abandonné à l'ennemi les hauteurs de la Vysokaïaqui dominent la ville. La garnison disposait pourtant de vivres et de munitions en abondance :- 27. Milioukov, etc. : Histoire de Russie, p. 737. 28. G.E.S., 2e éd.., t. 4, p. 607. Biblioteca Gino Bianco L'EXPtRJENCE ·coMMUNISTB La forteresse de Port-Arthur tomba aux mains des Japonais du fait de la trahison des généraux Stœssel . et Fock. Le conseil de guerre tsariste, qui jugea l'affaire, fut obligé de reconnaître la culpabilité de Stœssel 11 • Le corps d'armée de von Stackelberg, envoyé pour débloquer Port-Arthur, fut battu « à cause de l'incurie de son chef» 30 • Sur les trois armées opérant en Mandchourie, une seule était commandée par un Russe, Linévitch : les deux autres avaient à leur tête des Baltes, Grippen berg et Kaulbars. L'opinion publique rendit ces deux Allemands responsables de la défaite de Moukden. Cette guerre malheureuse renforça la conviction profonde des masses russes que leurs gouvernants étaient des incapables, que tous les cadres, civils et militaires, d'origine allemande, étaient des traîtres, a~ moins en puissance. Cette conviction contribua grandement au déclenchement de la révolution de 1905. Dans la répression, les Baltes jouèrent un rôle particulièrement odieux. Le colonel Min et le lieutenant-colonel Riman, à la tête du régiment Séménovski, envoyé à Moscou pour y mater la révolte, se firent une réputation de férocité exceptionnelle par leurs « expéditions punitives » le long du réseau ferroviaire, si dense autour de Moscou, pendant lesquelles ils firent pendre ou fusiller en masse des cheminots grévistes. Le général von Rennenkampf, qui avait déjà appris la technique des expéditions punitives pendant la répression de la révolte des Boxers, fut, en 1905, chargé de liquider l'activité révolutionnaire le long du Transsibérien. Il s'acquitta de cette tâche avec une cruauté digne de ses ancêtres porte-glaive. Ce qui lui permit de faire une carrière rapide malgré son incapacité militaire notoire et sa réputation bien méritée de concussionnaire. Pendant la première guerre mondiale, « il se comporta en traître et provoqua la grande défaite russe de Tannenberg. Relevé de son commandement, il fut fusillé par les Soviétiques en 1918 31 • » Pendant cette guerre, la haine du Russe pour les Allemands de Russie ne fit que grandir. Beaucoup d'officiers, surtout dans les grades subalternes, étaient obligés de russifier leur nom de famille allemand pour ne pas risquer de recevoir une balle dans le dos. C'est ainsi que les Miller ou Müller devinrent des Melnik, les Krantz des Ventsov, etc. On sait avec quelle crédulité la masse du peuple russe accueillit les accusations mensongères, spontanément surgies dans son imagination surchauffée, de la trahison de la tsarine Alexandra Fédorovna, née Alice de Hesse, du premier ministre Stürmer et de tant d'autres grands personnages de l'entourage du tsar qui portaient un nom allemand. La haine et la crainte d~s Allemands ont joué un 29. Ibid., t. 34, p. 190. 30. Ibid., t. 36, p. 364. 31. Ibid., t. 7, p. 191.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==