.. E. DEL/MARS à la fois 1:oçany (~~et, sale), redouté, et quelque peu admire et envie. . DÈS les premières années du xv1e .siècle, les souverains moscovites comprirent la nécessité d'avoir une armée instruite et .organisée à l'euro-:- péenne. Il fallait pour cela faire appel à des officiers et spécialistes étrangers. En 1514, l'artillerie des Russes, qui assiégeaient Smolensk, était commandée par un certain Stéphane, sans nul doute un étranger 12 • Eri 1521, un Allemand, Johann Jordan, était à la tête de l'artillerie de la garnison de Riazan, assaillie par. les Tatars de Crimée. Sous le règne d'Ivan le Terrible (1533-1581), les étrangers affluèrent à Moscou. Aux yeux du peuple russe, ces nouveaux venus étaient tous des niemtsy (Allemands) et le quartier spécial qui leur était réservé dans la capitale s'appelait Nemietskaïa Sloboda (le faubourg allemand). La longue lutte contre les chevaliers teutoniques, puis contre les Polonais, avait habitué les Russes à voir derrière chaque catholique, derrière chaque « Latin », la sinistre silhouette des jésuites militants, nouveaux croisés en soutane noire, et l'éternelle menace du prosélytisme romain. Les Allemands protestants, eux, étaient ennemis de Rome, donc à peu près inoffensifs .pour l'orthodoxie russe. Ivan le Terrible, trahi par quatre anciens prisonniers livoniens auxquels il avait accordé sa confiance, se vengea en faisant incendier et piller la Nemietskaïa Sloboda en 1578. Les survivants se réfugièrent dans les autres quartiers. Sous ses successeurs, notamment sous Boris Godounov, qui se méfiait des boyards et s'était entouré d'une garde du corps allemande, le nombre des étrangers à Moscou ne fit que croître. Mais la cruelle expérience du «Temps des troubles» (règne du faux Dimitri, invasion polonaise, etc.) exacerba chez les Russes leur crainte des jésuites et leur aversion pour les catholiques, rendus responsables des malheurs de la Russie. D'où l'interdiction absolue d'engager ces « Latins » abhorrés au service du tsar. En 1631, le colonel « allemand », c'est-à-dire protestant, Alexandre Leslie, depuis longtemps au service de la Russie, fut dépêché en Europe pour « engager des soldats du royaume de Suède et des autres Etats, à l'exclusion des Français. Aucun Français, ni aucun catholique de n'importe quelle nationalité, ne doit en aucun cas être engagé 13 • » Malgré cette exclusive, la· xénophobie russe provoquait des incidents sans nombre entre Moscovites et mercenaires, souvent reîtres peu recommandables dont la façon de vivre choquait les traditions des autochtones. On se méfiait 12. S. M. Soloviev : op. cit., livre III, p. 245. 13. Ibid., livre V, pp. 172-73 et 281. Biblioteca Gino Bianco de ces hérétiques, dont le contact pouvait altérer la «pureté» de la foi et des mœurs russes. Le premier Romanov, le tsar Mikhaïl Fédorovitch interdit, en 1628, aux étrangers d'avoir des domes~ tiques orthodoxes, « afin que ces âmes chré~ennes ne soient pas souillées et ne meurent pas sans absolution », car leurs patrons - hérétiques· lesnourrissaient de viande pendant les jours de jeûne, si nombreux en Russie. Le code des lois du tsar Alexis Mikhaïlovitch, père de Pierre le Grand, confirma cette interdiction en I 649. En 1629, les chefs des quartiers périphériques de Moscou se plaignirent au tsar de l'installation d'un trop grand nombre d'étrangers. En réponse, en 1635, on interdit à ces derniers l'acquisition de demeures dans le quartier commerçant de Kitaï-Gorod. En 1643, le clergé orthodoxe se plaignit au tsar de l'emprise des Allemands sur leurs paroisses : ils avaient bâti leurs templestrop près des églises russes et, malgré l'interdiction, continuaient d'employer des serviteurs russes, ce qui « infligeait à ces derniers toutes sortes de souillures ». Le clergé s'indignait égale:- ment de voir les veuves allemandes transformer leurs demeures en auberges, et surtout des achats trop fréquents par les Allemands aux Russes, au prix fort, de leurs maisons, ce qui diminuait le nombre des paroissiens orthodoxes. Interdiction fut faite aux Allemands d'acheter une maison russe ou de prendre sur elle une hypothèque à Moscou et dans les faubourgs, mais personne n'était expulsé des biens déjà acquis. Ces réclamations et l'augmentation constante du nombre d'étrangers au service de la Russie imposèrent la création d'une nouvelle Nemietskaïa Sloboda en dehors des limites de la ville.· Les mœurs de ce nouveau faubourg allemand, dont la population se composait pour les trois quarts de francs soudards, étaient bruyantes et dissolues. Rixes, duels et bastonnades y étaient monnaie courante. Les pasteurs eux-mêmes se faisaient la guerre. Du point de vue purement professionnel, la qualité des militaires allemands était d'ailleurs lamentable. L'Ecossais Patrick Gordon, officier entré, en 1661, au· service de la Russie et devenu général sous Pierre le Grand, ·affirme dans son journal: Un grand nombre d'officiers étrangers sont arrivés en Russie. (...) Une bonne part est composée de personnages vils. Beaucoup n'ont jamais été nulle part officiers, mais ils prennent du service en Russie en tant qu'officiers 14 • L'enseignement de l'art militaire par les cadres, ignorants mais imbus de leur supériorité raciale sur les barbares qu'ils avaient à commander, n'était qu'un dressage à coups de schlague, selon la coutume de l'époque, ce qui ne faisait qu'ajouter à la haine du soldat et de l'homme du peuple pour ces étrangers, tous « allemands » pour lui. 14. Traduction russe de ce journal, éditée à Moscou en 1892. Cité par Soloviev.
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